Aussi bien en Israël qu’en Palestine, les extrêmes sont remontés à bloc”, explique à l’AFP Sulaiman Khatib, cofondateur de l’association Combattants pour la paix.
De l’avis de tous, les massacres du Hamas le 7 octobre et les bombardements israéliens sur Gaza qui ont suivi ont davantage ébranlé les deux sociétés que les quatre guerres précédentes à Gaza ou les deux “Intifada”, ces soulèvements palestiniens des années 1990 et 2000.
Malgré tout, un soir, une quarantaine d’Israéliens et de Palestiniens se sont réunis devant les remparts de la Vieille ville de Jérusalem pour 15 minutes de silence à la mémoire “de tous les morts”.
“Il n’a jamais été aussi difficile d’entendre le point de vue de l’autre”
Au sol en tailleur, debout les yeux fermés ou en pleurs, ils ont écouté des prières juives et chrétiennes, sous le regard de curieux qui s’interrogeaient. Et de grincheux : “Comment ils osent faire ça, les Arabes ?”, a soufflé l’un d’eux.
Le “camp de la paix” a toujours hérissé certains, de part et d’autre. Mais il compte plus de 200 organisations, certaines vieilles de plus de 40 ans. Des environnementalistes pour la paix, des automobilistes qui conduisent des Palestiniens chez le médecin en Israël, des chorales israélo-palestiniennes, tous convaincus qu’ils avaient “raison” de prôner le dialogue.
Le 7 octobre, ils ont d’abord été sous le choc après que le Hamas a tué 1200 personnes, en majorité des civils, selon les autorités israéliennes, qui ont répondu par des bombardements faisant 13.300 morts, selon le gouvernement du Hamas.
Après quelques jours de réflexion, l’immense majorité a repris échanges et groupes de paroles. Mais à distance, la Cisjordanie occupée étant désormais bouclée par des barrages supplémentaires.
“Il n’a jamais été aussi difficile d’entendre le point de vue de l’autre”, constate Avner Wishnitzer, co-fondateur des Combattants pour la paix. “Il n’y a pas de place pour la nuance et la complexité”, car avec “la douleur et la peur, on n’invoque pas la raison, mais les émotions”.
“La déshumanisation n’a jamais été aussi forte, les gens, pas tous évidemment, sont prêts à voir les bébés de l’autre camp être tués”
Cette association montée en 2006 réunit Palestiniens et Israéliens au moins une fois par semaine. Parfois, ils vont manifester, comme devant un tribunal militaire israélien en Cisjordanie. “La déshumanisation n’a jamais été aussi forte, les gens, pas tous évidemment, sont prêts à voir les bébés de l’autre camp être tués”, observe Wishnitzer.
Des discussions transpirent l’incompréhension : pourquoi celui-ci a-t-il rejoint les 360.000 réservistes israéliens ? Pourquoi cet autre justifie la “résistance armée à l’occupation ?”
Parfois, la guerre a même frappé le “camp de la paix”. Les Israéliennes et Palestiniennes de Women Wage Peace (WWP, les femmes œuvrent pour la paix) ont perdu l’une de leurs fondatrices, Vivian Silver, assassinée le 7 octobre au kibboutz Beeri.
“C’est légitime de s’interroger. Ce qui s’est passé est tellement sidérant qu’on n’a pas envie de participer à une forme de statu quo en persistant avec nos anciennes manières de faire, admet Sulaiman Khatib. Les gens sont à fleur de peau (…). Beaucoup de membres s’endorment consumés par la frustration et se réveillent optimistes.”
Entre liberté d’expression et respect de l’autre
La clé, assure pour sa part Doubi Schwartz, un vétéran du dialogue, c’est de “trouver où placer les lignes rouges entre la liberté d’expression et le respect des autres”. Tous les jours, son Alliance pour la paix au Moyen-Orient (ALLMEP) reçoit des appels désemparés de ses membres, plus de 160 structures au Moyen-Orient. “La conversation va drastiquement évoluer, mais que les gens veuillent encore se parler me rend optimiste”, affirme-t-il.
Certaines associations craignent de perdre des financements. Les subsides internationaux pourraient être réorientés vers l’urgence à Gaza. Et certains bailleurs se sont retirés, notamment la Suisse, qui a suspendu le financement de 11 organisations des droits humains, le temps de réévaluer leurs actions.
Nivine Sandouka, d’ALLMEP, appelle de ses vœux “un fonds international pour la paix” sur le modèle des investissements levés à la fin des années 1980 en Irlande du Nord après deux décennies sanglantes. Selon son ONG, plus de 40 dollars étaient alors investis par personne et par an pour la paix, contre trois actuellement en Israël et dans les Territoires palestiniens.
Depuis Tel-Aviv, Yuval Rahamim codirige “le Cercle des parents”, qui rassemble des membres de familles israéliennes et palestiniennes endeuillées par le conflit. “Je vois déjà des gens qui pourraient venir nous rejoindre, après tant de violence. Ça va faire partie du processus personnel pour certains”, conclut-il.