Le conflit Israël-Hamas, un facteur de division entre les pays membres de l’Asean ?

L’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean) est une organisation interrégionale créée en 1967 regroupant dix pays (Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Myanmar, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam). Organisation à vocation économique visant à favoriser les échanges entre les États membres, elle a souvent été critiquée pour son absence de vision stratégique et son influence limitée sur les grands sujets de politiques internationales.

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Une manifestation en Malaysie en soutien aux Palestiniens, en novembre 2012. Crédit: Firdaus Latif / CC

En effet, les règles de l’“Asean way” exigent que les décisions soient prises par consensus sans interférence dans les affaires intérieures des pays membres. En résulte souvent une impuissance politique à peser sur le cours des grandes problématiques des relations internationales.

On le constate à nouveau depuis le déclenchement de la “guerre de Soukkot” entre Israël et le Hamas le 7 octobre dernier, alors même que ce conflit est suivi avec une grande attention dans les pays de l’Asean et spécialement dans les États dont la population est majoritairement musulmane, notamment l’Indonésie, premier pays musulman du monde et la Malaisie.

Une déclaration conjointe minimaliste

Concernant le conflit israélo-palestinien, l’Asean a toujours maintenu une position constante en soutenant une solution à deux États, conformément à la résolution 242 adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU en 1967.

Il aura néanmoins fallu attendre 13 jours après les attaques terroristes du Hamas du 7 octobre 2023, pour que l’Association publie un communiqué conjoint. Celui-ci condamne les attaques contre les populations civiles, appelle à la libération des otages, et encourage un cessez-le-feu pour faciliter l’accès à l’aide humanitaire. Enfin, le communiqué réitère son soutien à la solution à deux États, précisant qu’elle est la seule solution globale, juste et durable pour parvenir à la paix.

En théorie, donc, les États membres défendent une position commune sur la situation au Proche-Orient. En pratique, les divers gouvernements nationaux n’avaient pas attendu le communiqué conjoint et avaient déjà réagi, affichant des prises de positions divergentes et difficilement conciliables.

Des réactions différentes parmi les États membres

Il est possible de dresser une typologie des réactions politiques des gouvernements nationaux de l’Asean, reflet de leurs positionnements géopolitiques hétéroclites vis-à-vis de la crise au Proche-Orient.

Le sultanat de Brunei, l’Indonésie et la Malaisie, pays où la majorité de la population est musulmane, ont soutenu sans équivoque le peuple palestinien.

Les trois gouvernements, qui ne reconnaissent pas diplomatiquement l’État d’Israël, n’ont pas condamné l’attaque du Hamas. Le Premier ministre malaisien, Anwar Ibrahim, a même ouvertement défendu le fait que son pays entretenait une relation officielle avec le groupe terroriste.

En Indonésie, des manifestations massives de soutien au peuple palestinien ont été organisées, illustration du soutien massif de la société civile solidaire avec le peuple palestinien. Alors qu’approche une élection présidentielle très attendue, nul ne doute que les principaux partis multiplieront les signes de sympathie envers la cause palestinienne, qui fait l’unanimité au sein de la classe politique du pays.

D’autres pays membres de l’Asean revendiquent une posture neutre. C’est le cas du Cambodge, du Laos, du Vietnam et de la Thaïlande, qui ont tous appelé les deux camps à faire preuve de la plus grande retenue et à chercher des moyens de désescalade et de cessez-le-feu, sans prendre parti.

La Thaïlande, qui compte près de 26.000 travailleurs en Israël, est néanmoins plus directement concernée par cette crise. Selon le gouvernement de Bangkok, au moins 33 Thaïlandais ont été tués le 7 octobre, 18 ont été blessés, et 16 sont encore retenus en otage par le Hamas.

Enfin, Singapour et les Philippines, pays traditionnellement plus proches des États-Unis ayant tissé des liens importants avec Israël, ont publié des réactions fermes condamnant l’attaque du Hamas, et rappelant le droit légitime d’Israël à défendre son territoire. Ces deux pays entretiennent des relations de défense étroite avec Tel-Aviv.

Au Myanmar, la junte au pouvoir a publié un communiqué prudent pouvant le catégoriser comme un pays neutre. Néanmoins, le Myanmar est le seul pays de l’Asean avec Singapour à ne pas reconnaître l’État palestinien et est traditionnellement un acheteur de matériel militaire israélien.

Un facteur de division entre les États membres ?

Le positionnement des États membres de l’Asean diverge donc fortement sur la question israélo-palestinienne. Par exemple, la position de Singapour se différencie de celle de ces voisins musulmans, notamment dans sa dénonciation explicite du Hamas et dans son soutien à Israël. Pour autant, le gouvernement de la cité-État reste lui aussi prudent. En effet, 14 % des Singapouriens sont ethniquement malais, et disposent d’une reconnaissance particulière dans la Constitution en tant que peuple autochtone.

Si les manifestations propalestiniennes ont été interdites à Singapour, ce fut au nom du maintien de la cohésion nationale, comme l’explique le communiqué de police : “La paix et l’harmonie entre les différentes races et religions à Singapour ne doivent pas être considérées comme acquises, et nous ne devons pas laisser les événements extérieurs affecter la situation interne de Singapour.”

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Le président et le Premier ministre singapouriens ont aussi envoyé des lettres aux dirigeants palestiniens, exprimant leurs condoléances pour les pertes humaines dans la bande de Gaza et promettant un don de 300.000 dollars d’aide humanitaire.

Ces divisions internes à l’Asean sont-elles susceptibles de créer des divisions politiques entre les États membres ? Probablement pas, car conformément au principe de non-ingérence dans les affaires internes, aucun des gouvernements n’a ouvertement critiqué la position d’un autre État membre. Si certains y voient le signe de la traditionnelle impuissance géopolitique de l’Association, rappelons que la région fait toujours face à des menaces de terrorisme, et reste le théâtre de rébellions internes et de différends territoriaux entre États.

Fidèle à ses principes, l’Asean reste donc prudente et n’empiète pas sur la compétence des États membres sur les sujets de politiques internationales. Le conflit israélo-palestinien ne fait pas exception à la règle.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original, signé Paco Milhiet, Visiting fellow au sein de la Rajaratnam School of International Studies (NTU-Singapour), chercheur associé à l’Institut catholique de Paris, Institut catholique de Paris (ICP)