Le Hamas surprend Netanyahou et rebat les cartes dans la région

Inattendue, fulgurante et sans précédent, l’attaque du Hamas contre Israël a été vécue comme un séisme au Proche-Orient. Avec plus de 700 Israéliens tués, des dizaines kidnappés, le Hamas a mis à mal la légendaire fiabilité des renseignements israéliens et l’imperméabilité de sa défense.  

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Des réservistes israéliens mobilisés. Crédit: X

Nul besoin d’être visionnaire pour le prédire, la situation dans la bande de Gaza était au bord de l’explosion. Personne ne pouvait imaginer comment cette explosion prendrait forme, mais les plus avisés pouvaient sentir l’odeur de soufre oppressante qui circulait dans l’air.

Au moins trois raisons peuvent être mises en exergue pour expliquer le timing de cette attaque du mouvement islamiste Hamas qui a choqué Israël et l’opinion publique : la fragilité du gouvernement Netanyahou, le rapprochement mal vu entre certaines puissances régionales et Israël, et l’attitude colonialiste de l’État hébreu.

Déroulement de l’attaque

Cinquante ans et un jour après le début de la guerre israélo-arabe de 1973, soit le 7 octobre 2023, le Hamas déclenche une offensive contre Israël depuis la bande de Gaza. Des milliers de roquettes sont lancées sur Israël.

Au même moment, fait inédit, des centaines de combattants du Hamas infiltrent les territoires israéliens. À bord de véhicules, de bateaux et même de parapentes motorisés, les combattants se sont infiltrés dans des zones urbaines d’Israël comme Ashkelon, Sderot et Ofakim.

Résultats de l’attaque : les combattants du Hamas contrôlent pendant un moment un poste de police à Sderot, s’emparent d’équipements militaires israéliens et surtout prennent en otage une centaine de personnes. Plus de 700 personnes ont été tuées et 2000 blessées côté israélien alors que l’on dénombre plus de 370 Palestiniens tués et 2200 autres blessés du côté du Hamas.

Une grand-mère israélienne de 85 ans prise en otage par le Hamas.Crédit: Hatem Ali / CC

Le gouvernement israélien a officiellement déclaré la guerre dimanche et donné le feu vert à des “mesures militaires significatives” en représailles à l’attaque-surprise du Hamas.

Notre mission pour les prochaines 24 heures est d’évacuer tous les résidents du pourtour de Gaza”, a déclaré le même jour le général Daniel Hagari, assurant que l’armée israélienne avait pris le contrôle des points par lesquels les activistes du Hamas s’étaient infiltrés en Israël la veille à partir de Gaza.

Le concert des condamnations occidentales a immédiatement commencé suite à l’attaque. États-Unis, Allemagne, France, Italie ou Royaume-Uni ont tous, par le biais de leurs plus hautes autorités, pris le parti israélien, qualifiant cette attaque de “barbare”. Pour ces pays qui ont rappelé leur soutien indéfectible à Israël, Tel-Aviv a tous les droits de se défendre contre ces attaques.

De leur côté, la Russie et la Chine ont appelé les deux parties à la retenue et à un cessez-le-feu, alors que l’Iran a salué l’offensive palestinienne.

Du côté du Moyen-Orient et du monde arabe, les réactions sont plus mesurées. À l’instar du Maroc ou de l’Arabie saoudite, la plupart de ces pays ont exprimé leur “préoccupation” à la suite du déclenchement des actions militaires dans la bande de Gaza, tout en rappelant la nécessité de s’en tenir aux résolutions internationales et au principe reconnu de la solution à deux États. Le plus important pour les pays arabes reste que les populations civiles, quelle que soit leur origine, soient épargnées par ce conflit.

Netanyahou dans la tourmente

L’histoire et surtout les Israéliens retiendront que cette attaque sans précédent est survenue sous l’ère Benjamin Netanyahou.

Celui qui se disait être le meilleur rempart face au Hamas, il y a 15 ans déjà, est aujourd’hui pointé du doigt. À la tête du gouvernement le plus à droite de l’histoire de l’État hébreu, Netanyahou devra payer, selon certains, à l’instar du journaliste israélien Gideon Levy, l’arrogance d’Israël, croyant qu’il pouvait “continuer avec le siège de Gaza en mettant deux millions de personnes dans une cage et ne jamais en payer le prix”.

Cette idée largement répandue dans les esprits de ceux qui soutiennent la cause palestinienne ou de ceux qui dénoncent ce qu’ils considèrent comme étant une injustice de la part d’Israël revient en force lorsqu’il s’agit d’expliquer l’attaque du Hamas.

Pour le quotidien israélien Haaretz, représentant la gauche israélienne, “le Premier ministre, qui s’est enorgueilli de sa vaste expérience politique et de sa sagesse irremplaçable en matière de sécurité, a complètement échoué à identifier les dangers dans lesquels il conduisait consciemment Israël lors de l’établissement d’un gouvernement d’annexion et de dépossession, en nommant Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir à des postes clés, tout en adoptant une politique étrangère qui ignore ouvertement l’existence et les droits des Palestiniens”.

Des colonies israéliennes en Cisjordanie.Crédit: AFP

De son côté, Maariv, deuxième plus gros tirage des journaux payants en Israël et d’inspiration de droite, explique que “le problème est que, depuis l’arrivée au pouvoir il y a dix mois des deux partis d’extrême droite d’Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, la majeure partie des effectifs israéliens a été transférée en Judée-Samarie [Cisjordanie occupée] et a été monopolisée pour séparer les terroristes palestiniens de nos extrémistes israéliens, et que notre armée a été distraite de sa mission première de protection du territoire d’Israël. Voilà le résultat”.

En effet, l’une des accusations à laquelle doit faire face Netanyahou est le fait qu’il aurait renforcé le Hamas en visant à affaiblir tout légitime représentant de la cause palestinienne, conformément aux demandes de ses alliés d’extrême droite. Tactiquement, cette décision l’aurait poussé à vider la frontière du sud de ses effectifs militaires pour les concentrer en Cisjordanie.

Une région bouleversée

Trouver une solution au conflit israélo-palestinien est une condition sine qua non pour le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, afin de signer un accord de paix historique avec Israël.

Après la normalisation inattendue des relations avec l’Iran, l’Arabie saoudite tenait à stabiliser la région en normalisant avec Israël. D’ailleurs, les efforts fournis par les deux parties ainsi que par les États-Unis en marge de la dernière assemblée générale de l’ONU n’ont échappé à personne.

Cependant, avec la nouvelle configuration qui s’impose dans la région, Ryad a rapidement repris un discours “classique” inhérent aux nations qui ont ou qui veulent normaliser leurs relations avec Tel-Aviv.

Selon un communiqué de l’agence de presse saoudienne SPA publié le jour même de l’attaque, l’Arabie saoudite déclare suivre “de près l’évolution de la situation sans précédent entre nombre de factions palestiniennes et les forces d’occupation israéliennes, ayant donné lieu à un niveau élevé de violence sur plusieurs fronts”, ajoutant que le royaume “rappelle ses avertissements répétés sur les dangers d’une explosion de la situation en raison de la poursuite de l’occupation, de la privation du peuple palestinien de ses droits légitimes et des provocations systématiques répétées contre les sites sacrés”.

Le ministre des Affaires étrangères saoudien déclarera plus tard dans un communiqué que l’Arabie saoudite rejete le fait de prendre pour cible des civils non armés “de quelque manière que ce soit”.

Soupçons sur l’Iran

L’attaque du Hamas contre Israël est par ailleurs, selon certains médias comme le Wall Street Journal, clairement liée à l’Iran. Sans aucune preuve “pour le moment”, le quotidien américain, proche des lobbys juifs aux États-Unis, assure que la planification et même le feu vert de cette opération ont été donnés par Téhéran.

Une assertion largement relayée, surtout que l’Iran avait prévenu par le biais de son président qu’une “relation entre des pays de la région et le régime sioniste serait un coup de poignard dans le dos du peuple palestinien et de la résistance palestinienne”, juste après l’interview donnée par le prince héritier saoudien à Fox News.

Le secrétaire général américain a également postulé pour cette idée : “Qui s’oppose à la normalisation ? Le Hamas, le Hezbollah, l’Iran. Il ne serait donc pas surprenant qu’une partie de leur motivation ait été de perturber les efforts visant à rapprocher l’Arabie saoudite et Israël”, a-t-il déclaré dimanche sur CNN. “C’est donc certainement un facteur”, a ajouté Blinken.

La situation au Proche-Orient n’a peut-être jamais été aussi compliquée qu’aujourd’hui. La riposte d’un État hébreu traumatisé pourrait enterrer les efforts concédés par Israël pour se rapprocher et gagner la sympathie de ses anciens adversaires. D’un autre côté, si la réaction reste “mesurée”, c’est sans conteste Benjamin Netanyahu qui en fera les frais.