Moyen-Orient : la 78e session de l’Assemblée générale de l’ONU rentrera-t-elle dans l'histoire ?

Beaucoup d’observateurs s’accordent à le dire : la 78e session de l’AG de l’ONU qui s’est ouverte le 5 septembre dernier pourrait être l’une des plus importantes de l’Histoire. Et pour cause, il s’agit du moment choisi par l’Arabie saoudite et Israël d’afficher agressivement leur idylle.

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Les drapeaux d'Arabie saoudite et d'Israël à Washington, le 14 octobre 2021. Crédit: Jonathan Ernst / POOL / AFP

Que ce soit dans les coulisses diplomatiques, ou dans les rédactions de presse ou encore sur les lèvres de toute personne qui suit l’actualité, la rumeur était bien lancée tout au long de l’année : l’Arabie saoudite voudrait formaliser ses relations avec Israël sous le parrainage de Washington.

Chose inimaginable il y a encore quelques années du fait de l’animosité traditionnelle entre les deux pays, notamment à cause de la question palestinienne, la formalisation des relations entre Riyad et Téhéran semble aujourd’hui juste une question de timing.

Une communication agressive et décomplexée

La communication autour du sujet a palpablement augmenté en puissance et en agressivité ces dernières semaines. Le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salmane (MBS) a été le premier à lancer la valse lors d’une interview donnée a Fox News : « chaque jour, nous nous rapprochons de la normalisation des relations de l’Arabie saoudite avec Israël » avait-il déclaré.

Cette interview qui est intervenue en marge de la 78e session de l’Assemblée générale de l’ONU, est hautement stratégique pour l’Arabie saoudite, mais également très symbolique dans la mesure où elle a été donnée à quelques jours de la Fête nationale du royaume.

D’ailleurs, les plus observateurs n’auront pas manqué de remarquer un fait inédit : l’Arabie saoudite avait souhaité le 15 septembre dernier, une bonne “Shana Tova”, fête marquant le début du calendrier hébraïque, à travers certains de ses médias.

Le 23 septembre, jour de fête nationale de l’Arabie saoudite, Israël a rendu la pareille : “Nous adressons nos sincères félicitations au roi, au gouvernement et au peuple du Royaume d’Arabie Saoudite à l’occasion de la quatre-vingt-treizième fête nationale. Qu’Allah vous apporte bonté et bénédictions, sécurité et prospérité, avec nos vœux pour une atmosphère de paix, de coopération et de bon voisinage” peut-on lire sur le compte X officiel du ministère des Affaires étrangères israélien.

De son côté, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a déclaré vendredi, lors de la 78e session de l’Assemblée générale de l’ONU, qu’il pensait qu’Israël et l’Arabie saoudite étaient près de réaliser une “percée spectaculaire”, qui “transformerait” l’ensemble de la région et créerait “un nouveau Moyen-Orient”.

Pour Netanyahou, les deux pays sont “proches d’une paix historique” qui “contribuera grandement à mettre fin au conflit israélo-arabe et encouragera d’autres États arabes à normaliser leurs relations avec Israël tout en améliorant les perspectives de paix avec les Palestiniens”.

Seul bémol et pas des moindres, lors de son discours, Netanyahou n’a pas hésité à brandir une carte du “nouveau Moyen-Orient”, effaçant la Palestine. Sur ladite carte, la Cisjordanie occupée et la bande de Gaza sous blocus semblent faire partie d’Israël.

Les obstacles à la normalisation

Si la volonté des deux protagonistes est claire, il n’en demeure pas moins que les obstacles sur lesquels peut buter cette dynamique sont bel et bien existants et se comptent au moins sur deux doigts : la cause palestinienne et l’Iran.

En effet, l’Iran vit très mal ce rapprochement entre deux puissances régionales de taille. Si Téhéran a enterré la hache de guerre avec l’un de ses plus grands ennemis historiques, l’Arabie saoudite, Israël reste, pour le régime des Mollah, la bête noire à abattre.

Mercredi soir, après l’interview de MBS, le président iranien Ebrahim Raïssi a donné une conférence de presse dans un hôtel en face du siège de l’ONU pendant laquelle il a mis en garde les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite.

La conférence de presse est en elle-même un fait qui rend cette 78e session peu ordinaire dans la mesure ou Ebrahim Raïssi en donne très rarement.

“Nous pensons qu’une relation entre des pays de la région et le régime sioniste serait un coup de poignard dans le dos du peuple palestinien et de la résistance palestinienne”, a alors déclaré le président iranien, allant jusqu’a affirmer qu’initier une relation “entre le régime sioniste et n’importe quel régime de la région dans le but d’apporter la sécurité à ce régime sioniste ne remplira évidemment pas cet objectif”.

Une mise en garde claire donc de l’Iran vis-à-vis de son nouvel ami, l’Arabie saoudite. D’ailleurs, le président iranien est allé encore plus loin dans la mesure où il a donné dimanche une interview inédite à CNN.

Raïssi a ainsi affirmé que les accords d’Abraham – en vertu desquels Israël a établi des liens avec les Émirats, le Bahreïn et le Maroc – ne sont pas un signe d’acceptation réelle d’Israël dans la région de la part de la population, et que dans ce sens, les efforts de Jérusalem pour normaliser les relations avec les puissances régionales, dont l’Arabie saoudite, étaient voués à l’échec.

“Nous disposons aujourd’hui de missiles que nous appelons missiles pour frapper Israël”, a pour sa part déclaré lundi Talaei-Nik, porte-parole du ministère de la Défense iranien dans une logique de “contre-communication” qui refroidit un peu les espoirs des uns et des autres.

Le mécontentement de l’Iran, même s’il est plus idéologique et plus profond, est intimement lié à la cause palestinienne.

En effet, cette dernière reste la grande inconnue de cette équation de la normalisation. Dans ce sens, le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a reçu, ce mardi 26 septembre, une délégation saoudienne.

Pour la partie saoudienne, “la question palestinienne est très importante” dans ce processus de normalisation, avait déclaré MBS à Fox News, sans donner plus de détails.

Pour Mahmoud Abbas, il s’agira de défendre les revendications palestiniennes en cas d’accord tripartite entre les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite et Israël : une augmentation de plusieurs centaines de millions de dollars et davantage de contrôle sur les territoires occupés de Cisjordanie.

Si cette 78eme session de l’AG de l’ONU ne verra pas la formalisation de la normalisation des relations entre Riyad et Tel-Aviv, elle restera sans doute retenue comme ce moment où tout bascule.

On assiste en ce moment aux derniers coups d’une partie d’échecs qui dure depuis des décennies. Arabie saoudite, Israël, Etats-Unis, Iran et même la Chine avancent une dernière fois leurs pions afin de tracer un nouveau contour à la carte géopolitique du Moyen-Orient.