On croyait que les grêlons étaient notre pire ennemi, mais maintenant on en a un autre : le séisme, il a tout défoncé”, lâche l’agriculteur de 56 ans, impuissant dans son oasis de verdure faite de pommiers, de noyers et d’un potager cultivés en terrasse sur les reliefs du Haut Atlas.
Il désigne de ses mains terreuses ses arbres cultivés de génération en génération par sa famille, en contrebas de maisons traditionnelles en pierres et bois, pulvérisées.
Une source de revenus essentielle
La cueillette était prévue pour l’automne. Mais les Golden et Gala gisent aujourd’hui dans l’herbe, leur parfum se mêlant à l’odeur pestilentielle d’un âne en putréfaction coincé sous les gravats, selon les habitants. Elles ne sont pas suffisamment mûres pour être vendues, et c’est toute une saison qui s’envole et la possibilité de rembourser les dettes contractées.
Comme ailleurs dans ces montagnes de la région d’Al Haouz, au sud de Marrakech, l’agriculture réalisée à petite échelle ainsi que les vaches, chèvres ou autre bétail, sont une source de nourriture et de revenus essentielle.
Le gouvernement et d’autres bailleurs ont lancé ces dernières années des programmes, certains de résilience face au changement climatique, d’autres plus spécifiquement destinés à désenclaver ces populations et donner plus d’autonomie aux femmes.
“Nous travaillons dur pour collecter un peu d’argent en récoltant des pommes, afin de nous préparer pour la rentrée scolaire et pouvoir aider un peu notre famille”
Il y a notamment eu des programmes de réutilisation des eaux usées traitées en agriculture et des programmes d’économie d’eau d’irrigation agricole via des systèmes de goutte-à-goutte pour alléger la pression sur la ressource d’eau.
“Nous travaillons dur pour collecter un peu d’argent en récoltant des pommes, afin de nous préparer pour la rentrée scolaire et pouvoir aider un peu notre famille”, explique Jamel Ait Bouyahia, 42 ans. Derrière lui, des enfants s’amusent à sauter sur des matelas entreposés dans la poussière, leur école étant hors d’usage.
Les répercussions sont grandes. Walid Aït Nasser, lycéen de 19 ans, vient aussi de perdre les précieux 80 dirhams journaliers (7,30 euros) que lui rapportaient les petits travaux ponctuels dans les champs.
La sécheresse et le stress hydrique avaient déjà éprouvé ces petits agriculteurs. Le puissant séisme de vendredi soir les a sidérés, tuant onze des 200 habitants du hameau et apportant, dans ce relief rocailleux, un jaune vif de tentes déployées pour abriter les rescapés désormais sans toits.
Il n’y a plus d’habitants ensevelis à rechercher ici, contrairement à des bourgades où les secouristes s’activaient encore jeudi, près de six jours après la catastrophe qui a fait plus de 2900 morts et 5500 blessés.
L’urgence est à la mise à l’abri des habitants. Des femmes trient les couvertures et vêtements livrés sans discontinuer par des civils, les hommes cherchent ici ou là dans les logis encore debout des verres, une casserole, un bidon à sauver du désastre. Mais l’inquiétude du lendemain est là.
Canalisations détruites
“Le secteur le plus gravement touché par le tremblement de terre est l’irrigation, car presque toutes les canalisations ont été détruites”, déplore Jamel Ait Bouyahia, qui estime le manque à gagner avec la récolte perdue à “100 000 dirhams” (920 euros).
Il y a bien de l’eau au puits, “mais des cailloux bougés pendant le séisme ont bloqué des sources”, et “tant qu’on n’a pas résolu ce problème, on n’est pas bien du tout”, ajoute par ailleurs Mohammed Al Moutawak, visage marqué par le soleil.
La problématique de l’accès à l’eau figurera dans les défis de la reconstruction. Selon l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEP) dans la région de Marrakech-Safi, “le réseau de distribution a été touché dans trois communes, Amizmiz, Moulay Brahim et Talat N’Yaakoub, de la province Al-Haouz”.
La phase de reconstruction peut être “un appel du pied aux agents de développement”, estime Hlima Razkaoui, directrice de Care Maroc qui travaille tout particulièrement dans cette région. “Vous avez une carte à jouer pour rebondir, aider ces populations à reconstruire dans un mode résilient et intégrer dès le départ des bonnes pratiques et en prenant en compte à la fois le manque d’eau et le manque d’espace”, dit-elle. Et d’ajouter : “Qui dit reconstruction, dit espoir.”