Explosions, raids aériens et tirs n’ont pas cessé à Khartoum et dans d’autres villes, mais les capitales étrangères sont parvenues à négocier des passages avec les deux belligérants : l’armée du général Abdel Fattah al-Burhane, dirigeant de facto du Soudan, et son adjoint devenu rival, le général Mohamed Hamdane Daglo, qui commande les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR).
Il a fallu “profiter d’une petite fenêtre d’opportunité”, explique un porte-parole du gouvernement britannique. Selon lui, “avec des combats intenses à Khartoum et la fermeture du principal aéroport”, théâtre de combats dès le premier jour des hostilités, le 15 avril, “une évacuation temporaire plus large était impossible”.
De fait, lundi après-midi, le syndicat des médecins lance un appel urgent sur Facebook : “Plusieurs quartiers de Khartoum sont bombardés, il y a des morts civils et une cinquantaine de blessés graves, tous les médecins proches doivent s’y rendre au plus vite.”
Plus de 1000 ressortissants de l’UE évacués
Plus de 1000 ressortissants de l’UE ont malgré tout été évacués, a indiqué le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell. “Un premier groupe” de Chinois, plusieurs dizaines de Sud-Africains et des centaines de ressortissants de pays arabes sont aussi sortis, par la route, la mer ou les airs.
Un Libanais, prêt à embarquer pour l’Arabie saoudite à Port-Soudan, à 850 km à l’est de Khartoum, raconte à l’AFP être parti avec “un tee-shirt et un pyjama”. “C’est tout ce qui me reste après 17 ans” au Soudan, se lamente-t-il.
À Khartoum, “on était en état de siège, comme dans un thriller”, confie-t-il, alors que l’eau courante et l’électricité sont coupées depuis plusieurs jours, le réseau téléphonique fortement dégradé et que les pénuries de nourriture s’installent. “On redoutait de tomber malades ou d’être blessés dans les frappes”, poursuit-il au milieu d’un groupe de familles évacuées, portant valises et sac à dos d’enfants. “La guerre nous est tombée dessus sans avertissement”, et maintenant, “tout est détruit”.
Les violences, principalement à Khartoum et au Darfour, dans l’ouest, ont fait selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) plus de 420 morts et 3700 blessés.
La plupart des étrangers évacués sont des membres du personnel diplomatique. De nombreux ressortissants attendent, eux, toujours une place dans les longs convois de voitures blanches ou les bus qui partent en continu de Khartoum.
À l’arrivée à Djibouti, où sont stationnées de nombreuses troupes étrangères, des familles hagardes débarquent au milieu de militaires qui organisent l’incessant ballet des évacuations.
Et les Soudanais ?
Si de nombreux étrangers sont partis, qu’adviendra-t-il des Soudanais ? se demandent experts et humanitaires. “J’ai peur pour leur avenir”, admet sur Twitter l’ambassadeur norvégien Endre Stiansen.
Les cinq millions d’habitants de Khartoum, eux, n’ont qu’une idée en tête : quitter la ville en proie au chaos.
Les deux camps s’accusent d’avoir attaqué des prisons pour faire sortir des centaines de prisonniers et de piller maisons et usines. Des affrontements ont éclaté aux abords de plusieurs banques, aussitôt vidées.
Dans un pays où l’inflation est déjà à trois chiffres en temps normal, le kilo de riz ou le litre d’essence s’échangent désormais à prix d’or. Or, le carburant est la clé pour s’échapper : il en faut beaucoup pour rejoindre l’Égypte voisine — à 1000 km au nord — vers laquelle des milliers de Soudanais espèrent se tourner. Ou encore pour rallier Port-Soudan et espérer monter dans un bateau, comme l’ont fait les premiers évacués du pays, les Saoudiens.
“Alors que les étrangers qui le peuvent s’enfuient, l’impact des violences sur une situation humanitaire déjà critique s’aggrave”, prévient l’ONU. Sous les tirs croisés, ses agences et de nombreuses organisations humanitaires ont suspendu leurs activités. Cinq humanitaires ont été tués et, selon le syndicat des médecins, près des trois quarts des hôpitaux sont hors service.
Des Soudanais ont déjà fui en Égypte et au Soudan du Sud qui compte 800.000 réfugiés. Parmi eux, des femmes et des enfants retraversent désormais dans l’autre sens, selon l’ONU. Au moins 20.000 Soudanais se sont réfugiés au Tchad, frontalier du Darfour.
Cette région de l’ouest, la plus pauvre du pays, a été ravagée dans les années 2000 par une guerre ordonnée par le dictateur Omar el-Béchir, déchu en 2019, et menée notamment par les miliciens Janjawids, le gros des troupes du général Daglo. Aujourd’hui inaccessible, elle est de nouveau en proie aux pillages, attaques et exactions.
Le Programme alimentaire mondial (PAM) rapporte que “10 véhicules et six camions de nourriture ont été volés”, soit “4000 m3 d’aliments” qui n’iront pas aux 45 millions de Soudanais, dont plus d’un sur trois souffrait de la faim avant le confit.
Celui-ci a dégénéré en guerre samedi. Mais il couvait en réalité depuis des semaines entre les deux généraux. Alliés pour le putsch de 2021, ils ne sont pas parvenus à s’entendre sur l’intégration des FSR aux troupes régulières.
Avec les deux camps engagés dans une guerre de l’information, il est impossible de savoir qui contrôle les institutions du pays ou les aéroports et dans quel état se trouvent les infrastructures.