Présence chinoise en Afrique et Amérique latine : une version moderne de la “malédiction des ressources” ?

La présence croissante de la Chine en Amérique latine et dans les Caraïbes (ALC) invite à des comparaisons avec la présence de la Chine en Afrique puisque cette dernière est antérieure à l’expérience de l’Amérique latine. Plus important encore, toutes les leçons tirées de l’expérience de l’Afrique pourraient permettre aux décideurs politiques des pays de l’ALC d’éviter les pièges ou de maximiser les avantages de leur engagement avec la Chine.

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La China Development Bank est l'un des principaux créanciers des pays en développement et émergents dans le monde. Crédit: Wikimedia Commons

La Chine entretient des relations commerciales avec l’Afrique depuis des siècles, plus précisément depuis la dynastie Tang (618-906 apr. J.-C.). Des porcelaines chinoises du IXe siècle et des pièces de monnaie du XIIe siècle ont été trouvées dans toute l’Afrique de l’Est. Mais la période d’intérêt a commencé il y a près de 50 ans lorsque la Chine a soutenu la construction du chemin de fer Tanzanie-Zambie (Tazara) qui a donné à l’économie enclavée de la Zambie un chemin vers la mer en la reliant au port tanzanien de Dar es Salam.

Ce projet est devenu l’un des plus grands projets d’aide étrangère jamais réalisés en Afrique. Aujourd’hui, la Chine se prépare à engager à nouveau des ressources financières importantes, cette fois pour reconstruire et revitaliser le projet de Tazara.

De son côté, l’Amérique latine entretient des relations commerciales avec la Chine depuis le XVIe siècle, lorsque la route commerciale des galions de Manille permettait l’échange de porcelaine et de soie entre la Chine et le Mexique. Au cours des siècles suivants, des milliers de migrants chinois ont été envoyés travailler au Pérou en tant que serviteurs sous contrat dans des plantations de canne à sucre, mais les grands projets d’infrastructure ne datent que d’environ 2005.

Diplomatie de la dette

Sur les deux continents, des critiques ont été formulées par les gouvernements nationaux ainsi que par les organisations multilatérales occidentales et par les États-Unis dont la rhétorique stridente contre la Chine s’est accrue depuis l’administration Trump. Les critiques les plus saillantes de la présence de la Chine sur les deux continents tournent autour du prétendu “piège de la dette” et de la question de savoir si une nouvelle “malédiction des ressources” est en train d’émerger.

La prétendue préoccupation du “piège de la dette” énoncée par Bellamy qui a employé l’expression “diplomatie de la dette” a été reprise par les responsables américains sous l’administration Trump. Cette étiquette suggère que la Chine se livre à des pratiques de prêts prédateurs en piégeant les pays pour qu’ils acquièrent une dette inutile qui finira par conduire à une augmentation du fardeau de la dette non transparente.

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En Afrique, l’Angola, l’Éthiopie, le Kenya, le Nigéria et la Zambie et en Amérique latine, le Venezuela et l’Équateur semblent faire l’affaire. Pourtant, d’autres chiffres peuvent fournir une perspective différente. Ainsi si, la part de la dette extérieure due par ces pays à la Chine varie de 10 à 20 %, la majeure partie est due à des créanciers occidentaux. De plus, la Chine a déjà engagé des pourparlers de rééchelonnement de la dette avec certains pays et a débloqué des fonds supplémentaires pour les aider à traverser leur crise de liquidité.

Par exemple, L’Équateur restructure 4,4 milliards de dollars d’encours de dette avec la Chine en 2022. Toujours en 2022, Beijing a annoncé qu’elle annulait 23 prêts pour 17 pays africains.

Une préoccupation plus pertinente concernant les deux continents est de savoir si le type de commerce avec la Chine est une version moderne de la “malédiction des ressources”. Des pays comme le Nigeria, l’Angola et la République démocratique du Congo sont des exemples en Afrique, tout comme le Venezuela en Amérique latine.

Marchandise contre infrastructure

Entre 2007 et 2020, les deux principales banques chinoises à l’étranger — la Banque de développement de Chine (CDB) et la Banque d’import-export (EXIM) — ont investi 23 milliards de dollars dans des projets d’infrastructures en Afrique. En Amérique latine, ces banques ont débloqué 26 milliards de dollars. Ces projets peuvent augmenter le commerce des produits de base, mais ils peuvent aussi être des investissements complémentaires à l’infrastructure du pays.

Par exemple, la Chine construit un port en eau profonde à Chancay, au Pérou, pour déplacer les ressources métalliques de ses investissements miniers des hautes terres du pays vers la côte et les marchés d’exportation. Mais cela permettra également d’améliorer le commerce d’autres ressources nationales. Cette approche “marchandise contre infrastructure” peut très bien enrayer le développement d’une “malédiction des ressources”.

Contrairement aux avantages pour la plupart unilatéraux de l’époque coloniale, la Chine peut en fait aider à combler le déficit d’infrastructures en Amérique latine et en Afrique et pourrait même contribuer au développement de leurs secteurs industriels.

Compte tenu de la nature des mégaprojets d’infrastructure (ceux qui coûtent 1 milliard de dollars ou plus), les pays des deux continents sont confrontés à des défis similaires. Les projets ferroviaires, par exemple, dépassent le budget de 44,7 % en moyenne et leur demande est surestimée de 51,4 %. Mais les avantages peuvent provenir de la négociation de la part de la main-d’œuvre chinoise impliquée, de l’amélioration des effets multiplicateurs des dépenses d’infrastructure et de la mise en œuvre de réformes institutionnelles pour éviter la corruption.

Il est incontestable que les revenus du boom des produits de base de la Chine au début de ce siècle ont donné aux pays de l’ALC des recettes budgétaires pour augmenter les dépenses dans les programmes de lutte contre la pauvreté et même réduire les inégalités de revenus. Mais les avantages varient considérablement d’un pays à l’autre et les nuances des différents types d’engagement avec la Chine devraient être examinées.

Au moment où les institutions financières occidentales imposent une conditionnalité politique et ont même retiré leur financement comme cela s’est produit lors de la Grande crise financière de 2007-2008, les investissements de la Chine semblent moins onéreux et plus faciles à sécuriser.

Le défi de la diversification

Le commerce sino-africain et le commerce sino-ALC continuent de croître même si les investissements et les prêts chinois dans ces régions ont ralenti. La diversification commerciale et la diversification des pays demeurent l’un des principaux défis à relever.

Pour relever ce défi, les deux régions doivent entreprendre des réformes institutionnelles qui pourraient stimuler leurs secteurs manufacturiers et accroître leur participation aux chaînes d’approvisionnement mondiales. Ceci, associé à la prudence lors de l’acquisition d’une dette, déterminera la manière dont les gains de l’engagement avec la Chine seront répartis entre les concernés des deux régions.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Voici l’article original, signé , professeur d’économie, State of New York University Cortland, professeur invité à l’Université de La Rochelle