S’exprimant lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale, le président Saied a prôné mardi des “mesures urgentes” contre l’immigration clandestine de ressortissants de pays d’Afrique subsaharienne, affirmant que leur présence en Tunisie était source de “violence, de crimes et d’actes inacceptables”. Il a tenu des propos très durs sur l’arrivée de “hordes de migrants clandestins” et insisté sur “la nécessité de mettre rapidement fin” à cette immigration.
Cette immigration clandestine relevait d’une “entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie”, afin qu’elle soit considérée comme un pays “africain seulement” et estomper son caractère “arabo-musulman” a-t-il soutenu lors de cette réunion “consacrée aux mesures urgentes qui doivent être prises pour faire face à l’arrivée en Tunisie d’un grand nombre de migrants clandestins en provenance d’Afrique subsaharienne”, selon un communiqué de la présidence.
“Ce discours provoque une grande déception et une grande consternation”, a réagi auprès de l’AFP Romdhane Ben Amor, porte-parole du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES). Et de souligner que “ce discours raciste et haineux marque un jour triste. Le fait que le président d’un pays signataire de conventions internationales sur l’immigration tienne un tel discours est extrêmement grave”.
Le discours de M. Saied, qui concentre tous les pouvoirs après avoir suspendu en juillet 2021 le Parlement et limogé le gouvernement, survient alors que le pays traverse une grave crise économique marquée par des pénuries récurrentes de produits de base, sur fond de tensions politiques.
Ce discours survient également quelques jours après qu’une vingtaine d’ONG tunisiennes ont dénoncé la montée d’un “discours haineux” et du racisme à leur égard dans le pays.
“Ce discours ne ressemble en rien à la Tunisie”
“Le président instrumentalise la crise des migrants pour détourner l’attention de l’opinion publique des questions économiques et sociales en inventant un nouveau danger”, affirme M. Ben Amor.
“Ce discours ne ressemble en rien à la Tunisie. Le standing international de la Tunisie et son histoire humanitaire sont beaucoup plus grands que ce discours”, a réagi sur Facebook le président de l’Observatoire tunisien des droits de l’Homme Mostafa Abdelkebir.
Mnemty, une association qui lutte contre les discriminations, a elle aussi condamné le communiqué de la présidence tunisienne, le qualifiant de “discours de racisme et de haine et d’incitation à la violence contre les migrants subsahariens.”
Dans un communiqué conjoint, 18 autres ONG et associations, dont la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH), ont exprimé leur “solidarité pleine et inconditionnelle avec les migrants subsahariens et leurs défenseurs”, estimant que le discours du président Saied rappelait “l’époque des camps d’extermination nazis de la Seconde Guerre mondiale”.
Les déclarations de M. Saied sur l’existence d’une “entreprise criminelle” visant à changer la composition démographique de la Tunisie ont suscité des comparaisons avec la théorie complotiste du “grand remplacement” endossée en France par le polémiste d’extrême droite Eric Zemmour.
Les pays du Maghreb eux-mêmes commencent à sonner l’alarme face au déferlement migratoire. Ici, c’est la Tunisie qui veut prendre des mesures urgentes pour protéger son peuple.
Qu’attendons-nous pour lutter contre le Grand Remplacement ?https://t.co/Jqidp0cg43
— Eric Zemmour (@ZemmourEric) February 22, 2023
“Les pays du Maghreb eux-mêmes commencent à sonner l’alarme face au déferlement migratoire. Ici, c’est la Tunisie qui veut prendre des mesures urgentes pour protéger son peuple. Qu’attendons-nous pour lutter contre le Grand Remplacement ?”, a commenté M. Zemmour sur Twitter en partageant un article de presse sur les propos tenus par M. Saied.
D’après des chiffres officiels italiens, plus de 32.000 migrants, dont 18.000 Tunisiens, sont arrivés clandestinement en Italie en provenance de Tunisie en 2022.
(avec AFP)