Le Conseil d’État se réunira à 11 heures. Sa décision est attendue dans les 48 heures. Le ministre de l’Intérieur avait annoncé le 28 juillet l’expulsion d’un prédicateur du Nord, Hassan Iquioussen, réputé proche des Frères musulmans, pour des appels à la haine et à la violence contre la communauté juive notamment.
Dans un arrêté ministériel que l’AFP a pu consulter, le ministère de l’Intérieur justifiait cette expulsion par le fait que l’imam, né en France il y a 58 ans mais de nationalité marocaine, diffusait “auprès d’un large public depuis le début des années 2000 (…) un discours prosélyte émaillé de propos incitant à la haine et à la discrimination et porteur d’une vision de l’islam contraires aux valeurs de la République”.
Le ministère reprochait notamment à l’imam “un discours à teneur antisémite particulièrement virulent” et de prôner la “soumission” des femmes “au profit des hommes”. L’arrêté d’expulsion dénonçait également l’encouragement “au séparatisme” et le “mépris de certaines valeurs républicaines telles que la laïcité et le fonctionnement démocratique de la société française”. Gérald Darmanin a également indiqué début août que Iquioussen était fiché S (pour sûreté de l’État) par la DGSI “depuis dix-huit mois”.
“C’est à la justice de décider de l’éloignement” de Iquioussen, avait réagi son avocate Me Lucie Simon après l’annonce de l’arrêté d’expulsion. “Le droit au recours effectif est garanti par la Constitution, l’expulsion de M. Iquioussen ne saurait avoir lieu avant qu’un juge impartial ne se prononce sur sa légalité”, avait insisté l’avocate en estimant que son client “ne représente aucune menace grave pour l’ordre public”.
Une atteinte à la vie privée et familiale ?
L’avocate avait déposé devant le tribunal administratif de Paris un recours contre l’arrêté d’expulsion. “Votre tribunal ne doit pas servir de caution judiciaire aux effets d’annonce politique du gouvernement. Ça créerait un précédent terrible, une entaille dans l’État de droit”, avait plaidé l’avocate le 4 août devant le tribunal administratif.
Le lendemain, ce tribunal décidait de suspendre l’expulsion vers le Maroc de Iquioussen en estimant qu’elle porterait une “atteinte disproportionnée” à la “vie privée et familiale” de l’imam.
Le tribunal avait dans le même temps admis que l’imam avait tenu des “propos rétrogrades” sur la place de la femme dans la société française, mais que cela ne pouvait justifier la mesure d’expulsion de Iquioussen “né en France où il réside depuis sa naissance avec son épouse et ses cinq enfants français et ses quinze petits-enfants français”.
“Soit la loi permet à la France de se protéger, soit elle ne permet pas de l’expulser et, dans ce cas, il faudra changer la loi pour défendre davantage les Français”
Concernant les propos antisémites reprochés à l’imam, le tribunal notait que les “propos litigieux” ont été proférés entre 2003 et 2005, puis, en dernier lieu en 2014. “L’intéressé a publiquement et vivement condamné l’antisémitisme dans une vidéo du 19 février 2015”, a indiqué le tribunal administratif en soulignant qu’“il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il aurait réitéré des propos antisémites postérieurement à 2014”.
Dans un entretien publié par le Journal du dimanche, Darmanin s’est dit “surpris” par la décision du tribunal administratif.
“Jihadisme d’atmosphère”
“Le Conseil d’État appliquera le droit. Soit la loi permet à la France de se protéger, soit elle ne permet pas de l’expulser et, dans ce cas, il faudra changer la loi pour défendre davantage les Français”, a commenté le ministre de l’Intérieur, en accusant Hassan Iquioussen d’être de “ceux qui sèment un jihadisme d’atmosphère”.
Depuis qu’elle a pris la défense de Hassan Iquioussen, Me Lucie Simon a reçu de nombreux messages de menaces et d’injures. L’une des trois magistrats qui a signé l’ordonnance de suspension de l’expulsion de l’imam a elle aussi été menacée et a vu son nom publié sur Twitter. Les deux femmes ont déposé plainte auprès du tribunal judiciaire de Paris.
Le Syndicat des avocats de France (SAF) appelle les avocats à se rassembler devant le Conseil d’État vendredi et demande que le garde des Sceaux Éric Dupond Moretti “dénonce publiquement” ces menaces, qui sont des “actes graves”.