La nouvelle loi fondamentale a été adoptée à une majorité écrasante de 94,6 %, selon des résultats officiels préliminaires annoncés tard mardi par le président de l’autorité électorale Isie, Farouk Bouasker, à l’issue de longues opérations de dépouillement. “L’Isie annonce que la nouvelle Constitution a été acceptée”, a déclaré Bouasker.
Le taux de participation, considéré comme très faible, a un peu augmenté “à 2,756 millions d’électeurs”, soit 30,5 % des inscrits, selon de nouveaux chiffres de l’Isie, contre 2,46 millions de votants et une participation de 27,54 % annoncés la veille.
La coalition d’opposants Front du salut national (FSN), qui avait appelé à boycotter le scrutin dénonçant un texte “taillé sur mesure” pour Saied, a accusé l’Isie d’avoir “falsifié” en amplifiant les chiffres sur l’affluence au scrutin.
Pour le FSN, dont fait partie le mouvement d’inspiration islamiste Ennahdha, bête noire du président, en n’allant pas aux urnes, “75 % des Tunisiens ont refusé de donner leur approbation au projet putschiste lancé il y a un an par Kais Saied”.
Une Constitution liberticide ?
La Tunisie, confrontée à une crise économique aggravée par le Covid et la guerre en Ukraine dont elle dépend pour ses importations de blé, est très polarisée depuis que M. Saied, élu démocratiquement en 2019, s’est emparé de tous les pouvoirs le 25 juillet 2021, arguant d’une ingouvernabilité du pays.
Dans la première prise de position étrangère sur ce référendum contesté, les États-Unis ont mis en garde contre le risque que la Constitution ne garantisse pas suffisamment les droits et libertés des Tunisiens.
“La nouvelle Constitution inclut des mécanismes de contrepoids affaiblis, qui pourraient compromettre la protection des droits humains et des libertés fondamentales”, s’est inquiété Ned Price, porte-parole du département d’État américain.
Said Benarbia de l’ONG Commission internationale des juristes a émis des doutes “sur la légitimité” du vote avec une aussi faible participation. Pour l’analyste Youssef Cherif, “la plupart des gens ont voté pour l’homme (Kais Saied) ou contre ses opposants, pas pour son texte”.
C’est le cas de Noureddine al-Rezgui, un huissier qui travaille à Tunis : “Après 10 ans de déceptions et de faillite totale dans la gestion de l’Etat et de l’économie, les Tunisiens veulent se débarrasser du vieux système et marquer un nouveau tournant”. Pour lui, “le fait que le niveau de participation ne soit pas génial, c’est normal et comme dans le reste du monde, par exemple aux dernières législatives en France”.
L’expert Abdellatif Hannachi relativise aussi la faible affluence, la jugeant “tout à fait respectable compte tenu de l’organisation du scrutin en été, pendant les vacances et en pleine chaleur”.
Dès la publication des estimations de l’institut de sondage indépendant Sigma Conseil lundi soir, des centaines de partisans du président sont descendus fêter “sa victoire” sur l’avenue Bourguiba, dans le centre de Tunis.
Vers 1 h GMT, Kais Saied s’est présenté devant la foule en liesse. “La Tunisie est entrée dans une nouvelle phase”, a-t-il dit, assurant que la Constitution permettrait de passer “d’une situation de désespoir à une situation d’espoir”.
Absence de contre-pouvoirs
Les votants étaient surtout “les classes moyennes les plus lésées, les adultes qui se sentent floués économiquement, politiquement et socialement”, a analysé pour l’AFP le directeur de Sigma Conseil, Hassen Zargouni.
La nouvelle Constitution accorde de vastes prérogatives au chef de l’Etat, en rupture avec le système parlementaire en place depuis 2014. Le président qui ne peut être destitué désigne le chef du gouvernement et les ministres et peut les révoquer à sa guise. Il peut soumettre au Parlement des textes législatifs qui ont “la priorité”. Une deuxième chambre représentera les régions, en contrepoids de l’Assemblée des représentants (députés) actuelle.
Sadok Belaïd, le juriste chargé par Saied d’élaborer une ébauche de Constitution, a désavoué le texte final, estimant qu’il pourrait “ouvrir la voie à un régime dictatorial”.
Les défenseurs des droits humains et l’opposition dénoncent l’absence de contre-pouvoirs et de garde-fous dans ce texte. Kais Saied, 64 ans, considère cette refonte comme le prolongement de la “correction de cap” engagée le 25 juillet 2021 quand, arguant des blocages politico-économiques, il a limogé son Premier ministre et gelé le Parlement avant de le dissoudre en mars.
Si des espaces de liberté restent garantis, la question d’un retour à une dictature comme celle de Zine el Abidine Ben Ali, déchu en 2011 lors d’une révolte populaire, pourrait se poser “dans l’après-Kais Saied”, selon Cherif.
Pour de nombreux experts, l’avenir politique de Saied dépendra de sa capacité à relancer une économie dans une situation catastrophique avec un chômage très élevé, un pouvoir d’achat en chute libre et un nombre de pauvres qui augmente.