Le pays, plongé dans des difficultés économiques, aggravées par l’épidémie de Covid puis la guerre en Ukraine, est aussi en proie à une profonde crise politique depuis que le président s’est emparé de tous les pouvoirs il y a un an, arguant de l’ingouvernabilité du pays.
Une poignée de six ou sept électeurs s’est présentée dès l’ouverture à 5 h GMT du bureau de vote de la rue de Marseille au centre de la capitale, ont constaté des journalistes de l’AFP. “Quelle est l’importance du référendum ? C’est important pour mon pays, l’avenir de mon pays”, a déclaré à l’AFP Tarek Jemaï, un ouvrier agricole de 42 ans.
Évoquant un “choix historique”, le président accompagné de son épouse Ichraf Chebil après avoir voté dans le quartier bourgeois de Cité Ennasr, a appelé le peuple tunisien à se rendre aux urnes pour “établir une nouvelle République fondée sur la vraie liberté, la vraie justice et la dignité nationale”.
Fin du système parlementaire ?
Le projet de Constitution instaure un régime ultra-présidentiel accordant de vastes pouvoirs au chef de l’Etat, en rupture avec le système parlementaire en place depuis 2014, source de conflits entre le Parlement et le gouvernement.
La participation est le principal enjeu du référendum pour lequel aucun quorum n’est requis et où le oui est donné favori, les grands partis d’opposition ayant appelé à boycotter le scrutin.
Selon l’autorité électorale Isie, 9.296.064 Tunisiens sont inscrits pour participer à ce référendum. Pour le moment, le taux de participation des 356.291 Tunisiens de l’étranger est faible, allant de 4 à 6 %, selon Farouk Bouasker, le président de l’Isie.
Dans le nouveau texte de la Constitution, le président désigne le chef du gouvernement et les ministres et peut les révoquer à sa guise, sans nécessité d’obtenir la confiance du Parlement. Il entérine les lois et peut soumettre au Parlement des textes législatifs qui ont “la priorité”. Une deuxième chambre devant représenter les régions sera établie pour contrebalancer l’Assemblée des représentants (députés) actuelle.
Sadok Belaïd, le juriste chargé par Saied d’élaborer la nouvelle Constitution, a désavoué le texte final, estimant qu’il pourrait “ouvrir la voie à un régime dictatorial”.
Vers une dictature dans le pays du jasmin ?
L’opposition et de nombreuses ONG ont dénoncé un texte “taillé sur mesure” pour Saïed, l’absence de contre-pouvoirs et le risque de dérive autoritaire d’un président n’ayant de comptes à rendre à personne.
L’opposition, aussi bien le mouvement d’inspiration islamiste Ennahdha, bête noire de Saied que le Parti destourien libre d’Abir Moussi, ont appelé au boycott du scrutin, invoquant un “processus illégal” et sans concertation.
La puissante centrale syndicale UGTT, moins présente dans la vie politique qu’autrefois, n’a pas donné de consigne de vote.
Personnage insondable et complexe, le président Saied exerce le pouvoir de manière de plus en plus solitaire depuis un an. Âgé de 64 ans, Saied considère sa refonte de la Constitution comme le prolongement de la “correction de cap” engagée le 25 juillet 2021 quand, arguant de blocages politico-économiques, il a limogé son Premier ministre et gelé le Parlement avant de le dissoudre en mars, mettant en péril la seule démocratie issue du Printemps arabe.
Pour le chercheur Youssef Cherif, “le fait que les gens puissent encore s’exprimer librement, qu’ils puissent aller voter non (au référendum) sans aller en prison montre que nous ne sommes pas dans le schéma traditionnel de la dictature”.
Mais la question pourrait se poser, selon lui, dans l’après-Saied, avec une Constitution qui “pourrait construire un régime autoritaire ressemblant aux régimes que la Tunisie a connus avant 2011”, la dictature de Zine el Abidine Ben Ali et le régime autocratique du héros de l’indépendance Habib Bourguiba.
Au lendemain du vote, le principal défi du président restera la grave situation économique avec une croissance poussive (autour de 3 %), un chômage élevé (40 % chez les jeunes), une inflation galopante et l’augmentation du nombre de pauvres à 4 millions de personnes.
La Tunisie, en profonde crise financière avec une dette supérieure à 100 % du PIB, négocie depuis des mois un nouveau prêt avec le FMI qui a fait état, avant le référendum, de “progrès satisfaisants” en vue d’un accord, mais exigera en retour des sacrifices, susceptibles de provoquer des réactions dans la rue.