Au bureau de vote 607 de Marseille, certains ont longtemps hésité sur le bulletin à glisser dans l’enveloppe : « Sur les 12, j’en avais sélectionné 4 hier soir, et je me suis décidée ce matin », explique Françoise Reynaud, 55 ans. La participation à midi s’établit à 25,48%, soit trois points de moins qu’en 2017 (28,54%) et qu’en 2012 (28,3%), selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. En ce dimanche ensoleillé partout dans le pays, quelque 48,7 millions d’électeurs départagent les douze candidats à l’Elysée. Le verdict des urnes est attendu à 20H00, avec les premières estimations des instituts de sondage.
Elle est toutefois plus élevée de quatre points que le 21 avril 2002 (21,39%), année record pour l’abstention à un premier tour d’élection présidentielle. Le sortant centriste Emmanuel Macron (LREM) et Marine Le Pen (RN) sont, comme il y a cinq ans, les favoris pour se qualifier au second tour le 24 avril, avec Jean-Luc Mélenchon (LFI) en embuscade dans le rôle du 3e homme. Les dernières enquêtes publiées dans la semaine promettaient entre 25 et 28% des voix à M. Macron, 21,5 à 24% à Mme Le Pen, et de 16 à 18% à M. Mélenchon -ces deux derniers ayant été en progression continue dans la fin de campagne.
La forte indécision des électeurs fait que les politologues n’excluent pas qu’une surprise puisse bousculer ce tiercé donné par les sondages. A Libourne, 25.000 habitants dans la banlieue viticole de Bordeaux, vers 8h30, « on voit qu’il y a du monde, il y a de la mobilisation, par rapport aux autres élections comme les européennes ou les régionales », constate Laurence Rouède, 1ere adjointe au maire qui préside le bureau de l’hôtel de ville. « Et on a eu 24 procurations, ce qui est la fourchette haute ».
A Marseille, les yeux pétillants de fierté, Ali Msaidie sort du bureau de vote de l’école élémentaire Saint-Charles 2, à proximité de la gare du même nom, dans un quartier populaire. Il vient juste de déposer son bulletin dans l’urne, disposée dans une salle de classe décorée de dessins d’enfants puis de passer le hall où est accrochée une grande carte de France. A 53 ans, c’est la première fois que cet accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH) a le droit de voter pour une élection présidentielle en France, pays où il vit depuis 21 ans. « Je me suis battu tellement d’années pour être naturalisé, avoir la nationalité française. C’est la première fois que je peux voter pour une présidentielle, c’est tellement important pour moi de pouvoir faire partie de ceux qui choisissent !« , dit à l’AFP, cet homme né aux Comores.
A Pantin, Michèle Monnier, 77 ans, retraitée, ancienne gardienne d’école, a voté tôt elle aussi. »Les femmes de mon époque se sont battues pour voter donc quelle que soit l’élection j’irai voter« , lance-t-elle en sortant de la boulangerie. Blandine Lehout, 32 ans, comédienne, se rend au marché avec sa fille : « C’est la première fois de ma vie que je ne vais pas voter. Aux législatives j’irai voter, mais là je les déteste tous. On est à un stade où ils me font peur. »
Gallet Rochdy, technicien de 20 ans, « hésite à y aller », même s’il a fait le déplacement jusqu’au bureau de vote : « Si j’avais pas le temps j’y serais pas allé. C’est pour ne pas avoir l’air trop bête si c’est l’un des pires qui est élu. Mais est ce que ça compte vraiment ? Si tout le monde vote, oui, mais ici les 3/4 votent pas, donc c’est pas notre voix qui est vraiment représentée. » La candidate socialiste Anne Hidalgo a déposé la première son bulletin dans l’urne à Paris, suivie par Jean-Luc Mélenchon à Marseille, Philippe Poutou à Bordeaux, Valérie Pécresse à Vélizy-Villacoublay (Yvelines), Jean Lassalle à Lourdios-Ichère (Pyrénées-Atlantiques), Fabien Roussel à Saint-Amand-les-Eaux (Nord) et Marine Le Pen à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais). M. Macron et son épouse Brigitte ont voté peu après 12H30 dans le même département, au Touquet.
Parmi les prétendants semblant loin du second tour figurent les candidates des deux partis qui ont dominé pendant des décennies la vie politique en France, Valérie Pécresse (Les Républicains) et Anne Hidalgo (Parti socialiste). L’incertitude demeure car, prévient le politologue Pascal Perrineau, « c’est la première élection qui atteint un tel taux de personnes qui sont indécises, qui ont changé d’opinion, à peu près un Français sur deux« . Commencée alors que le pays subissait une vague de Covid-19, la campagne s’est poursuivie avec en toile de fond angoissante l’invasion de l’Ukraine par la Russie, suivie d’une forte hausse des prix de certains produits, en particulier l’énergie.
A aucun moment, un grand thème d’avenir n’a été débattu par l’ensemble des candidats. « Nous avons une sorte d’archipélisation des débats avec de petits duels », relève le sondeur Frédéric Dabi (Ifp), notamment entre le polémiste d’extrême droite Eric Zemmour et la candidate LR Valérie Pécresse ou entre l’Insoumis Jean-Luc Mélenchon et les autres candidats d’une gauche fragmentée, l’écologiste Yannick Jadot, le communiste Fabien Roussel, la socialiste Anne Hidalgo ou les trotskistes Philippe Poutou et Nathalie Arthaud.
Le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan et le député béarnais Jean Lassalle ont eux regretté une campagne sans débat. Le président sortant, qui s’est toujours maintenu en tête des sondages, est entré en campagne tardivement, empêché d’abord par la crise sanitaire, puis par l’invasion de l’Ukraine par la Russie.Il a donné un coup d’accélérateur en fin de semaine, avec plusieurs interviews, effectuant même vendredi une courte visite impromptue sur un marché de Neuilly-sur-Seine. Marine Le Pen a elle aussi a mené une campagne atypique, s’évertuant à lisser son image et mettant au second plan, dans ses discours, ses propositions sur l’immigration et sur l’Europe, qui restent pourtant aussi radicales que par le passé.