Né dans le cadre du programme « Undercurrents », qui englobe un consortium comptant l’espace Le 18 (Marrakech), la Fondation Dar Bellarge (Marrakech) et le Maha Art Space (Tanger), le podcast « Sma3 Sawt Alfen » (écoute la voix de l’art), diffusé tous les mercredis depuis le 27 novembre, donne la parole à des artistes et à des acteurs culturels issus de différents backgrounds et de différentes régions du Royaume.
« Un moyen de plaidoyer »
« Au début, l’idée était de faire une publication. Mais j’ai opté pour un format ludique de podcast sonore, qui soit inclusif et qui soit aussi un moyen de plaidoyer », raconte à TelQuel Mehdi Azdem, chercheur en communication et ingénierie culturelle, et créateur du podcast. Cela permet aussi de « donner la parole à des artistes et de comprendre leurs trajectoires et leur quotidien », nuance-t-il.
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Dans le cadre d’Undercurrents, programme de formation et d’accompagnement à la structuration financé par l’Union européenne (UE) et Al Mawrid Attaqafi (Beyrouth, Liban), « j’ai assuré un cycle de formation en faveur des membres du consortium sur la gouvernance culturelle au Maroc », raconte Mehdi Azdem.
Ces cycles de formations consistaient en la « compréhension des mécanismes juridiques, légaux, de l’organisation du travail artistique au Maroc, et sur d’autres sujets comme le statut de l’artiste, les lois qui gèrent le travail artistique, ainsi que l’organisation au niveau national, régional et local », explique le chercheur.
« Sma3 Sawt Alfen » se veut donc une « restitution » des formations et des travaux qui ont été réalisés jusqu’ici, et être un moment de partage des expériences humaines d’artistes et d’acteurs culturels marocains, avec un public plus large. « L’essentiel, c’était de donner un aperçu sur la situation actuelle et surtout, celle du post Covid-19 », nuance Mehdi Azdem.
« Une situation fragile »
En effet, selon le chercheur, « la situation des artistes et acteurs culturels au Maroc reste un peu fragile et dépend aussi des secteurs artistiques », précise-t-il. Ainsi, « entre le cinéma, la littérature et les arts visuels, les situations sont différentes ». Déterminer la situation des artistes revient à savoir si « le secteur est générateur de revenus, s’il dispose d’un budget, et d’une réglementation qui lui est propre », explique le chercheur. « En général, on peut dire que la situation est en cours de développement, mais je ne dirais pas qu’elle est parfaite », tranche-t-il.
De son côté, l’autrice et militante féministe Fedwa Misk, invitée du premier épisode de « Sma3 Sawt Al Fen », pointe du doigt cette fragilité du statut de l’artiste, en évoquant ses débuts dans le milieu, après avoir étudié en médecine. « Au début, ma mère était fière de moi… mais quand elle voyait que je n’avançais pas bien dans mes études et dans ma thèse, c’était devenu la guerre », se souvient la fondatrice de Qandisha, webzine collaboratif féminin, fondé en 2011, qui a été séduite par le monde de l’écriture, du théâtre et de la BD, renonçant ainsi à son métier de médecin.
Par ailleurs, les deux acteurs s’accordent à dire qu’au Maroc, l’artiste reste mal vu et « dévalorisé par la société ». « Parce que, explique Mehdi Azdem, au regard de la population et de la société, le travail de l’artiste reste quelque chose de secondaire ». En plus, « au niveau de la législation, il n’existe pas de couverture sociale généralisée ou la garantie d’une retraite pour les travailleurs ou les artistes », fait savoir le chercheur.
Il faut créer un public qui soit initié à aller voir des spectacles de théâtre, acheter des livres, afin de sortir de cette logique de gratuité de faire les choses sans aucune vision
Dans ces circonstances non enviables, l’artiste est condamné à multiplier les casquettes, pour se procurer une sorte de « sécurité que l’art et la culture n’offrent, malheureusement, pas », avoue Fedwa Misk. Et d’ajouter : « je suis obligée, malgré mon métier de consultante auprès de plusieurs organismes, de faire pas mal de choses pour subvenir à mes besoins », raconte-t-elle à « Sma3 Sawt Alfen ».
Que faire ?
« 90% des artistes font (ce qu’ils font) par passion, ce n’est pas parce qu’ils ne peuvent pas travailler ou galérer, mais c’est (leur) ADN qui s’exprime », explique Fedwa Misk, qui, elle-même, n’a pas échappé au poids des stéréotypes et des clichés qui menacent toute créativité. D’où l’importance d’« appliquer les textes de loi existants, car il ne suffit pas de mettre en place des statuts et des lois organiques qui restent noir sur blanc, il faut les appliquer sur le terrain et faire le suivi avec les acteurs, avec les artistes, aussi bien dans le milieu urbain que rural, que l’on a tendance à oublier », insiste Mehdi Azdem.
« Il faut créer aussi un public qui soit initié à aller voir des spectacles de théâtre, acheter des bouquins, afin de sortir un peu de cette logique de gratuité de faire les choses sans aucune vision », recommande le spécialiste.
Pour sa part, Fedwa Misk appelle à la mise en place d’un « système de retraite obligatoire et symbolique » et à donner des occasions aux artistes qui sont en mesure de contribuer significativement dans le développement du secteur. « Au lieu d’employer des fonctionnaires… Mieux vaut recruter des artistes qui sont là et qui ont besoin de travailler », confie-t-elle.