Parution : Gilbert Sinoué à la rencontre des héroïnes de l’histoire marocaine

Avec “Pionnières et héroïnes”, le romancier franco-égyptien Gilbert Sinoué dédie un ouvrage de plus au Maroc, qu’il a découvert il y a quelques années. Publié par les éditions La Croisée des chemins, ce recueil contient les portraits de douze femmes, souvent oubliées, qui ont marqué l’histoire du royaume.

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“Ces femmes, sur lesquelles j’ai voulu écrire, ne sont que très peu mentionnées. Pour certaines, on retrouve leurs traits essentiels brossés dans certaines archives, mais jamais de documentation complète et exhaustive. Ceux qui ont écrit l’histoire étaient des hommes”, souligne l’écrivain. Crédit: DR

Elles sont guerrières, poétesses, soignantes, résistantes ou miraculées. Dans son dernier ouvrage, le romancier Gilbert Sinoué rend hommage à douze femmes qui ont marqué l’histoire millénaire du Maroc. Leur vie, méconnue des historiens et souvent ignorée par les manuels scolaires, est entourée de mythes et légendes.

L’idéal pour un romancier qui a toujours aimé écrire entre les lignes de l’histoire afin d’en inventer d’autres. Alors qu’il achève le manuscrit du troisième tome de sa saga consacrée à l’histoire du Maroc, qui va jusqu’à l’indépendance du pays, Gilbert Sinoué publie donc Pionnières et héroïnes aux éditions la Croisée des chemins. Il nous plonge, une fois de plus, dans les aventures épiques que renferme l’histoire du Maroc.

“L’histoire du Maroc, c’est Shakespeare”

Il s’agit d’un troisième ouvrage que Gilbert Sinoué consacre au Maroc, outre celui dont il est en train d’achever l’écriture. La liste commence à s’allonger. Pourtant, le romancier est d’origine égyptienne, et n’a longtemps connu le Maroc qu’à travers le prisme du tourisme, à Marrakech. “C’est à travers deux amis marocains, deux rencontres, que j’ai découvert ce pays et son histoire. J’ai été contaminé, en quelque sorte, par cette passion”, s’amuse le romancier.

“Moi qui aime les sagas, j’ai trouvé une matière dense dans l’histoire du Maroc”

Gilbert Sinoué

Pourtant, il le jure : le troisième tome de sa trilogie, qui a débuté avec L’île du couchant et Le bec de canard, sera son dernier ouvrage consacré à notre pays. “J’ai écrit ce que j’avais à écrire”, confie-t-il.

De l’Égypte à l’Arménie, en passant par l’Écosse, l’Andalousie et l’Empire romain, c’est ainsi que s’est construite la trajectoire romanesque de Gilbert Sinoué. “J’ai toujours eu des phases d’obsession sur une époque, une géographie donnée. L’inspiration vient de là”, poursuit ce romancier à la bibliographie bien fournie, dominée par le genre du roman historique.

“Moi qui aime les grands récits, les sagas, j’ai trouvé une matière exceptionnellement dense dans l’histoire du Maroc. De la résistance des tribus amazighes à la conquête arabe, au règne du bâtisseur et visionnaire Moulay Ismaïl, l’histoire du Maroc, c’est Shakespeare”, sourit Gilbert Sinoué.

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Pionnières et héroïnes s’inscrit dans cette continuité. On y retrouve des portraits et des tranches de vie, tous marqués par une narration différente, les noms de Sayyida Al Horra, Kharboucha, Hafsa Bint El-Hajj, la Chérifa Emily Keene, ou encore Fatima Al Fihriya.

“Ces femmes, sur lesquelles j’ai voulu écrire, ne sont que très peu mentionnées. (…) Ceux qui ont écrit l’histoire étaient des hommes”

Gilbert Sinoué

Au-delà des Marocaines, l’auteur voit dans cet ouvrage à un hommage aux femmes du monde arabe : “La femme arabe a une image peu flatteuse en Occident. Soumise, voilée, docile… ces stéréotypes continuent de façonner tout un imaginaire collectif. Pourtant, l’histoire n’a pas connu que des victimes”.

Partant de ce constat, l’auteur se lance, comme à l’accoutumée, dans une longue phase de documentation, qui vient nourrir sa source d’inspiration initiale. La suite sonne comme une piqûre de rappel. “Ces femmes, sur lesquelles j’ai voulu écrire, ne sont que très peu mentionnées. Pour certaines, on retrouve leurs traits essentiels brossés dans certaines archives, mais jamais de documentation complète et exhaustive. Ceux qui ont écrit l’histoire étaient des hommes”, poursuit-il.

La fabrication de l’oubli

D’ailleurs, la marginalisation des femmes dans l’histoire ne s’arrête pas aux portes du 21e siècle. À ce jour, certains historiens continuent de soutenir que Sayyida Al Horra, corsaire et première gouverneure de Tétouan au milieu du 16e siècle, n’a en réalité jamais existé. Idem pour la Kahina – également présente dans l’ouvrage -, souvent appelée Dihya, figure de la résistance contre la conquête arabe, dont certains soutiennent qu’elle est tout au plus une légende amazighe issue du folklore.

Pour l’auteur, il n’est pas question d’entrer dans ce débat, mais simplement de pointer, entre les lignes, la fabrication de l’oubli dans l’histoire. “Je suis romancier. Si la légende est plus belle que la réalité, alors je choisis la légende. C’est ce qui me fait rêver”, nous dit-il.

Face au manque de documentation, la fiction et le romanesque prennent donc toute leur importance. Dans Pionnières et héroïnes, les narrateurs jonglent constamment avec l’hésitation et l’incertitude. À plusieurs reprises, le récit est marqué par des blancs et des “on ne sait pas”.

“Ton cœur est d’acier / Nous sommes tes frères / la vie n’est pas éternelle / mais reste la haine”, peut-on lire. Dans Pionnières et Héroïnes, ces vers – ainsi que d’autres – sont attribués à Kharboucha. Pourtant, Gilbert Sinoué est le premier à concéder qu’il existe des doutes concernant leur authenticité.

Une note de bas de page précise même que ces vers, tels que retranscrits, sont en fait une traduction des sous-titrages du film Kharboucha, réalisé par Hamid Zoughi et diffusé en 2008 sur 2M. Une référence de plus à ce vide historique dont l’auteur aime se jouer.

Visiblement, c’est ce même attachement au rêve, au mythe et à la légende qui pousse Gilbert Sinoué à ne pas s’aventurer au-delà du 19e siècle dans sa sélection de figures historiques romanesques. Les personnages les plus récents qui composent ce recueil sont la Chérifa d’Ouazzane et la poétesse Kharboucha, qui ont vécu à la fin du 19e siècle. C’est qu’à partir des années 1910, les sources et archives se multiplient : “J’aurais alors été contraint à plus de réalité historique. Quand les sources manquent, je peux me permettre d’avoir un narrateur qui doute et qui hésite. Ça m’intéresse”, conclut le romancier.

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