Rachat de Société Générale Maroc par Moulay Hafid Elalamy : les faits derrière les rumeurs

Le possible rachat de la filiale marocaine de Société Générale par le groupe Saham agite le milieu des affaires, qui scrute de près le grand retour de Moulay Hafid Elalamy sur le devant de la scène. L’opération, si elle se concrétise, pourrait marquer le début de la fin de la présence des banques françaises au Maroc et en Afrique. Décryptage.

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Depuis quelques jours, c’est LE sujet de conversation dans le monde des affaires : le grand retour de Moulay Hafid Elalamy dans l’arène financière. Six ans après son retrait du secteur des assurances, suite à la cession de Saham Assurance au groupe sud-africain Sanlam, l’ancien ministre de l’Industrie et du Commerce serait sur le point d’acter, à travers sa holding, le rachat des parts de Société Générale France dans sa filiale marocaine. Le deal porterait sur 57,66 % des parts de Société Générale Maroc pour environ 8 milliards de dirhams.

À ce jour, aucune communication officielle n’a confirmé la réalisation de cette opération. Contactées à plusieurs reprises, les deux parties s’abstiennent de commenter les rumeurs du marché, persistantes depuis la semaine dernière, sans les infirmer pour autant. Sur le plan réglementaire, la validation d’une transaction de cette ampleur ne peut être effective sans le feu vert des autorités publiques : le Conseil de la concurrence pour contrôler la concentration économique, et Bank Al-Maghrib pour octroyer un nouvel agrément à la banque. Pour l’heure, aucune des deux instances n’a annoncé avoir été notifiée de l’opération. Conformément à la loi sur la liberté des prix et de la concurrence, le Conseil doit publier un communiqué dans un délai de cinq jours suivant la réception d’un quelconque dossier de notification.

Néanmoins, à l’issue de la dernière réunion du conseil de Bank Al-Maghrib, tenue hier, mardi 20 mars, le wali de la Banque centrale Abdellatif Jouahri a révélé avoir reçu le top management du groupe, qui lui a fait part des contraintes prudentielles pesant sur la Société Générale en Afrique, laissant entendre son intention de se retirer du Maroc, aux côtés d’autres filiales dans le continent. “La loi est claire : en cas de changement d’actionnariat dépassant les 50%, un nouvel agrément est nécessaire. Je leur ai demandé de réfléchir et de revenir nous voir une fois prêts et la décision prise. Nous devrons examiner le projet industriel, le business plan, la valeur ajoutée que le nouvel acheteur apportera, et être convaincus que l’opération sera bénéfique tant pour la banque que pour l’État. Dans ce cas, nous accorderons le nouvel agrément”, a souligné Abdellatif Jouahri.

D’après les données de l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), l’actuel actionnariat du groupe bancaire reste réparti entre Société Générale France (57,6 %), le groupe Deveco Souss de la famille Aït Mzal (27,54 %), la holding Patrimoine gestion et placements (3,23 %) de Mohamed Tazi et divers autres actionnaires à hauteur de 11,56 %.

Le jackpot ?

L’ex-ministre de l’Industrie, de l’Investissement, du Commerce et de l’Économie numérique, Moulay Hafid Elalamy.Crédit: Rachid Tniouni / TelQuel

Si la transaction se concrétise, il pourrait bien s’agir du deal de l’année. Moulay Hafid Elalamy prendrait ainsi le contrôle de la quatrième banque au Maroc, derrière Attijariwafa bank, la Banque populaire et Bank of Africa. Avec environ 400 agences, plus de 3000 collaborateurs et un million de clients, Société Générale Maroc affiche une santé financière des plus solides. À fin 2023, le produit net bancaire (PNB) consolidé du groupe s’est établi à 5,57 milliards de dirhams, en hausse de 7,3 % par rapport à l’année précédente. Le PNB social s’est élevé quant à lui à 4,82 milliards de dirhams, en hausse de 9,1 % par rapport à 2022.

L’année dernière, les dépôts de la banque ont maintenu leur stabilité, se situant à 87,28 milliards de dirhams (+0,21 %) en consolidé et à 80,65 milliards (+0,74 %) en social. Côté crédit, les encours se sont élevés à 94,3 milliards de dirhams en consolidé et à 80,09 milliards en social, en baisse respectivement de 1,23 % et de 1,21 % par rapport à l’année précédente.

Au-delà de la banque commerciale, la prise d’une participation majoritaire dans le capital de Société Générale Maroc permettrait à l’homme d’affaires de mettre la main sur une dizaine de filiales du groupe bancaire, qui opèrent dans divers secteurs de la finance. Parmi celles-ci figurent notamment Eqdom, le spécialiste du crédit à la consommation coté en Bourse, détenu à hauteur de 53,72 % par Société Générale Maroc, ainsi que La Marocaine Vie, compagnie d’assurance détenue à hauteur de 48,01 %. Les autres filiales comprennent Sogelease Maroc, un acteur majeur sur le marché du leasing mobilier et immobilier du pays, la société de gestion d’OPCVM Sogecapital Gestion, la société de bourse Sogecapital Bourse, et la banque offshore du groupe, toutes détenues exclusivement par la filiale marocaine du groupe bancaire français.

Un “plan stratégique”

Pour Société Générale France, la cession de sa filiale marocaine s’inscrirait dans le cadre d’une vaste politique de désengagement du marché africain, dans un contexte où la banque cherche à réaliser d’importantes économies en mettant en œuvre un nouveau “plan stratégique”. Ce plan, le premier du genre sous la direction de Slawomir Krupa, directeur général depuis mai 2023, vise à économiser 1,7 milliard d’euros d’ici 2026 afin d’améliorer la rentabilité de la banque après plusieurs années de résultats en dents de scie, marquées par des crises et des scandales financiers.

Ainsi, en juin dernier, le groupe au logo rouge et noir a commencé à réduire sa voilure sur le continent en annonçant son retrait du Congo, de la Guinée Équatoriale, du Tchad et de la Mauritanie, révélant dans la foulée qu’une “réflexion stratégique” était en cours concernant la Tunisie, où elle est représentée par l’Union Internationale de Banques (UIB), dont elle détient 52,3 % du capital. Cinq mois plus tard, en décembre 2023, la banque française annonçait la cession de ses filiales au Burkina Faso et au Mozambique.

Mais contrairement à sa filiale marocaine, leader régional avec 22,5 % de l’ensemble des revenus réalisés par la maison-mère en Afrique, les six autres filiales n’étaient pas aussi stratégiques pour le groupe, qui souhaite se “focaliser sur les marchés où il détient une position de premier plan”. Au Burkina Faso, par exemple, la Société Générale ne possède que 17 agences et emploie environ 280 personnes. Au Mozambique, sa présence est limitée à 6 agences, pour environ 140 salariés.

Sauver les meubles

Véritable “coup de théâtre” que la cession de Société Générale Maroc pour les spécialistes de la finance qui, jusqu’à récemment, misaient sur la préservation du vaisseau amiral du groupe en Afrique. Les analystes sondés par TelQuel expliquent ce potentiel retrait par plusieurs raisons, à la fois stratégiques, économiques et réglementaires. “La Société Générale ne se porte pas très bien ces derniers mois et les marchés sont dubitatifs quant à sa capacité à rebondir. Des projets lourds et difficiles ont été menés sans réelle plus-value, comme sa fusion avec le Crédit du Nord. De plus, le groupe a fait face à des problèmes réglementaires et déontologiques, avec des amendes à la clé, qui ont écorné l’image de la marque”, explique un ancien cadre de la banque française.

“Face à tant de contraintes sur le continent, il faut agir rapidement et vendre pour obtenir le meilleur prix, tout en essayant de redorer son blason auprès des marchés et des actionnaires”

Un ancien cadre de Société Générale

Ce consultant en stratégie d’entreprise fait référence à l’amende de 4,5 millions d’euros infligée à la Société Générale en France, en janvier 2024, pour des prélèvements de frais bancaires non justifiés entre 2019 et 2021. La banque a reconnu les faits et assure avoir remboursé les clients concernés. En termes de performance, le groupe a vu son résultat net part du groupe (RNPG) chuter de 59,8 % sur un an, pour s’établir à 430 millions d’euros. Au cours des trois derniers mois de l’exercice fiscal, le PNB de la troisième banque française en termes de capitalisation boursière a diminué de 9,9 % pour s’établir à 5,96 milliards d’euros. Les activités de marché ont, quant à elles, reculé de 0,8 %.

Ce spécialiste explique que plusieurs facteurs supplémentaires ont renforcé les difficultés de la banque en Afrique ces derniers mois. En plus d’une baisse de la rentabilité de ses fonds propres investis sur le continent, la banque a dû affronter une forte concurrence locale de groupes panafricains “puissants et innovants”. Parmi ces grands groupes figurent Ecobank, présente dans 35 pays d’Afrique et détenue à hauteur de 27 % par Qatar National Bank, la banque nigériane Access Bank implantée dans 15 pays du continent, ou encore Bank of Africa et Attijariwafa bank avec respectivement 19 et 12 filiales africaines.

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Céder ses parts dans Société Générale Maroc serait alors une action stratégique visant à tirer le meilleur parti de la valorisation actuelle de la filiale marocaine. Cette dernière maintient ses parts de marché locales et réalise de très bons résultats, tout en ayant un potentiel inexploité, notamment lié aux règles prudentielles européennes. “Face à tant de contraintes sur le continent, il faut agir rapidement et vendre pour obtenir le meilleur prix, tout en essayant de redorer son blason auprès des marchés et des actionnaires (…) Du côté de Saham, c’est une grande opportunité. Il reste une marge de manœuvre considérable pour développer la banque en dehors des orientations européennes et de leurs règles prudentielles excessives”, précise l’ancien banquier.

Perte de monopole

D’autres facteurs, davantage politiques et culturels, peuvent également expliquer cette tendance au désengagement des banques françaises du continent. Car Société Générale n’est pas la seule, d’autres grands groupes tricolores ont commencé à solder leur héritage en Afrique depuis quelques années déjà. Crédit Agricole a été le premier établissement français après la crise financière de 2008 à se séparer de ses filiales en Afrique. Dernière cession en date, celle de la totalité de sa participation de 78,7 % dans le capital de Crédit du Maroc au groupe Holmarcom de la famille Bensalah.

En 2018, c’était au tour du groupe mutualiste BPCE (Banque populaire, Caisse d’Épargne, Natixis) de céder la quasi-totalité de ses banques africaines. Même tendance du côté de BNP Paribas qui, après avoir renoncé à ses filiales aux Comores, au Gabon, au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et en Tunisie, a cédé en 2022 sa filiale sénégalaise détenue à 54,11 % au profit du groupe panafricain de services financiers SUNU.

La montée du risque politique dans certains pays d’Afrique, les sujets d’embargo, de corruption, de KYC (connaissance du client, ndlr), le manque de cadres dirigeants compétents et au fait des pratiques, us et coutumes locaux très différents de ceux qu’on rencontre sur d’autres continents, les lourdeurs informatiques et la gouvernance inadaptée, l’incapacité à nouer les bons partenariats pour réussir la transformation digitale localement et se positionner sur le marché du mobile banking, vital en Afrique, ont tous précipité le retrait des banques françaises du continent”, explique cet autre consultant en intelligence économique.

Opportunité

Les perspectives de reprise des anciennes filiales de groupes bancaires français par des acteurs locaux sont, globalement, vues d’un bon œil par les acteurs du marché, pour qui ce désengagement constituerait une opportunité unique de consolider la santé financière et l’influence des groupes panafricains. “Les acteurs africains sont aujourd’hui extrêmement dynamiques et focalisés sur leurs marchés, leurs clients, leurs pays et leurs régions, avec une forte propension à innover et à investir dans le capital humain. C’est quelque chose que les groupes français ont totalement perdu de vue de l’autre côté de la Méditerranée. Ces acteurs africains ont également compris que le maillage dépassait les frontières du continent, en investissant dans des places fortes telles que Londres, Paris, Pékin et Dubaï”, souligne cet ancien cadre de Société Générale France.

Pour les groupes marocains, il s’agirait là aussi d’une occasion de s’étendre et de s’ouvrir davantage sur le marché africain. En plus de la forte présence de Bank of Africa, d’Attijariwafa bank et du groupe BCP, les rumeurs du marché laissent entendre qu’au-delà de la Société Générale Maroc, Moulay Hafid El Alamy serait également intéressé par la reprise des parts de la banque française dans ses filiales en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Bénin et au Togo.

Si le rachat de Société Générale Maroc se confirme, il ne restera plus qu’une seule banque au Maroc à capitaux français : la BMCI, filiale du groupe BNP Paribas, qui détient 66,74 % des parts. Là aussi, selon certains médias africains, Zouhair Bennani, le fondateur du groupe LabelVie, serait intéressé par son rachat. Contacté par TelQuel, l’homme d’affaires indique être “loin de ces informations et de leur potentielle origine” et a assuré qu’il communiquerait dessus quand il aurait “quelque chose à révéler”.