Recharge des voitures électriques : l’équation des bornes

Devant l’ambition de développer l’écosystème de l’électrique au Maroc, alors que seules 80 bornes actives existent actuellement, la question de la mise en place d’un réseau de bornes de recharge est un enjeu crucial. Décryptage.

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Sans un réseau de bornes très dense, il sera difficile de déployer massivement les véhicules éclectiques au Maroc”, alerte, d’emblée, Loïc Jaegert, CEO de Engie Maroc, un géant français de l’énergie et acteur dans les bornes de recharge sur le marché européen.

Rappelons que ces dernières années, pour l’Exécutif marocain, la question de la mobilité durable est prise à cœur, avec un organisme spécialement dédié. Aujourd’hui, même si les ambitions semblent louables et en faveur du développement de l’électromobilité, certains défis pèsent sur ce secteur qui cherche encore sa voie.

“À ce jour, nous avons seulement 80 bornes présentes sur le territoire”, prévient Adil Bennani, président de l’Association des importateurs de voitures au Maroc (Aivam)

“À ce jour, nous avons seulement 80 bornes présentes sur le territoire”, prévient Adil Bennani, président de l’Association des importateurs de voitures au Maroc (Aivam). Et de poursuivre: “Nous estimons que sur les trois prochaines années nous aurons besoin de près de 2000 bornes de recharge, dont environ une grosse moitié en chargeur rapide à plus de 100 KW”.

Et “pour cela il faut créer des conditions favorables, parce qu’aujourd’hui ces bornes vont être installées dans le domaine public par des opérateurs privés ou publics. Ceci étant, l’expérience démontre qu’avec le privé cela ira plus vite. Pour donner confiance aux opérateurs privés, alors que le marché est à son éclosion, il faudra imaginer des systèmes d’encouragement”. Des idées émanant de l’Aivam ont d’ailleurs été proposées au ministère du Transport pour accélérer les choses.

“Augmenter son parc de véhicules électriques reviendrait à plus polluer. Une grande partie de l’électricité marocaine est produite au charbon… En Europe, les bornes sont alimentés avec de l’énergie propre. Ce n’est pas le cas au Maroc”

Amine Bennouna, expert en énergie

Pour l’économiste Hicham Alaoui, “il s’agit d’un chantier structurant, qui demande une profonde réflexion”. Il estime que la mise en place de l’écosystème de bornes de recharge est plus que nécessaire.Des mécanismes de financement peuvent être déployées au fil de l’évolution du projet dans sa globalité, en s’inspirant des expériences de pays précurseurs par exemple et en profitant de leurs erreurs afin de ne pas les rééditer”, fait-il savoir.

En plus de l’insuffisance de bornes de recharge sur le réseau routier national, un manque de main-d’œuvre qualifiée pour l’entretien et la maintenance des VE et l’absence d’un cadre réglementaire sur la mobilité durable et la vente d’énergie par les opérateurs de bornes de recharge sont constatés.

L’autre défi est davantage écologique, nous précise l’expert en Energie, Amine Bennouna. “Augmenter son parc de véhicules électriques reviendrait à plus polluer. Une grande partie de l’électricité marocaine est produite au charbon… En Europe, les bornes sont alimentés avec de l’énergie propre. Ce n’est pas le cas au Maroc”, relève-t-il.

Quand l’APIME se mobilise

Les opérateurs de la mobilité électrique ont décidé de prendre leur destin en main. Devenue l’un des piliers du développement des VE au Maroc depuis un an, l’Association professionnelle intersectorielle de la mobilité électrique (APIME), composée d’entreprises des secteurs de l’électricité et de l’automobile, a fait de cette question des bornes son cheval de bataille.

Le groupe a annoncé le déploiement de 2500 nouvelles bornes de recharge pour véhicules électriques, sur trois ans, c’est-à-dire d’ici 2026. Rappelons que l’Iresen avait, dans le temps, lancé un gigantesque programme d’installation de bornes 100% marocaines avec son initiative Green Energy Park.

L’objectif était de produire 300 bornes mensuellement pour couvrir un besoin de 5000 bornes. Or, selon nos sources, le projet a, depuis, à peine couvert une centaine de bornes. En cause, le manque d’engouement pour l’électrique au niveau de la clientèle et la quasi-absence de subventions de l’Etat ou exonérations de TVA…

“Une usine de bornes, c’est possible…”

Selon une analyse de Modor Intelligence, la taille du marché des bornes de recharge pour véhicules électriques devrait passer de 26,09 milliards USD en 2023 à 82,65 milliards USD d’ici 2028. Toujours selon l’étude, le marché est dirigé par quelques entreprises, telles que la State Grid Corporation of China, ABB, Siemens, Qingdao Tgood Electric Co. Ltd et Tesla Inc.

Rappelons d’ailleurs que le gouvernement marocain et le fabricant chinois de batteries, Gotion High Tech, envisagent d’investir 6,3 milliards de dollars pour créer une usine de batteries pour véhicules électriques (VE) dans le royaume

En Asie par exemple, la Chine est le plus grand marché pour les voitures et les bus électriques. Rappelons d’ailleurs que le gouvernement marocain et le fabricant chinois de batteries, Gotion High Tech, envisagent d’investir 6,3 milliards de dollars pour créer une usine de batteries pour véhicules électriques (VE) dans le royaume.

Pour le président de l’Aivam, le Maroc peut être une véritable plateforme de fabrication de bornes. “Les besoins en fabrication de bornes vont être exponentiels et aujourd’hui les ventes de véhicules électriques sont sur une tendance croissante, on devrait en Europe d’ici 2025 dépasser la barre des 20 millions, ce qui représente 20% de VE dans le monde”.

Et de poursuivre : “Tant que la demande est forte, il y aurait bien une opportunité pour créer ce système industriel”. Samir Rachidi, président de l’Iresen, se dit être très concerné par ce sujet. “La plateforme de recherche Green Energy Park qu’on a fondée conjointement avec l’UM6P et l’OCP a réussi à mettre en place il y a quelque années un produit de bornes de recharge 100% marocain et ce produit est commercialisé au travers de la startup “Ismart””.

Ces bornes de recharges sont dédiées à plusieurs types de véhicules. “Aujourd’hui on compte renforcer cette initiative pour passer de quelques dizaines d’unités vendues par mois à une centaines d’unités produites mensuellement”, confie-t-il.

Réseaux de recharge : état des lieux au Maroc

Pour l’instant, l’offre de réseaux de bornes est en train de se structurer. L’un des premiers arrivés, le réseau Tesla. Présent dans la plupart des grandes villes marocaines, il est réservé aux propriétaires de véhicules Tesla. La recharge y est gratuite.

Autre réseau, kilowatt.ma est parmi les plus étendus et performants au Maroc. La recharge est ouverte à tous les véhicules et est encore gratuite. Le réseau Fastvolt est présent essentiellement dans les stations Afriquia. Il propose des formules payantes (abonnement ou à l’unité). La vente d’électricité au Kwh n’étant pas autorisée au Maroc, Fastvolt facture une « prestation de parking ».

Total Energies a de son côté déployé plusieurs bornes de recharge dans des stations d’autoroutes. Elles restent gratuites pour l’instant. Enfin, plusieurs établissements proposent des bornes de recharge gratuites pour l’instant : hôtels, supermarchés, stations-service, concessionnaires…

Pour se retrouver dans ces différents réseaux, l’application Plugshare ( iOS et Android) fournit une cartographie très complète des bornes de recharge au Maroc. Elle est régulièrement actualisée. Des groupes WhatsApp réunissant les propriétaires de véhicules électriques permettent un échange d’informations sur les bornes (disponibilité, état…). L’un des plus actifs est le groupe “Mobilité électrique au Maroc”, avec plus de 230 membres, animé par Khalil Amar et Ali Lakrakbi de Kilowatt.ma.