Récemment, le Maroc est entré dans une crise de l’eau, selon le ministre chargé du secteur Nizar Baraka, ce qui fait que le spectre du rationnement de l’approvisionnement en eau commence à menacer tous les secteurs, y compris les besoins d’abreuvement et les usages domestiques et sanitaires, dans plusieurs villes et collectivités territoriales, et pourrait s’étendre à d’autres régions, surtout si la sécheresse continue, à Dieu ne plaise.
Il ne fait aucun doute que l’atteinte de ce stade et avec cette rapidité est due à une mauvaise gestion des ressources en eau dont les effets se sont accumulés au cours des 20 à 25 dernières années. Il est honteux que le Maroc atteigne ce stade en 2024, car il était possible de gérer la pénurie d’eau sans atteindre la crise, comme c’est le cas dans les pays qui souffrent de pénurie d’eau à des niveaux supérieurs à celui du Maroc, mais n’atteignent jamais le stade de crise.
“Il est honteux que le Maroc atteigne le stade de crise en 2024, car il était possible de gérer la pénurie d’eau sans atteindre la crise.”
Le Programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027, supervisé par Sa Majesté, est de la plus haute importance pour contenir la crise de l’eau et atteindra sans aucun doute ses objectifs. Tout ce qu’il faut, c’est qu’il soit mis en œuvre complètement et le plus rapidement possible.
Étant donné qu’il s’agit d’un programme spécial visant à remédier à la pénurie d’eau dans un certain nombre de bassins hydrauliques, à travers des mesures urgentes — en l’absence d’un programme de gestion des crises et catastrophes naturelles que les autorités compétentes auraient dû préparer à l’avance —, visant à assurer l’approvisionnement en eau, les raisons qui ont conduit le pays à entrer dans la crise ne peuvent pas être incluses parmi ces objectifs.
Et tant que persiste la cause de la crise, son retour continuera à menacer le pays, car le modèle de gestion de l’eau qui est en vigueur depuis au moins l’an 2000 et jusqu’à la crise est le même qui l’a provoquée. Cette cause est toujours là, son spectre grossit de jour en jour, et elle ne disparaîtra que si elle est extirpée complètement.
Il est donc devenu nécessaire de procéder à une évaluation complète de la gestion des ressources en eau, depuis l’an 2000, non pas pour demander des comptes à des individus, des institutions, des organismes ou autres, car la responsabilité était partagée et collective, mais pour tirer les leçons et prendre les mesures adéquates nécessaires pour éviter le spectre d’autres crises de l’eau dans le futur.
Quant à la période concernée par l’évaluation, c’est-à-dire à partir de l’année 2000, elle est motivée par les deux raisons suivantes :
1. Après que les effets du changement climatique sur les ressources en eau ont commencé au début des années 1990 et se sont progressivement aggravés au cours de la décennie, ils sont devenus prédominants à la fin du millénaire, même si les gens, y compris les responsables, ne se rendaient pas compte que le changement climatique en était la cause. La diminution des ressources en eau avait atteint jusqu’à 20 % dans certains bassins hydrauliques, la fréquence des sécheresses avait augmenté ainsi que la température moyenne, etc.
2. Face à cette situation, Sa Majesté le roi a, dans son discours du Trône de juillet 2000, donné des directives fort appropriées et pertinentes pour améliorer la gestion des ressources en eau. Un an plus tard, Sa Majesté, dans son discours d’ouverture de la neuvième session du Conseil supérieur de l’eau et du climat, tenu en juin 2001, a donné d’autres directives détaillées et précises, parmi lesquelles nous citons ces deux extraits :
• “Le temps est donc venu pour nous de changer radicalement notre perception et notre attitude à l’égard de l’eau, à travers la gestion de la demande de cette ressource et la rationalisation de sa consommation. Il importe, en outre, de poursuivre les efforts qui sont engagés pour mobiliser toutes les ressources hydriques mobilisables. Il nous incombe, parallèlement, d’aller plus loin dans la réalisation d’installations de stockage et d’assurer, dans un souci de solidarité interrégionale, le transfert des eaux à partir des bassins excédentaires vers les bassins déficitaires.”
• “De même qu’il nous incombe de revoir nos choix et nos options concernant les modes de production agricole, en tenant compte — pour cette question que Nous considérons hautement prioritaire — du facteur rareté de l’eau et du coût de production réel dans notre pays.”
Par la suite, la volonté de redresser la situation a émergé en 2006, à travers ce qu’on a appelé le “Dialogue national sur l’eau” qui a duré près d’un an et auquel toutes les parties concernées ont contribué. Les résultats de cette initiative ont été louables, car ils ne se limitaient pas à des recommandations, mais ils comprenaient également des stratégies et des programmes dont la mise en œuvre a été initiée au cours des quelques années suivantes.
“Il faut mettre fin à l’hémorragie des eaux souterraines à travers le contrôle de l’exploitation de ce qui en reste”
Mais peu d’années après, le cours des événements a pris une autre direction : les puits illicites ont pullulé de manière spectaculaire, y compris dans des zones traditionnellement classées comme étant impropres à la mise en culture, des droits d’eau ancestraux se sont trouvés bafoués, voire spoliés, et des écosystèmes aquatiques ont été complètement détruits, pour ne citer que cela.
En conséquence, la carte hydrographique du pays a été significativement modifiée ; et la combination de ces faits et des impacts des changements climatiques, qui entre-temps s’étaient amplifiés, a fini par effondrer le système des ressources en eau. Puis le stade de crise de l’eau a été atteint au début de l’année en cours. D’où la nécessité de comprendre ce qui s’est passé et aussi de corriger ce qui peut encore l’être.
L’évaluation de la période susmentionnée devrait aussi constituer une étape fondamentale dans l’établissement du modèle de gestion qui permette au pays de coexister avec la pénurie d’eau, d’assurer la sécurité hydrique et d’éviter de sombrer dans des crises de l’eau. Cette évaluation doit être réalisée par une entité neutre et indépendante des parties concernées.
Il est aussi nécessaire d’adopter la gestion de la demande en eau comme pilier de la gestion durable des ressources en eau, notamment en mettant fin à l’hémorragie des eaux souterraines à travers le contrôle de l’exploitation de ce qui en reste, avant qu’il s’assèche complètement, ce qui signifierait une catastrophe majeure pour le pays.
“Les institutions publiques manquent d’expérience en matière de gestion de la demande en eau”
Le rôle que jouent ces eaux pour contenir la crise actuelle de l’eau potable qui menace plusieurs régions du pays met en évidence leur importance cruciale. Nous devons imaginer ce qui se serait passé en leur absence et veiller à l’éviter à l’avenir. À noter que l’adoption de ce modèle de gestion requiert une volonté politique, car il s’agit d’un changement de paradigme et donc de la manière de gérer les ressources en eau.
Aussi, il faut noter également la limitation des connaissances et le manque d’expérience en la matière au niveau des institutions publiques actuelles, puisque ce modèle n’a pas été adopté auparavant dans le pays. Toutefois ces difficultés peuvent aisément être surmontées, d’une part, et il n’y a aucune autre alternative pour garantir une gestion durable des ressources en eau, d’autre part.