Moshe Hogeg, co-fondateur de tomi : “En tant que technologie qui promeut la liberté, nous tendons vers le même but qu'Elon Musk”

Réuni à Marrakech dans le cadre du Nakamoto forum, le gotha de la cryto-monnaie et de la blockchain a découvert l’internet parallèle de la start-up israélienne tomi. TelQuel a pu s’entretenir avec son co-fondateur, Moshe Hogeg.

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Moshe Hogeg, businessman israélien cofondateur de tomi. Crédit: DR

La crypto faisait son show à Marrakech le 6 et le 7 juin. Dans l’ambiance mille et une nuits du Royal Mansour, le gotha japonais et israélien de la cryptomonnaie et de la blockchain s’est réuni pour échanger autour des évolutions de leur secteur. En guise de point d’orgue du Nakamoto forum 2023 (du nom du collectif derrière la création du bitcoin ndlr), la start-up israélienne tomi a proposé une démo en temps réel de ses services. Tomi se propose ni plus ni moins de réinventer la toile. Son objectif, mettre sur pied un internet alternatif s’adressant à tous ceux que frustre l’absence de confidentialité propre aux GAFAM.

L’un de ses co-fondateurs et CEO, Moshe Hogeg, est un nom très connu de la scène technologique israélienne. Serial-entrepreneur, grand investisseur devant l’éternel, il flaire le filon de la crypto-monnaie avant tout le monde, investit massivement dans le bitcoin aux prémisses du phénomène et fait fortune. Quand le vent tourne pour la crypto, il perd des plumes, mais demeure attaché à la philosophie sous-jacente de cette monnaie affranchie des diktats des Etats et des banques centrales. En parfait libertarien, dans la lignée des Peter Thiel, Elon Musk ou encore Sam Bankman-Fried, Moshe abhorre les réglementations imposées par les pouvoirs publics.

Sa grande idée est de libérer les internautes du pacte faustien passée entre les utilisateurs et les grandes plateformes : à savoir offrir ses données aux moteurs de recherche pour monétisation moyennant un accès gratuit aux contenus. Ce troc selon lui, dépossède les « users » de leur droit de disposer comme bon leur semble de leurs données. « Si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit », disait Tim Cook, le PDG d’Apple dans un éclair de lucidité. C’est en lutte contre ce paradigme que Hogeg crée tomi, un internet assurant l’entière confidentialité de la data, de l’historique de navigation et des transactions financières. Même les transactions effectuées sur feu FTX ou Binance, première plateforme d’échange de crypto dans le monde, sont anonymisées par sa solution.

Revendiquer le droit à effacer toute trace de soi sur ce que l’on appelle désormais le Web3, un web décentralisé, interroge tout de même sur les usages potentiels de cet outil. Des entités ou individus malintentionnés ne pourraient-ils pas s’en servir pour masquer des deals délictueux ? Hogeg s’en défend dans cet entretien exclusif pour TelQuel et détaille l’ADN de son projet, mais aussi les raisons qui l’ont poussé à choisir le Maroc pour en effectuer la première démonstration.

TelQuel : D’où vous est venue l’idée de créer tomi ?

Moshe Hogeg : C’est venu d’un groupe de huit chefs d’équipe dont je fais partie. L’idée est venue de la nécessité de protéger la vie privée qui devient un luxe au lieu d’un droit humain fondamental. Cela est dangereux pour la liberté et pour la démocratie. Nous croyons que la technologie peut amplifier ce retour vers davantage de libertés, et la vie privée en est un catalyseur. Si nous pouvons développer des technologies de confidentialité et des technologies d’autocontrôle du contenu, dans l’internet parallèle qu’est tomi, alors essentiellement, dans dix ans, nous pourrons permettre aux gens d’être plus instruits. Et au final d’être plus libres.

Vous construisez cet Internet parallèle comme un écosystème autour duquel gravitent des solutions de paiements, de confidentialité, de e-commerce, de crypto, comme dans une sorte de circuit fermé, où l’on peut acheter, vendre, etc. Quelles sont vos ambitions en termes de nombre d’utilisateurs et en termes de volume de transactions ?

Internet est énorme, n’est-ce pas ? Huit milliards de personnes l’utilisent dans le monde. Disons que nous ne nous fixons pas comme « why » (raison d’être, ndlr) de rivaliser avec l’Internet classique. Nous voulons simplement donner aux utilisateurs une alternative permettant de voir les choses sous un autre angle. Peut-être que 5 % des internautes utiliseront tomi, peut-être que 50 % l’utiliseront, que sais-je ? Mais nous voulons vous donner une alternative. Même 1 % de 8 milliards d’humains, même 0,5 %, ce serait énorme. On parle là de dizaines de millions d’utilisateurs. Plus nous rendons l’accès à tomi simple, meilleures sont les chances qu’un jour, si nous continuons à prendre les bonnes décisions, le basculement se produise. Vous savez, quand j’étais enfant, nous n’avions comme browser qu’AltaVista. C’était l’unique moteur de recherche. Personne ne savait qu’il serait très vite balayé. Google était alors une jeune start-up qui démarrait à peine. Et puis quand Google a pris ancrage, en quelques mois, c’était fini pour AltaVista.

Moshe Hogeg, businessman israélien cofondateur de tomi.Crédit: DR

Justement, Google pourrait prendre ombrage à votre modèle intégré tomi qui comporte aussi un moteur de recherche (Atomic, ndlr)…

Nous ne cherchons pas à concurrencer Google. Nous cherchons à faire les choses à notre manière. Peut-être que nous prendrons une part de marché. Il se pourrait qu’Internet se transforme simplement en un Internet décentralisé. tomi n’est pas mon internet. Il ne m’appartient pas. tomi appartient aux utilisateurs.

Mais quand on vous entend parler, on se rend compte qu’il y a une prise de position politique sous-jacente à ce que vous dites sur la décentralisation du Web avec le renforcement du Web3. N’avez-vous pas peur que l’ancien monde, c’est-à-dire les gouvernements, Google, les GAFA, etc., se sentent menacés par ce que vous faites ?

Je pense qu’ils ne se sentent pas simplement menacés par nous, mais aussi par l’univers de la cryptomonnaie. Nous voyons de nombreux gouvernements lutter contre la crypto, parce qu’ils ont du mal avec le fait qu’ils ne puissent plus avoir de contrôle sur l’impression de la monnaie. Le contrôle des flux de liquidités a toujours été leur apanage. Tout à coup, un nouveau paradigme émerge qui les prive de ce monopole. Le pouvoir leur échappe. Mais ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que le pouvoir appartient au peuple.

Ce sont les gens qui décident. Je comprends donc que ce basculement du pouvoir d’institutions officielles vers le peuple soit source de préoccupation. Mais si vous prétendez être une démocratie, cette évolution ne doit guère poser problème. Et si vous nous en empêchez, alors peut-être ne vivons-nous pas dans des contrées libres après tout, et cela interroge à plus d’un titre.

Donc, essentiellement, je pense que c’est un sujet important pour lequel nous devons nous battre. La liberté est une cause fondamentale. Tant que nous sommes petits, les gouvernements ne se soucieront pas de nous. Mais une fois qu’ils verront des milliards de dollars de transactions s’effectuer sur tomi, alors évidemment nous pourrons faire face à des enquêtes. Cela m’est arrivé auparavant ainsi qu’à mes co-fondateurs dans leur propre pays. C’est un risque à courir car j’estime que notre cause est juste.

Mais n’avez-vous pas peur que des personnes mal intentionnées utilisent votre technologie ? Quand vous parvenez, grâce à tomi, à faire disparaître les traces d’une transaction de crypto sur Ethereum, cela peut attiser la convoitise de personnes ou d’entités interlopes. Cela ne vous effraie pas ?

C’est une question légitime, et ma réponse est oui. Cela m’inquiète. Sauf qu’à la base, je ne développe pas ces technologies avec mes co-fondateurs dans le but de permettre aux « bad actors » et aux criminels de commettre leurs crimes. Ce n’est pas pour cela que nous avons développé tomi. Cela dit, nous ne pouvons pas sacrifier la liberté de la majorité à cause des tendances criminogènes d’une minorité. Prenez cette belle veste (il indique la veste d’un conférencier). Vous pouvez l’enlever et m’étrangler avec. Et puis vous pouvez ensuite m’ordonner de ne plus fabriquer de vestes sous prétexte que l’on puisse étrangler des gens avec. Sauf que l’idée de départ n’a rien à voir avec l’utilisation qui en est faite, n’est-ce pas ? Pareil, notre but n’est pas que des criminels détournent la philosophie de création de tomi à leur profit. Notre objectif est d’assurer la confidentialité des personnes. Regardez le monde d’aujourd’hui, on en vient à avoir peur d’exprimer son opinion.

Dans quel sens a-t-on peur ?

Si j’exprime sincèrement mon avis sur certains sujets, je risque gros. Dans les pays autoritaires, on risque parfois de payer sa liberté d’expression par sa liberté physique, dans les démocraties, c’est la réputation qui vole en éclats. Et après, on est mort symboliquement. Nous vivons dans une époque où nous nous surveillons les uns les autres, où la police de la pensée est omniprésente. Avec tomi, nous voulons rétablir le droit de chacun à s’exprimer en toute liberté.

En rachetant Twitter, Elon Musk prétend lui aussi donner voix aux opinions les plus diverses. Cette doxa ne passe pas avec tout le monde. Que pensez-vous de son approche ?

J’aime Elon. Je pense qu’il est le GOAT (le plus grand de tous les temps, ndlr.) Le système est problématique. Mais je trouve qu’il est esseulé et concentre beaucoup trop de puissance. Partant, il est capable du meilleur comme du pire. Il faut davantage des personnages dominants de son acabit. Cela dit, j’aime ce qu’il fait, et je suis sûr que cette dynamique qu’il impulse aidera tomi, en tant que technologie qui promeut la liberté. Nous tendons vers le même but.

Pourquoi avoir choisi Marrakech pour accueillir la conférence de tomi ?

Je suis venu ici il y a quelques mois pour la première fois. Ma mère est marocaine, originaire de Casablanca. J’ai été époustouflé par la beauté de cet endroit. Dans le passé, nous avions pour habitude de tenir ces rencontres à Paris, à Londres ou à New York. Cette année, j’ai suggéré à mes partenaires de nous déplacer à Marrakech. J’étais convaincu qu’ils seraient soufflés par la beauté époustouflante de cette ville, de ce pays. Certains sont arrivés d’Asie au bout de vingt heures de vol, après moult escales. L’accueil est formidable et les gens si bienveillant et gentils. Le plus drôle, c’est que les Marocains d’Israël ont la réputation d’avoir le sang chaud, d’être facilement irritables. Or, rien de tout cela ici. Les Marocains sont d’une douceur et d’une sollicitude qu’il faut saluer.

Jusqu’ici, combien de fonds tomi a-t-il levés ?

tomi a levé 50 millions de dollars. Mon groupe ainsi que moi-même y avons engagé 10 millions de dollars de nos ressources personnelles, tandis que différents fonds d’investissements ont contribué à hauteur de 40 millions de dollars. tomi est une entreprise cotée. En moins d’un an et demi nous sommes passés de dix cents à six dollars l’action, mais le potentiel est gigantesque. L’entreprise est si jeune. J’investis tout mon temps dans ce projet, parce que je pense que le potentiel financier est énorme, tout en ayant conscience d’accomplir quelque chose d’important en redonnant leur liberté aux utilisateurs.