Féminicide, ce crime qu’on ne veut pas voir

Ignoré, banalisé, noyé dans la rubrique fait-divers, le féminicide passe sous les radars. Des associations féministes marocaines se battent pour que soit reconnu dans la législation ce meurtre spécifique : 
tuer une femme… parce que c’est une femme.

Par , et

TELQUEL

Le 5 avril, la police de Casablanca découvrait le cadavre mutilé d’une femme de 37 ans dans un réfrigérateur d’une maison du quartier de Ben M’Sick. Quelques jours plus tard, un suspect proche de la victime, confondu par les expertises techniques, était arrêté.

C’est le 9e féminicide recensé depuis le début de l’année 2023 par le compte Instagram @feminicides.maroc. “Elle aurait refusé de se marier avec lui, il l’a poussée violemment et a ensuite mutilé et caché son corps”, détaille Camélia Echchihab, militante qui répertorie les féminicides au Maroc depuis novembre 2022, une tâche difficile tant le phénomène reste encore invisibilisé au Maroc.

“Le terme féminicide date du début des années 1990, il qualifiait le meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme, commis par un partenaire intime ou par un homme de sa parenté”, explique Christelle Taraud, historienne spécialiste des féminicides.

Une définition élargie depuis, et un phénomène mondial. On trouve des féminicides du paléolithique jusqu’à aujourd’hui, sur les cinq continents. Donc on peut dire que le modèle est universel, mais son application ne l’est pas. L’application, elle, doit être constamment contextualisée parce que les sociétés sont différentes, et donc les rapports de force aussi sont différents”, poursuit l’experte.

Au Maroc, un rapport de la Fédération des ligues des droits des femmes (FLDF) dénombre 234 tentatives de meurtre et 16 féminicides pour la période 2019-2021. Des chiffres bien en deçà de la réalité puisqu’il n’existe aucune statistique officielle.

Stade final d’une série de violences physiques et psychologiques, ce crime peine encore à être compris et pris en compte tant par les pouvoirs publics que par les médias. Associations et militants tentent pourtant, à leur échelle, d’alerter et de proposer une aide aux survivantes.

Crimes de propriétaire

“Des hommes (dans l’écrasante majorité) tuent des femmes parce que femmes. Ce sont des violences masculines misogynes, première cause de mortalité des femmes de 16 à 44 ans dans le monde”, explique Ibtissame Betty Lachgar, cofondatrice du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (M.A.L.I.) qui tente de relayer sur ses réseaux sociaux les cas de féminicides depuis 2020.

Sur le silence qui entoure le sujet, elle estime que “la difficulté à imposer le concept de féminicide dans les milieux féministes marocains serait due à la difficulté de penser les meurtres et assassinats de femmes en raison de leur sexe. En langue arabe, le terme en soi n’existe pas non plus. On parle de ‘meurtre de femmes’. C’est vague, c’est flou. Or les mots sont importants pour structurer la pensée et engager la lutte”.

“Le féminicide est une manière pour les meurtriers de prouver leur statut d’homme et que les femmes leur appartiennent, c’est pour cela qu’on les appelle crimes de propriétaire”

Camélia Echchihab

Pour Camélia Echchihab, il faut bien comprendre que “le féminicide est une manière pour les meurtriers de prouver leur statut d’homme et que les femmes leur appartiennent, c’est pour cela qu’on les appelle crimes de propriétaire”. Un conjoint, un père, un amant, un frère ou un parfait inconnu qui tue une femme parce qu’elle lui désobéit ou le contrarie.

Et le plus souvent, les termes mêmes employés participent au dédouanement des auteurs. C’est le cas du crime dit “d’honneur”, perpétré en réaction à un comportement perçu comme ayant désohonoré une famille : “On ne devrait pas utiliser ce terme mais plutôt ‘crime lié aux stéréotypes sexistes de l’honneur’. Un père qui tue sa fille, c’est l’extension pure de l’autorité patriarcale”, relève la militante.

Un crime encore accepté voire excusé par une partie de la population marocaine, comme le démontrait un sondage mené par Arab Barometer… Lire la suite…

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