Diplomatie africaine, un quinquennat gagnant

Avec son retour dans “sa grande famille” de l’Union africaine, Rabat joue une partition discrète mais efficace sur le terrain institutionnel, tout en ne ménageant pas son investissement bilatéral sur l’ensemble du continent.

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Le Maroc est de nouveau membre de l'Union africaine. le roi prononce un discours historique dans lequel il déclare qu'il est “bon de rentrer chez soi”. Crédit: DR
Cet article a été réalisé indépendamment de la rédaction par TelQuel Impact.

Plus de cinq ans après son retour au sein de l’Union africaine, son “chez-soi naturel” comme l’évoquait alors Mohammed VI à la tribune de l’institution panafricaine dans un discours entérinant le virage continental, c’est peu dire que le Royaume ne manque pas de marques d’affection de la part des siens.

La dernière démonstration en date suffit à en dire long sur les avancées effectuées. Ce 26 août 2022, un atterrissage surprise et un tapis rouge dressé à l’aéroport Tunis-Carthage pour la venue de Brahim Ghali ont ajouté de nouveaux remous sur le front Est du Royaume.

La réception du leader du Front Polisario par le président-hôte Kaïs Saïed, en marge de la 8e Conférence internationale de Tokyo pour le développement en Afrique (TICAD), sonnait comme un nouvel affront de ses voisins maghrébins pour Rabat – qui boycottera l’événement.

L’acte venait briser la traditionnelle posture de “neutralité positive” tenue jusque-là par Tunis sur le Sahara, en rapprochant de façon visible ses vues de celles d’Alger. C’est sans compter que, plus au sud, une “grande famille”, disait Mohammed VI en 2017, veut désormais du bien au Royaume.

Et la levée de boucliers s’est avérée immédiate. Le président de la Guinée-Bissau et président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), Umaro Sissoco Embalo, a quitté la réunion tunisoise de la TICAD dès la première journée des travaux en guise de protestation contre la “participation imposée du Polisario par la Tunisie”.

S’il a envisagé, un temps, d’annuler sa participation, selon des sources médiatiques, le président en exercice de l’Union africaine et chef d’État sénégalais, Macky Sall, a profité de son discours d’ouverture pour regretter l’absence du Maroc, “un éminent membre de l’Union africaine, faute d’un consensus sur une question de représentation”.

Un point de vue partagé par de nombreuses autres délégations à l’instar de la République Centrafricaine, du Burundi, de la Guinée Équatoriale ou encore des Comores et du Libéria. De quoi se sentir à l’aise chez soi.

Trait d’union

Le Royaume consolide désormais à vitesse grand V ses ramifications africaines au niveau diplomatique. Une intensification qui a pris une nouvelle tournure depuis son grand retour au sein de l’Union africaine, après trente-trois ans d’absence dans l’institution.

Membre fondateur de la Charte de Casablanca, qui consacrait l’unité africaine en 1960, le Royaume avait fini par claquer la porte de l’ex-Organisation de l’unité africaine (OUA) après que celle-ci a admis, deux ans plus tôt, la République arabe sahraouie démocratique (RASD) en son sein.

Fil rouge de la diplomatie marocaine, la question du Sahara est également cruciale à plus d’un titre, puisqu’elle lie et prolonge la projection du Maroc vers le continent africain. “L’effort de développement que nous menons au Sahara nous permet de consolider ce rôle historique de manière ferme et durable et, au-delà, de l’inscrire dans une perspective résolument tournée vers le futur”, a rappelé Mohammed VI, lors de son discours à l’occasion du 47e anniversaire de la Marche verte, ce 6 novembre 2022.

En ce sens, le retour institutionnel entamé cinq ans plus tôt vient d’abord réinvestir un terrain délibérément délaissé. “Le Maroc a compris que la politique de la chaise vide lui était, au final, très peu utile”, explique Ismaïl Regragui, docteur en sciences politiques et en relations internationales.

Désormais, la part belle est faite à la présence marocaine dans les couloirs de l’institution pour faire avancer ses pions sur ce dossier. Un moyen de gagner la bataille de la légitimité internationale pour une diplomatie qui entend régler le différend autour du territoire dans un cadre onusien.

En ce sens, le Royaume avait enregistré sa première percée institutionnelle en 2018 lors du 31e sommet de l’UA à Nouakchott, en obtenant que la question du Sahara relève uniquement des Nations Unies et que l’UA devra apporter “son appui et son soutien” à ce processus.

“L’efficacité de la solution politique au niveau des Nations Unies doit passer par une présence au niveau des institutions africaines”

Ismaïl Regragui, docteur en sciences politiques et en relations internationales

Un moyen d’écarter les interférences et les vues divergentes sur le règlement du conflit alors que l’UA avait manifesté, dès 2013, vouloir s’en ressaisir à égalité ou en tandem avec l’ONU. Dès le sommet panafricain suivant à Addis-Abeba, siège de l’UA, toute mention du Sahara a été absente du rapport final.

“L’efficacité de la solution politique au niveau des Nations Unies doit passer par une présence au niveau des institutions africaines”, explique Ismaïl Regragui. Et d’ajouter : “Ce sont ces mêmes pays qui se regroupent et votent à l’Assemblée générale de l’ONU. Les ignorer dans un cadre continental pour ensuite leur demander un appui au niveau international aurait soulevé de nombreuses interrogations auprès de ces pays.

Laâyoune et Dakhla : portes d’entrée vers l’Afrique

La fin d’année 2019 a ainsi apporté une nouvelle pierre à l’édifice dans l’obtention de soutiens et de légitimité internationale autour de la question. Depuis le 18 décembre 2019, date de l’inauguration du consulat des Comores à Laâyoune, vingt-six autres ont suivi.

Parmi eux, “près de 40%” des représentations diplomatiques proviennent de pays sur le continent, avait évoqué Mohammed VI dans son dernier discours du 20 août, indiquant que les positions “des pays africains frères” constituaient “un réel sujet de fierté”.

D’autant que ceux-ci proviennent des cinq différents groupements régionaux. Parmi eux, des alliés traditionnels du Maroc tels que le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou encore le Gabon, mais aussi d’autres nations qui ont fait basculer leurs positions en faveur du Royaume, à l’image du Togo, de la Zambie ou encore d’Eswatini. “On peut mesurer l’efficacité de la politique africaine à ses revirements”, détaille Ismaïl Regragui.

Un pas de plus vers l’objectif “d’arriver à l’isolement de la RASD des rangs de l’instance”, explique Mohamed Badine El Yattioui, professeur de géopolitique à l’Université américaine de Dubaï. Et d’ajouter : “Le Maroc peut avoir le soutien américain ou de n’importe quel autre pays qui a une place dans le concert des nations, mais avoir au sein de l’UA une entité comme la RASD reste une tache pour le Royaume.”

Réunis en marge du forum MEDays à Tanger, tenu du 2 au 5 novembre, plusieurs anciens chefs de gouvernement et ministres des Affaires étrangères, dont certains actuellement en fonction, ont appelé à l’exclusion de la RASD de l’Union africaine.

Un procédé difficile tant les textes constitutifs de l’instance panafricaine permettent davantage l’accès aux membres que leur exclusion. C’est certainement là que, du côté marocain, il faut voir les ouvertures de consulats dans les villes de Laâyoune et Dakhla comme des gages d’appui. L’article 32 de l’Acte constitutif, adopté en juillet 2000 à Lomé au Togo, autorise tout membre de soumettre à l’approbation de la Conférence des chefs d’État des amendements ou révisions de la Charte de l’UA.

Pour y parvenir, l’appui de deux tiers des composantes de l’organisation panafricaine aux propositions est exigé afin qu’elles aient force de loi. Le Sahara n’est pourtant pas l’unique partition que le Maroc compte jouer à Addis-Abeba.

Lentement et sans tapage, la diplomatie chérifienne entend désormais peser dans l’instance. Depuis son retour, le Maroc a été élu à deux reprises au Conseil paix et sécurité de l’UA, une première fois de 2018 à 2020, et réélu, récemment en février dernier, de 2022 à 2025 avec plus du tiers des voix.

Nouveaux cadres de coopération

Reste que le déploiement de la politique africaine du Maroc n’est pas qu’une affaire de diplomatie de couloir. La métaphore du Maroc, “un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe”, évoquée par Hassan II, a trouvé un nouveau terreau sous Mohammed VI depuis les premières années de son règne.

Entre son premier déplacement en Mauritanie, en 2001, jusqu’à sa demande de réadmission à l’UA, en 2016, le roi a ainsi pu effectuer une quarantaine de visites d’État sur le continent. Celles-ci avaient abouti à “de nouveaux cadres de coopération multisectoriels, en priorité avec les pays francophones”, écrit Yousra Abourabi, professeure de science politique à l’Université internationale de Rabat (UIR) dans une contribution pour The Conversation intitulée “Comment le Royaume a construit son leadership africain”.

Ce qui est intéressant depuis le retour du Maroc à l’UA, c’est que la diplomatie marocaine a su jouer sur deux leviers en parallèle, la diplomatie bilatérale et la diplomatie multilatérale dans le cadre des instances africaines”, note Mohamed Badine El Yattioui.

Ces dernières années, le Maroc a opéré un approfondissement des relations avec le continent, qui se cantonnaient jusque-là à l’Afrique de l’Ouest. Une stratégie qui s’opère par une véritable accélération pour toucher de nouveaux pays, comme le Rwanda duquel le Royaume s’est rapproché.

Récemment, le cas du Kenya a également fait parler. Quelques jours après son intronisation, mi-septembre, le nouveau président William Ruto se fendait d’un tweet annonçant le retrait par Nairobi de la reconnaissance de la RASD, avant de le supprimer dans la foulée.

Un imbroglio qui poussera le secrétaire principal aux Affaires étrangères kenyan, Macharia Kamau, à publier une note rappelant que “la position du Kenya est pleinement alignée (…) sur l’Union africaine, qui exige le droit incontestable et inaliénable d’un peuple à l’autodétermination”.

Macharia Kamau sera finalement démis de ses fonctions par le président, le 2 novembre. La visite de la fille du président kenyan, Charlène Ruto, au Maroc pour participer au forum MEDays et rencontrer des responsables gouvernementaux a confirmé la nouvelle tendance côté kenyan.

Au sein de l’Union africaine, Nasser Bourita a multiplié les efforts pour nettoyer les textes de l’instance de leur biais favorable au Polisario.Crédit: MAP

“Réaliser l’union avec des actes concrets”

L’actuel président kenyan, comme d’autres, semble intéressé par l’idée d’instaurer un nouveau partenariat privilégié avec le Royaume, y voyant notamment des bénéfices dans l’accès aux phosphates et engrais. C’est en ce sens que le Maroc a également accompagné son action diplomatique d’une coopération Sud-Sud dans un certain nombre d’activités via ses secteurs public et privé.

Depuis la dernière décennie, les entreprises marocaines sont venues apporter une concurrence sur plusieurs secteurs dans différents pays d’Afrique de l’Ouest. Une forte présence économique notamment illustrée par le secteur bancaire. Pour Ludovic Emmanuely, président de l’ONG PEACE (Croissance partagée entre Afrique, Chine, Europe), les Marocains se sont montrés plus efficaces au niveau de leur stratégie, appuyés par une meilleure connaissance du terrain et, surtout, sans “les préjugés que d’autres acteurs ont pu avoir”.

Au niveau économique, dans les biens et services, mais aussi dans l’édification d’infrastructures, c’est tout un modèle de développement que la diplomatie chérifienne cherche à exporter en direction du continent.

Il y a eu une forte privatisation de cette intégration africaine du Maroc, par le biais des entreprises, et je pense que concevoir les relations avec les pays africains de cette manière, dans le sens du co-développement voulu par Mohammed VI, pourra s’avérer plus efficace. Les actes économiques seront d’autant plus durables. C’est une manière de réaliser l’union, non pas par décret, mais avec des actes concrets”, explique Ismaïl Regragui.

Comment ne pas penser au projet de gazoduc Nigéria-Maroc, dont l’accord a été signé en décembre 2016, et qui prévoit l’approvisionnement de différents pays du continent. “Notre souhait est qu’il soit plus largement un projet stratégique profitable à l’ensemble de la région de l’Afrique de l’Ouest, dont la population dépasse 440 millions d’habitants”, a rappelé Mohammed VI, ce 6 novembre 2022.

Signé en décembre 2016, ce projet prend une dimension différente face à la reconfiguration de la réalité des relations internationales, notamment depuis le conflit russo-ukrainien où les questions d’approvisionnement deviennent primordiales, voire vitales. Mohamed Badine El Yattioui y voit “une forme de stratégie géoéconomique en train de se constituer” avec “un usage du territoire géographique comme d’un instrument diplomatique”.

Timeline : l’action du Maroc au sein de l’Union africaine

Juillet 2016 : Le Maroc annonce officiellement son intention de réintégrer l’UA. Dans le même temps, 28 pays africains déposent une motion demandant la suspension de la RASD.

Janvier 2017 : Le Maroc est de nouveau membre de l’Union africaine. Mohammed VI prononce un discours historique où il déclare qu’il est “bon de rentrer chez soi”.

Juin 2017 : Mohamed Arrouchi est nommé Représentant permanent auprès de l’Union africaine. A ce jour, le Maroc est, avec l’Ethiopie, le seul pays à compter un ambassadeur dédié à l’Union africaine.

Janvier 2018 : Un après son retour, le Maroc est élu au Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA, une instance pivot de l’organisation, pour un mandat de deux ans.

Juillet 2018 : L’Union africaine adopte la décision prise à Nouakchott en vertu de laquelle elle reconnaît que seule l’ONU est habilitée à traiter le dossier du Sahara.

Décembre 2020 : Le Maroc accueille une partie de l’organisation panafricaine puisqu’un observatoire de la migration, fruit du rapport présenté par Mohammed VI sur la thématique, est inauguré à Rabat.

Février 2022 : Le Maroc est de nouveau élu au sein du CPS, cette fois-ci pour un mandat de trois ans.

Les hommes clés du Maroc sur le continent

Nasser Bourita

Le ministre des Affaires étrangères a été au four et moulin. Il a su, comme il s’était engagé à le faire, nettoyer les textes de l’Union africaine de toute mention favorable à la RASD.

Mieux encore, l’Union africaine s’est limitée à un mandat d’information sur le dossier du Sahara. Il est le premier exécutant de la politique royale.

Mohamed Arrouchi

Il est l’homme du day to day. Représentant permanent du Maroc à l’Union africaine.

On le dit très présent au siège de l’organisation à Addis-Abeba, au point de ne rater aucune réunion du Conseil de paix et de sécurité qu’il a présidé en octobre. Il est le premier relais du Maroc à Addis-Abeba.

Moha Tagma

Actuel ambassadeur du Maroc auprès du Nigeria et de la CEDEAO, il est l’ancien directeur Afrique au sein du ministère des Affaires étrangères.

Il maîtrise parfaitement les dynamiques diplomatiques du continent et en particulier celles de l’Afrique de l’Ouest.

Mohamed Methqal

Il est à la tête du bras “coopératif” de la diplomatie marocaine.

Patron de l’Agence marocaine de coopération internationale (AMCI), il pilote une partie du soft power marocain à travers les bourses d’études accordées aux étudiants étrangers au Maroc, ainsi que l’assistance dans la mise en œuvre de projets de développement durable.