Smyet bak ?
David.
Smyet mok ?
Régine.
Nimirou d’la carte ?
Non communiqué.
Il y a un peu plus de vingt ans, vous étiez le tout premier invité de notre interrogatoire. Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Ce qui n’a pas changé surtout, c’est les “smyet bak” et “smyet mok”.
Et vos cheveux blancs, on en parle ?
(Rires) Ah oui, les cheveux assaisonnés ! Mais ça s’apparente à une forme de sagesse, de compréhension, de quête, de calme…
Vous êtes passé derrière la caméra aussi…
Oui. Je fais le tour de la caméra, je passe derrière, je reviens devant et je veux toujours continuer à faire les deux, mais sur ce dernier film (Reste un peu, ndlr), je dois dire que j’ai beaucoup aimé, puisque j’étais proche de mes acteurs, c’était un truc personnel…
Vous étiez proche de vos acteurs qui étaient vos proches…
Oui exactement, ce sont mes proches.
Vous vous êtes raconté dans vos spectacles “Gad part en live” et “Oh my Gad”. Aujourd’hui vous sortez une autofiction. Parler de vous est une obsession ?
(Rires) C’est une psychanalyse ! C’est la chose que je pense connaître le mieux, que j’explore en tout cas. J’ai aussi envie de rire avec ça. Et puis, la plupart des grands écrivains, des grands metteurs en scène, des gens que j’admire, le font aussi.
Finalement, quand je réfléchis aux gens qui font un travail assez autobiographique — je pense à Woody Allen ou à Nanni Moretti — ça m’intéresse que de petites choses particulières, singulières, se racontent et deviennent universelles. C’est vrai, cela peut être une forme d’obsession, je l’assume.
Dans le film, vous rentrez en France pour annoncer votre conversion au catholicisme à votre famille juive. Après le coming-out de “Chouchou”, vous ne leur épargnez rien, vous n’avez pas honte ?
(Rires) Vous ne croyez pas si bien dire ! Je pense que dans une famille traditionaliste, juive, séfarade, l’annonce même d’un intérêt envers une autre religion est un séisme, une catastrophe. J’ai aussi voulu en montrer le côté comique.
Comme la panique de mon père lorsqu’il voit une statue de la Vierge Marie (une scène du film, ndlr) : c’est une manière de moquer nos peurs et la manière dont, finalement, on se replie sur soi quand on a peur de l’autre, alors qu’il suffit simplement de comprendre qui est l’autre, ses croyances, ses coutumes. Je crois que la plupart des gens qui ont peur sont ceux dont l’identité n’est pas solide.
Êtes-vous sûr que c’est bon pour votre business de parler de foi et de conversion en 2022 ?
Pas du tout. Il n’y a que des coups à prendre, mais j’ai l’esquive facile. Ce n’est absolument pas une démarche commerciale, mais elle est honnête, à l’âge que j’ai, au moment où je suis dans ma carrière. Si je voulais faire quelque chose de fédérateur ou consensuel, je n’aurais absolument pas abordé ce sujet.
Dans le film, plusieurs protagonistes jouent leur propre rôle, notamment vos parents et votre sœur. Il n’y a que votre frère qui manque. Il n’a pas voulu participer à cette petite réunion de famille ?
“Lorsque j’ai dit à mon frère que j’allais faire un film sur mon amour pour la Vierge Marie, il s’est dit : ‘On l’a perdu celui-là’”
(Rires) Un conseil de famille, c’est ça, c’est la crise. La raison pour laquelle mon frère ne joue pas dans le film est très drôle. Lorsque je lui ai dit que j’allais faire un film sur mon amour pour la Vierge Marie, il s’est dit : “On l’a perdu celui-là”, et m’a demandé qui était dans le casting. Lorsqu’il a su que c’étaient nos parents, il m’a dit : “Fais-le”, mais il n’a pas compris le projet.
Personnellement, je voulais que ce soit mes parents, pour que ce soit vrai, authentique. Je manipule quelque chose qui est presque du documentaire. C’est une vibration qui me plaît. C’est du cinéma-vérité.
Ça ressemble à un dîner de shabbat…
Oui, on peut le dire. D’ailleurs, on voit un dîner de shabbat dans le film. Traditionnellement, ce dîner est un rassemblement dans lequel on peut tout se dire, où il y a du rire, de la colère, des pleurs, des reproches. En tout cas, j’aime cette approche.
Jouer à côté de sa famille et de ses amis, ce ne doit pas être une sinécure…
“Parfois, je demandais à ma mère de refaire une scène et elle me disait : ‘Ça y est on l’a fait dix fois, baraka’”
Ce n’était pas facile. Il y a eu des moments d’émotion, de doute, de colère, des moments où je n’arrivais pas à obtenir ce que je voulais. Et il y a quelque chose qui n’est pas naturel : diriger ses parents. Ce mot ne veut rien dire ! Comment dirigerais-tu tes parents ?
Parfois je demandais à ma mère de refaire une scène et elle me disait : “Ça y est on l’a fait dix fois, baraka”. C’était quelque chose de très marrant entre nous et cela m’a beaucoup touché.
Reste un peu raconte votre crise de foi sur un ton tendre et grinçant. Que pensez-vous de certains juifs qui appellent à boycotter votre œuvre ?
“La plupart des gens qui se sont positionnés contre le film ne l’ont pas vu et se font une idée de ce qu’il peut être”
La plupart des gens qui se sont positionnés contre le film ne l’ont pas vu et se font une idée de ce qu’il peut être. Ils sont pleins de craintes, comme si on allait se convertir en regardant ce film, alors qu’il y a des choses autrement plus lumineuses dans la pensée juive.
Je n’ai aucun problème avec le débat, mais il faut regarder le film d’abord. C’est un peu obscur de mettre en garde avant même de le voir. Et il y a des gens comme ça chez les musulmans, chez les catholiques et chez les juifs (rires).
Vous seriez l’un des rares juifs à se convertir…
C’est le sujet le plus sensible. Si on faisait une liste des sujets les plus chauds pour un artiste, celui-là serait en tête.
En parlant de sujets chauds, dans “Chouchou”, vous avez évoqué le sujet de l’homosexualité, dans un sketch avec Kev Adams vous avez taquiné les Chinois et dans “Reste un peu” et d’autres spectacles, vous vous moquez des religions… Ça vous amuse d’attiser le feu ?
Oui, mais si vous analysez plus, il y a beaucoup de tendresse aussi. Je ne remets jamais en question la personne qu’est le croyant, je souligne plutôt l’absurdité de la vie. C’est un sujet que je défends, que j’assume, que j’aime. En fait, c’est un hymne à la fraternité.
Votre film est projeté dans les salles marocaines, contrairement à vos spectacles qui sont moins présents au Maroc qu’en France ou aux États-Unis. Vous nous avez oubliés ?
“Je vous demande s’il vous plaît d’ouvrir les deux beaux théâtres de Casablanca et de Rabat et je viendrai dès demain inchallah”
Ma réponse sera très claire : je vous demande s’il vous plaît d’ouvrir les deux beaux théâtres de Casablanca et de Rabat et je viendrai dès demain inchallah. On a un problème de salles au Maroc. Je veux donner à ce public tout l’amour qu’il me donne et je veux le faire dans une belle salle.
Votre mère vous garde toujours la chambre des petits chez elle, comme dans la première scène du film ?
(Rires) Vous rigolez, mais ma mère a toujours l’impression que lorsque je vais dîner chez elle, je vais rester dormir.
LE PV
Après vingt-six ans de carrière, on ne présente plus Gad Elmaleh. L’humoriste fait partie du cercle fermé des comédiens originaires du royaume à briller mondialement. Ses spectacles sont diffusés sur les chaînes francophones, américaines, marocaines et même sur la plateforme Netflix.
Reste un peu, sorti le 16 novembre, est le deuxième long métrage qu’il réalise. Rencontré pendant le Festival international du film de Marrakech, le comédien désormais cinquantenaire est revenu pour TelQuel sur ce film intime qui raconte l’histoire de son retour en France après son périple aux États-Unis.
Un come-back qui n’est pas seulement motivé par le bon couscous de sa maman. C’est aussi pour annoncer, à sa famille juive séfarade, sa “crise de foi” et retrouver… la Vierge Marie.