Hassan Boubrik: “La CNSS doit évoluer en assumant le rôle d’un véritable assureur qui gère le risque couvert"

Alors que le Maroc s’est engagé dans le chantier titanesque de la généralisation de la protection sociale, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) sera plus que jamais sollicitée pour mener à bien cette réforme qui concerne 22 millions de Marocains supplémentaires.

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Nommé en février 2021 à la tête de la CNSS, Hassan Boubrik a hérité de la lourde responsabilité d’accueillir plusieurs millions de nouveaux bénéficiaires de la protection sociale. “En 22 mois, le nombre d’assurés doit passer de 3,5 millions à 11 millions de personnes. Le nombre de bénéficiaires est multiplié quant à lui par 4, passant de 7 à 29 millions”, précise-t-il dans cette interview. Des chiffres vertigineux qui nécessitent une refonte du système de fonctionnement de la Caisse. Pour servir cette vague de nouveaux entrants, la CNSS a par exemple déjà mis en place près de 2000 points de contact où les futurs adhérents peuvent bénéficier d’un certain nombre de services, notamment celui du dépôt des dossiers de remboursement.

Comment se présente le chantier de la réforme de la sécurité sociale ?

Trois phases composent le calendrier étalé sur cinq ans de la réforme de la protection sociale. La première, démarrée en 2021, est consacrée à la généralisation de la couverture médicale à l’ensemble de la population, aussi bien les travailleurs non salariés que les personnes vulnérables. Cette phase doit être achevée, dans quelques mois, et dans tous les cas avant la fin de cette année. Au terme de cette phase, ce sont 8,5 millions d’assurés primaires nouveaux et 22 millions de bénéficiaires supplémentaires, si on compte aussi leurs ayants droit qui rejoindront le régime d’assurance maladie obligatoire. La deuxième phase, qui devra être achevée avant 2024, concernera le service des prestations familiales. Plus de 7 millions d’enfants en âge de scolarité seront concernés. Enfin, la troisième phase, prévue en 2025, sera consacrée à la généralisation de la retraite et à l’indemnité pour perte d’emploi à l’ensemble des travailleurs actifs ayant un emploi permanent.

La CNSS a été appelée à jouer un rôle central dans ce projet puisqu’elle a été désignée par les pouvoirs publics pour gérer le régime de couverture maladie des travailleurs non salariés et des populations vulnérables. De ce fait, notre activité est en train d’enregistrer une progression sans précédent. En 22 mois, le nombre d’assurés doit passer de 3,5 millions à 11 millions de personnes. Le nombre de bénéficiaires est multiplié quant à lui par 4, passant de 7 à 29 millions. Enfin, le nombre de dossiers de maladie traités doit passer de près de 20 000 à 80 000 voire 90 000 dossiers par jour dans cet intervalle de temps. A fin-mai, plus de 1,9 million nouveaux assurés parmi les travailleurs non salariés ont été immatriculés, tandis que le reste devrait être intégré avant fin juin.

Ces chiffres vertigineux impliquent forcément une refonte de l’organisation de la CNSS…

Les systèmes d’information ont été adaptés pour prendre en charge une population totalement différente des salariés, que ce soit en matière d’adhésion, de déclaration ou de recouvrement des cotisations, mais aussi significativement améliorés pour s’assurer de leur robustesse, de leur performance, de leur sécurité et de leur capacité à traiter un flux de données et de transactions beaucoup plus important. Viennent ensuite les ressources humaines, qui ont été renforcées pour accueillir cette nouvelle vague d’ayants droit. Nous avons également noué des partenariats avec un certain nombre de réseaux de proximité afin d’être plus proches de nos assurés. En effet, notre réseau propre d’agences est très limité et ne pouvait être en mesure d’assurer une couverture adéquate du territoire national. Grâce à ces partenariats, nos assurés ont d’ores et déjà à leur disposition près de 2000 points de contact où ils peuvent bénéficier d’un certain nombre de services, notamment celui du dépôt des dossiers de remboursement.

Par ailleurs, nous avons mis en place un nouvel organigramme s’articulant autour de trois principales composantes. D’abord, notre volonté de développer la relation clientèle et la qualité du service, puis le rôle renforcé des services des prestations, notamment ceux de l’Assurance Maladie Obligatoire. La troisième privilégie la transformation digitale et l’optimisation de la gestion des ressources. Le nouvel organigramme se compose donc de trois directions générales adjointes et de plusieurs directions de pilotage rattachées à la direction générale.

Quid de la digitalisation des services ?

Aujourd’hui, une grande partie des services ont déjà été digitalisés à travers les différents portails de la Caisse. Nous travaillons par ailleurs sur un nouveau système d’information de l’assurance maladie qui permettra la dématérialisation totale des process et la mise en œuvre de la feuille de soin électronique. La mise en production de ce nouveau système est prévue dans les semaines à venir. Le déploiement de la feuille de soins électronique auprès des prestataires de santé se fera progressivement sur les 18 à 24 prochains mois.

Quelles retombées cela aura-t-il sur la démarche entamée par les assurés de la Caisse ?

Pour la CNSS, la priorité est de délivrer à nos assurés un service de qualité, notamment à travers l’amélioration de l’accueil, la multiplication des canaux offerts et la simplification des procédures. Nous visons également à assurer des délais moyens courts pour les prises en charge et les remboursements des frais. Ce délai moyen est situé aujourd’hui à huit jours. Notre objectif est de le maintenir malgré la forte augmentation de l’activité, une augmentation d’ores et déjà constatée puisque le nombre de dossiers traités par jour est passé en 3 mois de 22  000 à 32  000. A moyen terme, avec la mise en œuvre du nouveau système d’information et de la feuille de soins électronique, nous espérons même réduire le délai moyen de remboursement à 5 ou 6 jours.

Quels sont les autres défis posés par le chantier de la généralisation de la protection sociale ?

Un des défis est évidemment celui de l’équilibre financier à moyen et long termes ainsi que la maîtrise des dépenses d’assurance maladie. Le régime est appelé à confronter des problématiques exogènes liées principalement à la démographie de la population marocaine. Sur le volet démographique, nous comprenons évidemment que le vieillissement de la population va induire une augmentation importante des dépenses. A un âge avancé, une personne sur deux développe une ou plusieurs affections longue durée (ALD). Ces ALD, généralement remboursées presque à 100%, coûteront très cher à l’assurance maladie. A titre d’exemple, d’ores et déjà, 60% des dépenses du régime d’assurance maladie des salariés s’expliquent par les ALD ou les pathologies chroniques alors que celles-ci ne concernent que près de 10% de la population assurée. 80% de ces 60% s’expliquent par cinq pathologies.

Casablanca : Cérémonie d’installation de Hassan Boubrik en tant que DG de la CNSS

Sur le plan épidémiologique, les avancées de la médecine ont permis d’éradiquer ou de limiter considérablement les maladies infectieuses. Ces mêmes progrès ont transformé des maladies aiguës en pathologies chroniques (cancer et maladies cardiaques par exemple). D’autres maladies chroniques (diabète, asthme) ont été favorisées par des changements dans les modes de vie des citoyens. Ces évolutions transforment le risque de santé qui n’est plus un risque de court terme et qui devient de long terme nécessitant une approche de gestion totalement différente.

Justement, comment comptez-vous vous y prendre ?

Nous devons mettre en place un système de veille permanente concernant les maladies chroniques et les ALD pour aider à une meilleure prise en charge. Nous devons également investir significativement dans la prévention et le monitoring de ces pathologies pour qu’elles n’évoluent pas vers un stade beaucoup plus compliqué, avec un impact fort sur les malades et des coûts substantiellement plus élevés pour l’assurance maladie. Pour cela, nous devons investir plus dans notre transformation digitale et dans le numérique, dont les retombées dans le domaine de la santé sont d’une portée extraordinaire (utilisation des objets connectés pour la prévention ou pour le monitoring de certaines ALD à distance, utilisation de la data pour améliorer l’efficacité du système, utilisation de l’Intelligence artificielle pour améliorer les diagnostics précoces…).

Nous sommes en train d’initier une réflexion sur notre stratégie de transformation digitale et sur la manière dont elle peut, grâce à la data collectée et aux incitations qu’on peut mettre en place, améliorer l’efficacité du système dans la prévention des ALD et dans leur prise en charge. Pour être à la hauteur des enjeux de demain, la CNSS doit évoluer en assumant le rôle d’un véritable assureur qui gère le risque couvert pour le réduire quand cela est possible et qui apporte une valeur ajoutée réelle au système.