Le mouvement #MeToo a eu une double conséquence : l’une, positive, de rappeler la centralité du consentement des femmes; l’autre, plus problématique, supposant l’expression explicite de ce consentement, selon l’idée que les femmes doivent se connaître, savoir ce qu’elles veulent et le formuler.
Or, nuance Katherine Angel, cette “culture du consentement” se mue en injonction et illustre l’intuition de Michel Foucault dans La Volonté de savoir, qui inspire à l’essai son titre et où il mettait en garde contre la croyance “qu’en disant oui au sexe, on dit non au pouvoir” : “Malheur à celle qui ne se connaît pas et qui ne s’exprime pas clairement”.
L’historienne de la sexualité rappelle la “double contrainte que connaissent toutes les femmes : à savoir que dire non peut s’avérer difficile, mais que dire oui l’est tout autant.”
Accueillir la vulnérabilité
Très documenté, Demain le bon sexe. Les femmes, le désir et le consentement explore les impensés de cette vision qui certes respecte la parole et le désir des femmes, mais repose sur des fondements archaïques.
C’est en effet encore aux femmes de “jouer les douanières de leur sexualité”, de devoir seules assumer leur protection face à une société menaçante qui n’admet pas leur non et leur signifie que ce non les expose à des violences, mais qui d’autre part leur fait payer le prix de leur émancipation et de leurs désirs.
Katherine Angel rappelle la contrainte qui pèse sur beaucoup de femmes, acceptant des rapports sexuels à contrecœur, “par peur des conséquences”, en raison des rapports de force : “Le fait que le sexe soit si souvent cause de détresse pour les femmes est un problème profondément social et politique” qui dépasse la simple notion de consentement.
Repenser le sexe de sorte que ce soit un plaisir partagé suppose que les partenaires y soient accueilli(e)s pour ce qu’ils et elles sont : des êtres complexes, traversé(e)s d’hésitations et de doutes, vulnérables.
Cela suppose de rompre avec des représentations différentes des sexualités masculine et féminine, considérant les premiers comme dominés par leurs pulsions et les secondes comme réceptrices, avec une sexualité qui leur serait “extérieure” et instrumentalisée en vue de la maternité ou en vue de la satisfaction des hommes.
Katherine Angel passe au crible plus d’un siècle de théories de la sexualité et de l’excitation, en analysant le vocabulaire et les postulats, pour souligner les constructions mentales et les processus de naturalisation de phénomènes sociaux. La sexualité, martèle-t-elle, “n’est jamais pure fonction”, mais “réactive”, ancrée dans une culture.
À la “fétichisation de la connaissance de soi”, Katherine Angel oppose “un idéal de vulnérabilité joyeuse”, accueillant “un jeu avec le pouvoir et le lâcher-prise, avec l’espace ambigu entre désir et incertitude”, et les multiples possibles de la relation libérée des rôles binaires, et fondée sur la négociation.
Dans le texte: pour ne pas s’endurcir
“Le déni de la vulnérabilité et la dés-identification avec le féminin vont de pair avec un fantasme de souveraineté. Mais nous sommes tous dépendants d’autrui – de ceux qui nous donnent naissance et de ceux qui prennent soin de nous ; de ceux qui nous soutiennent, nous nourrissent, nous permettent de grandir, de survivre, de travailler, de nous épanouir. L’indépendance totale n’existe pas.
Et, dans les rapports sexuels, nous sommes tous vulnérables. Qui que nous soyons, nous confions à une autre personne nos tissus, nos organes, nos sensations et nos personnalités complexes. Nous courons toujours le risque d’être blessés.
Ce n’est pas là un argument en faveur d’une attitude cavalière face à la vulnérabilité inhérente de l’autre – d’une exhortation à “s’endurcir”, à prendre les choses comme elles viennent, à se résigner à une mauvaise expérience sexuelle.
C’est un appel à résister à l’envie de dénigrer la vulnérabilité. Le sexe est une aventure risquée, et la vulnérabilité peut être une forme de soin.”