Premier roman : qui est l'auteur de “Rabat Love Stories”?

Rachid Tniouni / TelQuel

“Rabat Love Stories”, tout juste paru aux éditions Le Sélénite, est entièrement rédigé sous un nom de plume. Pour TelQuel, l’autrice et son éditeur reviennent sur la démarche qui a mené à sa publication.

Le livre nous parvient dans une épaisse enveloppe noire, sur laquelle on peut lire trois lettres : “RLS”. La première de couverture n’est pas plus claire : ni le nom de l’auteur, ni celui de la maison d’édition n’y figurent, seulement le titre du roman, écrit en pointillés rouges et blancs : Rabat Love Stories.

Rabat Love Stories,
éd. Le Sélénite

Ce n’est qu’en tournant les premières pages que l’on découvre une signature : Layla Laâlej. Sur Google, aucune trace de l’autrice, si ce n’est quelques homonymes sur LinkedIn.

L’épigraphe du roman annonce la couleur : “A chacun sa schizophrénie, l’anonymat est la mienne”. Layla Laâlej est un pseudo, un nom de plume inventé par une Marocaine dont on ignore tout, et qui vient tout juste de publier son premier roman aux éditions Le Sélénite.

Coup de marketing ou remake du célèbre et mystérieux Rachid O., auteur marocain dont les romans ont été publiés anonymement aux éditions Gallimard pendant plusieurs années ?

Pour contacter Layla Laâlej, il faut passer par son éditeur, Pierre Pascual, qui se chargera de lui transmettre nos questions. Niet, nous répond-on, quant à la possibilité de s’adresser à elle directement, ne serait-ce que par téléphone.

Pierre Pascual, fondateur des éditions Le Sélénite — actuellement basées au Maroc — ne nous livrera qu’un seul détail sur l’autrice : “Il s’agit effectivement d’une femme, pas d’un homme”. Il faudra faire avec ce qu’on a.

Le Maroc au temps du Katri-23

“Au départ, j’ai surtout ressenti le besoin d’écrire”, explique Layla Laâlej dans ses réponses, parvenues par mail. “J’ai envoyé mon texte, j’étais heureuse de le partager, mais je ne souhaitais pas qu’on parle de moi, en tant que femme. La plupart de mes proches ne sont pas au courant que j’ai écrit tout ça, et je ne souhaite pas qu’ils le soient”, dit-elle pour justifier son recours à l’anonymat.

A l’ère de la tyrannie des nouveaux écrivains-influenceurs, on peut tout de même saluer ceux qui font le choix de la discrétion. Dans ce premier roman, premier tome d’une trilogie, il est question d’un récit à la troisième personne qui retrace la vie d’une femme, Layla Laâlej, de son enfance à Choisy-le-Roi à son arrivée au Maroc.

Lorsque s’ouvre le premier chapitre, un virus du nom de Katri-23 fait son apparition dans le monde, tandis que Layla s’envole pour Rabat. Quelques jours après son arrivée, l’ordre est donné de fermer les frontières aériennes, et Layla se retrouve bloquée dans son pays d’origine, celui qu’elle a toujours fui.

Les bases du récit personnel semblent être posées : contexte actuel et récent, nom et prénom de la protagoniste qui se confondent avec ceux de l’autrice… Idem pour les éléments biographiques, puisque l’on comprend, dans les réponses de l’autrice, qu’elle a été “confinée loin de ceux qu’(elle) aimai(t)” et que “l’écriture a été (sa) bouée de sauvetage”.

Dans le roman, seul le “je” n’est pas de la partie. “Je trouve que la troisième personne est le pronom littéraire par excellence”, estime Layla Laâlej. “Peut-être aussi que ce ‘elle’ m’a permis de parler de moi sans pudeur, d’écrire des choses que je n’avais jamais dites avant”, poursuit-elle.

Pour autant, lorsqu’on lui demande si c’est l’histoire de sa vie qui est couchée sur les pages de Rabat Love Stories, la question est quelque peu éludée : “C’est un roman. J’ai voulu que l’autrice et l’héroïne aient le même nom pour dire que l’héroïne est aussi importante que l’autrice. Je voulais qu’on parle d’elle, et pas de moi, parce que ma vie à moi est réductrice, là où sa vie à elle est une vie à angles multiples. En fait, je crois que Layla est la femme que je rêverais d’être”.

Lors de son périple rbati, Layla, hétérosexuelle, est amenée à fréquenter de très près la communauté LGBTQ+ marocaine. Venue tout droit de France avec ses clichés européens sur le Maghreb, elle découvre dans les bars et boîtes de nuit de la capitale une communauté vivante, résiliente et courageuse.

On regrette tout de même la récurrence de clichés qui peuplent le Rabat de Layla Laâlej : une Kasbah des Oudayas pleine de couleurs qui constraste avec un Agdal occidentalisé, des personnages qui n’ont à la bouche que les fameux articles 489 et 490…

Malgré la bonne foi de l’autrice, Rabat Love Stories prend par moments la forme d’un guide de survie destiné aux Européens qui arrivent au Maroc pour la première fois. Toujours est-il que dans une littérature aussi normative que la nôtre, on saluera tout de même la visibilité de personnages LGBTQ+, pourvu qu’ils ne sombrent pas dans la caricature.

De là à situer ce premier roman dans la continuité du mouvement initié par Abdellah Taïa dans les années 2000 ? “Je n’ai pas la prétention d’écrire pour une communauté tout entière, mais peut-être pour des personnes seules et isolées, comme je peux l’être, des personnes qui ne se retrouvent pas dans certaines œuvres ou certains milieux”, répond Layla Laâlej.

“Je me sens proche de celles et 
ceux qui ne trouvent pas leur place”

Layla Laâlej

Et d’ajouter : “En tant que femme, j’ai souvent lutté pour le rester ou le devenir vraiment. Je me sens proche de celles et ceux qui ne trouvent pas leur place et qu’on attaque pour juste ce qu’ils sont. Je ne sais pas si ça fait de moi une personne qui parle à une communauté. Abdellah Taïa a plus de courage que moi puisqu’il écrit à visage découvert, il a toute mon estime”.

Rabat Love Stories prend par moments la forme d’un guide de survie destiné aux Européens qui arrivent au Maroc. Toujours est-il que dans une littérature aussi normative que la nôtre, on salue la visibilité de personnages LGBTQ+, pourvu qu’ils ne sombrent pas dans la caricature.Crédit: YAMIL LAGE / AFP

Un livre-objet

Tiré en édition limitée, avec des exemplaires numérotés de 1 à 100, Rabat Love Stories est également un livre qui mise beaucoup sur la forme. “J’ai toujours aimé les livres objets ; c’est mon côté artisan du livre. J’aime bien rendre chaque exemplaire d’un livre presque unique”, déclare Pierre Pascual, qui a supervisé la direction artistique de ce roman.

Chaque exemplaire est par ailleurs accompagné d’une photographie originale produite par Layla Laâlej. “J’ai reçu ce manuscrit peu après la publication du précédent, L’amour fait loi”, retrace l’éditeur.

Nous sommes donc en 2021, et les éditions Le Sélénite viennent tout juste de publier un recueil de textes collectifs, L’amour fait loi, suite à une affaire de cyber-harcèlement visant la communauté LGBTQ+ marocaine, et dont les conséquences ont été drastiques pour beaucoup.

Pourtant, lorsqu’il reçoit Rabat Love Stories (dont le titre initial était Rabat Sex Stories), Pierre Pascual hésite quelque peu : “Je n’étais pas certain de pouvoir le publier, en tout cas pas dans l’immédiat, pour des raisons d’incertitudes géographiques et économiques”. Il poursuit : “Ça n’a pas été facile d’envisager la publication du livre d’une autrice anonyme, mais c’était aussi excitant de penser à un packaging approprié. Et je pense qu’au final, c’est le meilleur moyen de permettre à ce texte de vivre, et c’est mon but : que ce texte existe dans sa totalité”.

On refermera Rabat Love Stories avec un sentiment mitigé. D’une part, intrigués par l’anonymat de l’autrice, de l’autre, déçus par la perception biaisée d’un Maroc quelque peu exotique, dans un roman où il faut surtout parler de sexe.

Il y a un lien entre les éléments biographiques de Layla Laâlej et ceux de Pierre Pascual

Difficile, par ailleurs, de ne pas faire le lien entre les éléments biographiques de Layla Laâlej et ceux de Pierre Pascual, entre première arrivée au Maroc coïncidant avec la fermeture des frontières et le confinement, une passion notoire pour la photographie, une fréquentation régulière de la communauté LGBTQ+ marocaine…

De quoi se demander si Layla Laâlej est si anonyme que ça. “C’est vrai qu’il y a des points communs entre l’histoire que raconte Layla et la mienne”, concède l’éditeur, confronté à ces similitudes. “Ce qui est fiction pour elle sonne presque comme une réalité chez moi. À la relecture, je me suis dit ‘Layla Laâlej, c’est moi !’”. Une affirmation à prendre au sens propre ? La question de l’identité de Layla Laâlej reste ouverte.