Rompre le silence auquel est confronté depuis longtemps le peuple palestinien.
“Donner de la voix contre le déni et l’organisation de l’amnésie, redonner une voix à celles et ceux qui vivent aujourd’hui dans la pénombre de l’impasse, presque invisibles, en tout cas inaudibles”.
Cette anthologie est un acte militant, assume Abdellatif Laâbi, une urgente nécessité. Pour lui, c’est dans les pires moments de l’histoire d’un peuple que “les poètes se présentent au rendez-vous”, qu’ils renouvellent le champ de la pensée, du rêve, de l’amour et de la liberté.
Accompagné du poète et écrivain Yassin Adnan, Abdellatif Laâbi a parcouru encore une fois cette littérature à laquelle il a déjà consacré trois anthologies.
Au désarroi face à l’évolution de la situation politique, s’oppose la conviction que le nom de Palestine “est devenu en soi une poétique”, grâce aux précurseurs du début du XXe siècle, grâce à la génération des années 1960-1970, celle de Mahmoud Darwich, Fadwa Touqan, Samih Al-qacim, Mourid Al-Barghouti et Azeddine Al-Manacirah (à la mémoire desquels est dédiée cette anthologie), grâce enfin à la génération née dans les années 1970 jusqu’en 1998.
Celle-ci, dispersée aux quatre coins du monde ou “souffrant à l’intérieur d’Israël d’un apartheid qui ne dit pas son nom”, fait vivre “une entité qu’ils n’ont plus besoin de nommer”, sans parler pour elle mais en l’incarnant dans ses réalités et ses drames. Illustrant, martèle le traducteur, “ce qui se fait de plus pertinent, de plus percutant en matière de poésie contemporaine”.
Humour palestinien
Ce sont donc 26 poétesses et poètes, autant de femmes que d’hommes, dont on découvre ici les voix singulières. Sensuelle, comme celle de Rajaa Ghanim. Minimaliste, comme celle de Yahya Achour. Nostalgique, avec Anas Alaili. Harangueuse, comme la vendeuse de griffes de Joumana Mustafa. Inquiète, comme Maya Abu Al-Hayyat. Perplexe, comme Enass Sultan. Ashraf Al-Zaghl dit la solitude, Mazen Maarouf, ses blessures, et Ghayath Al-Madhoun, la guerre qui dure dans la tête.
Amina Abu Safat et Hesham Abu Asaker parlent de la peur. “Comment allons-nous gaspiller nos vies dans la colonie ?”, s’interroge Najwan Darwish. Hala Chrouf invite le chemin à “partir tout seul” pour cheminer avec la poésie. “Pour écrire une poésie / qui ne soit pas politique / je dois écouter les oiseaux / Et pour écouter les oiseaux / il faut que le bruit du bombardier cesse”, proteste Marwan Makhoul.
“Serais-je donc poète ?”, se demande Khalid Suleïman Al-Naciri, songeant à Baudelaire. “Te souviens-tu de ta première nuit en ce monde ?”, interroge Dalia Taha.
Ashraf Fayad, emprisonné en Arabie saoudite, médite : “Être sans pays / veut nécessairement dire être palestinien / Être palestinien / ne signifie qu’une chose : / que le monde entier est ton pays”.
Pour Colette Abu Hussein, hantée par la mort, c’est la vie qui est “trop étroite”. Hassan Makhlouf est “un homme plein de trous”, Razan Bannourah pense au goût du sang. Avec Raid Wahach, Hind Joudeh, Tarik Hamdan, Asmaa Azaideh et Rola Sirhan, ils illustrent avec force la voix non éteinte de la Palestine.
Dans le texte.
J’ai tout ce que je vois, Rola Sirhan
“Moi seule avais les yeux verts du blé
J’ai tout ce que je vois
Moi seule avais un hiver au temps de l’eau
J’ai ici toutes les saisons
Moi seule avais la voix de la terre abolissant le désert
J’ai l’histoire entière venue et repartie
Moi seule avais le cri de la conscience se répandant comme le chant
J’ai tout son parti pris et sa dépendance aveugle
Moi seule avais les détails
de la disparition de mon cœur
dans l’air
J’ai tout l’amour du miel
J’ai tout cœur ici”