Roman : le monde selon Sayyida el Horra, la reine pirate

Dans un roman adressé aux adolescents, 
Zakya Daoud fait revivre le magnifique personnage de la reine de la course.

Par

C’est une vraie intellectuelle”, disait d’elle son précepteur. Jeune fille, Aïcha “cultive la rudesse et la sévérité”, veut passer “pour un être froid mais lucide, ne voulant inspirer que le respect”. Adulte, elle est reconnue pour son autorité, “son énergie, son érudition, sa passion”.

Sayyida el horra fut une femme exceptionnelle. Fille du chérif Ali Ben Rachid, fondateur de Chefchaouen, et d’une Andalouse de Jerez de la Frontera convertie à l’islam, elle vécut dans une époque marquée par la chute de l’Andalousie et les attaques portugaises et espagnoles sur les côtes marocaines.

Enfant, elle se passionnait pour la géopolitique, suivait la conquête de l’Amérique par les Espagnols et l’intérêt des Portugais pour le Brésil et l’Asie. Elle choisit ensuite un mariage politique avec Aboul’Hassan al Mandari, fin stratège, qui reconstruisit Tétouan pour en faire la base de la résistance. Elle devint la “princesse des mers et des montagnes”, la reine de la course en Méditerranée, bien avant Salé, l’amie du célèbre Barberousse, chef des corsaires algérois.

Veuve, elle sut mener ses alliances, notamment avec les Wattassides de Fès où elle prit un troisième époux, et entretenir la prospérité de sa principauté — elle commerce même avec le Danemark. Destituée par un coup d’État orchestré par ses intimes, elle finit sa vie à la Zaouïa Rayssounia.

La géopolitique racontée aux enfants

Ce portrait rejoint la série des femmes puissantes auxquelles Zakya Daoud a consacré des livres, comme Zainab ou la Cherifa de Ouazzane. Ici, les sources abondantes mais incomplètes, voire contradictoires, ont amené l’autrice à compenser en insistant sur ce qu’on connaît du contexte. Elle rappelle les enjeux géopolitiques de l’époque, avec la chute de l’Andalousie, les attaques du Maroc par les Portugais et les Espagnols, l’afflux des réfugiés chassés d’Espagne.

Elle donne à voir les paysages et leur dimension stratégique dans un pays qui est un théâtre de guerre. Elle observe la reconstruction de Tétouan comme une cité arabo-andalouse, quand est forte la nostalgie de “cette terre bénie où se déroule ce qu’on appellerait aujourd’hui un génocide, où tout est fait pour annihiler totalement un peuple et une culture avec une extrême férocité”. Elle rappelle l’importance de Sebta comme porte du commerce entre l’Afrique et la Méditerranée, et la ruine causée par sa prise et sa destruction par les Portugais. Elle insiste sur le rôle des confréries dans les luttes pour l’Andalousie…

Sayyida el horra est plus apparue dans les romans que dans les livres d’histoire, et toujours comme victime de trahison ou effacée derrière père et mari, comme si sa personnalité hors normes était “scandaleuse”, ironise Zakyad Daoud, qui conclut triomphalement : “Aujourd’hui le temps de Sayyida el horra est enfin venu.

Dans le texte.

Évaluer la menace

Zakya Daoud est l’autrice de nombreuses
biographies romancées, dont Zainab reine de
Marrakech (L’aube, 2004), Les petits enfants de Zainab ou la vengeance des vaincus
(L’Aube, 2008) et La Cherifa (Art’Dif, 2017).

“(Aïcha) n’ignore pas que les chorfas wattassides tentent de commercer avec les chrétiens dont ils ont besoin, qu’ils essaient de se rapprocher des Espagnols dont ils espèrent de l’aide contre les Portugais, alors que ces mêmes Espagnols sont en train de s’installer au Penon de Velez.

– Ce n’est pas tant les Portugais qu’il faut craindre que les Espagnols, lui explique son père. Le Portugal est un petit pays pauvre qui s’épuise dans la conquête du monde. Il ne tardera pas à en payer le prix. Par contre, l’Espagne n’est qu’au début de son expansion, et elle est bien plus grande et bien plus riche. Elle vit du désordre qu’elle provoque chez les autres, et s’allie à des princes qu’elle redoute pour mieux les détruire. Ses ambassadeurs sont des espions. Les guerres dans lesquelles elle entraîne ses amis lui rapportent plus que celles qu’elle déclare à ses ennemis. Son or finance les séditions. Elle n’a d’autre religion que son intérêt, bien qu’elle affiche une foi démesurée et pratique une religion forcenée.

– Je vois père, dit Aïcha, que j’ai encore beaucoup à apprendre.”