Vingt ans après la mort de sa mère, Katmé Abbia – ou Maman Préfète car épouse du très ambitieux et sans états d’âme Tashun Abbia – apprend que celle-ci doit être enterrée une seconde fois, car le tracé de l’autoroute traversera l’ancien cimetière.
Elle qui avait “enseveli le souvenir de sa mère” et opté pour une vie confortable et conformiste est bouleversée. Le fait que son mari veuille “transformer le changement de tombe de Madeleine en foire du parti”, avec un “enterrement venez voir, un faste tais-toi”, la révulse.
L’arrestation de son meilleur ami, l’artiste Samuel Pankeu, qui risque la prison à perpétuité du fait de son homosexualité, fait émerger une tempête de sentiments enfouis, une personnalité restée trop longtemps silencieuse.
Émancipation
Osvalde Lewat brosse un très beau portrait de femme aux prises avec une société qui entend régir tous les aspects de sa vie afin de maintenir ses privilèges.
Consciente des inégalités et de la misère qui l’entoure, Katmé ne cesse de distribuer des aumônes sous le regard ironique de Samuel qui prône “la fin de la redistribution des richesses entre apparatchiks du MPA pour les donner aux populations” et souligne, dans sa série de tableaux photographiques “Les Aquatiques”, le désespoir des populations frappées par les inondations.
Le pays imaginaire qu’est le Zambuena condense en effet les tares de nombreux pays réels : corruption, clientélisme, presse aux ordres, violences et abus de tous ordres, gouffre entre une population qui survit à peine et une minorité d’ultrariches.
Osvalde Lewat excelle à décrire, avec un humour cinglant, les codes de cette microsociété. La redoutable Djama, femme du mentor de Tashun, règne sur ce monde qui traque les moindres relations avec d’éventuels dissidents, s’estime garante de l’image du pays et prodigue des conseils qui sont autant de menaces.
Sans parler de l’usage de la religion pour justifier cet ordre et faire taire les éventuels récalcitrants. Un monde où la seule loi est l’intérêt. Un monde sans amour, sans tendresse, où chacun traque les faux-pas des autres et ne recule devant aucune abjection pour nuire à un adversaire. Un monde où chacun a un prix.
Où il est dangereux d’aller à contre-courant. Où même ceux qui ont les plus nobles intentions sont entravés par leurs propres préjugés et où il est parfois moins dangereux d’être en prison que de faire face à la société.
De pion dans cet échiquier, Katmé reprend peu à peu les rênes de sa vie, de son intimité, de ses sentiments, et déverrouille les cadenas qui l’enferment. Entre critique sociale et roman d’apprentissage, Osvalde Lewat, déjà remarquée pour son œuvre photographique et documentaire, affirme dans une voix puissante et imagée, que l’émancipation est une affaire intime, et l’affaire de chacun.
Dans le texte : L’ordre du monde
“Tu es une B, Katmé. Une B ne régresse pas en C ou D. Avec les cartes que tu as en main, tu seras un jour une A. Mon père avait coutume de dire, je te l’ai déjà dit, je crois, que le mille-pattes ne se trompe de chemin que s’il marche seul, s’il n’est pas accompagné.
Tu t’égares, ma fille. Tu n’as pas le droit d’oublier qui tu es, ni où tu veux aller… Comment peux-tu nous mettre dans une telle situation ? Tu sais que les gens murmurent que ce garçon est ton amant ?
J’ai parlé à Tashun, la colère lui a fait perdre la tête, il aurait pu te tuer. Il t’avait interdit d’y aller, non ? (…) Tu veux compromettre l’honneur de ta famille, la carrière de ton mari, l’avenir de tes enfants pour ce garçon qui est moins qu’un D ?
Pour quelqu’un qui est hors classement, un zéro, un zéro, Katmé ! Les zéros sont nos subalternes, Dieu merci ils existent, car on a besoin d’eux pour nous servir, pour être occasionnellement dans notre entourage, mais c’est tout. Dieu lui-même n’a pas établi une hiérarchie au ciel sans raison.”