Hommage : Abderrahim Berrada, l’ultime plaidoirie

Le 20 février, le bâtonnier le plus prestigieux du Maroc 
a rendu l’âme. Derrière sa robe noire, Il aura été une figure incontournable de la lutte pour les droits humains, un militant infatigable pour la justice et 
la démocratie. En 2019, il publiait “Plaidoirie pour un Maroc laïque”, chez Tarik Editions.

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Le décès de Abderrahim Berrada “est une énorme perte pour le combat des droits de l’homme et la démocratie au Maroc”, résume son ami et éditeur, Bichr Bennani.

Toute sa vie, Abderrahim Berrada aura défendu corps et âme militants des droits humains, marxistes révolutionnaires et prisonniers politiques, sans jamais blêmir devant un marteau de président.

Au Maroc, sa carrière d’avocat commence en 1966, juste après avoir quitté le barreau de Paris, sa ville de cœur, où il a cofondé la section française de l’UNFP durant ses années d’étudiant en droit. Plus d’une fois, son engagement sans faille, fait d’idéaux démocratiques, aurait pu lui coûter sa liberté. Son passeport a été confisqué, quinze ans durant, lorsque les années de plomb battaient leur plein.

Plaidoirie pour un Maroc laïque, de Abderrahim Berrada, Tarik Editions.

Maître Berrada a toujours refusé les compromis qui lui ont été proposés pour le récupérer. Il était comme ça, sans concession lorsqu’il s’agissait de valeurs et de liberté. “On n’arrête pas Jean-Paul Sartre”, aurait même dit Hassan II à son sujet.

Dans son seul et unique ouvrage, Plaidoirie pour un Maroc laïque, publié chez Tarik Éditions en 2019, le célèbre bâtonnier plaidait, comme il savait si bien le faire, pour un Maroc sans religion d’état. “L’utopie d’aujourd’hui c’est la réalité de demain”, anticipait-il face à ceux qui qualifieraient sa thèse d’irréaliste.

Décédé le 20 février dernier, Abderrahim Berrada aura légué, dans cet ultime ouvrage, tout ce qui le caractérise: rigueur, justice et liberté.

«Plaidoirie pour un Maroc laique»

Abderrahim Berrada

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Le mot juste

“Il est resté fidèle à lui-même, jusqu’à son dernier jour : même ses meubles, ce sont les mêmes que ceux que j’ai connus dans les années 1970”, témoigne l’éditeur de Abderrahim Berrada, Bichr Bennani, qui est surtout son ami intime. Sa carrière de bâtonnier le précède, et son nom est associé aux procès politiques les plus mémorables de l’histoire du Maroc : au tribunal, il a défendu Saïda Menebhi ou encore Abraham Serfaty, pour ne citer qu’eux.

“Il a consacré sa vie entière aux combats pour les droits de l’homme, à la défense des autres. Et ce, même lorsqu’il menait des procès où il savait qu’il n’obtiendrait pas gain de cause”

Bichr Bennani

En 1971, il prend part au “procès de Marrakech” où comparaît, entre autres, Abderrahim Bouabid. Ce même futur secrétaire général de l’USFP, qui proposera à Berrada, des années plus tard, un poste de ministre de la Justice… que l’avocat déclinera. “Il a consacré sa vie entière aux combats pour les droits de l’homme, à la défense des autres. Et ce, même lorsqu’il menait des procès où il savait qu’il n’obtiendrait pas gain de cause. Jamais il n’a failli à ses engagements et à ses valeurs”, témoigne Bichr Bennani.

Au fil des années, Mehdi Ben Barka et Omar Benjelloun deviennent ses compagnons déroute : plus de quarante ans après leur disparition, c’est à eux que Abderrahim Berrada dédie Plaidoirie pour un Maroc laïque.

Maître Berrada, c’est aussi un sens exceptionnel de l’éthique, émanant d’un respect inconditionnel pour le droit et la justice. Ses proches racontent qu’il avait pour principe de ne jamais proposer ses services d’avocat : “Il était très attaché au droit de l’accusé de choisir sa défense, et jamais l’inverse. Et lorsqu’il était sollicité, Abderrahim répondait toujours par l’affirmative”, poursuit Bichr Bennani.

“La contribution de Abderrahim Berrada à Kalima a été extrêmement importante. A l’époque, nous étions une bande de jeunes qui se lançaient dans cette aventure”

Hinde Taarji

Dans la continuité de ses engagements pour les droits humains et la démocratie, Abderrahim Berrada s’est également lancé dans l’aventure Kalima, en 1986, aux côtés de Noureddine Ayouch et Hinde Taarji : “La contribution de Abderrahim Berrada à Kalima a été extrêmement importante. A l’époque, nous étions une bande de jeunes qui se lançaient dans cette aventure”, retrace l’ancienne rédactrice en chef du mensuel.

L’avocat y tient la rubrique “La boutique du droit”, où il décrypte l’essentiel de l’actualité juridique du pays, à coup de chroniques toujours justes et méticuleuses. “Il se démarquait par son exigence, sa rigueur sans pareil, et surtout, son souci du mot, qui reflétait toujours le poids de ses principes et de ce en quoi il croyait. Jamais il n’a écrit ou même parlé à la légère. Le mot choisi exprimait toujours le fond, la complexité et la rigueur de sa pensée”, tient à préciser Hinde Taarji.

Son éditeur confirme : “C’était quelqu’un qui avait l’obsession du poids du mot. Son manuscrit, je peux vous dire sans exagération qu’il a dû le relire près de deux cents fois avant que l’on publie la version finale. Chaque jour, il arrivait avec de nouvelles corrections. Dans tout ce qu’il faisait, Abderrahim était constamment à la recherche du mot juste”. Le mot juste, toujours, afin de mener le juste combat.


Maître Berrada est associé aux procès politiques les plus mémorables de l’histoire du Maroc.Crédit: DR

La dernière plaidoirie

“Nous attendions ce livre depuis bien longtemps déjà”, entame Hinde Taarji dans sa préface de Plaidoirie pour un Maroc laïque. L’auteur, lui, aura consacré dix longues années à son écriture. Si l’ouvrage n’a été publié qu’en 2019, une première version du manuscrit était bouclée au début des années 2010, tandis que l’idée même de faire ce livre remonte à plus de vingt ans auparavant.

“Plaidoirie pour un Maroc laïque est un immense pavé jeté dans la mare, qui émane d’un long cheminement personnel de sa part”, estime Bichr Bennani, qui a accompagné l’avocat dans le processus de publication, tout en concédant avec un sourire amusé : “Il était tellement rigoureux que je n’ai pas eu à modifier une seule virgule”.

Sans aucune démagogie, Abderrahim Berrada épargne à ses lecteurs toute réflexion pompeuse sur de vieux idéaux universels et va au cœur du sujet : en grand avocat, il pointe les coupables du doigt, et s’adresse à “ceux qui en ont besoin”, pour reprendre ses termes.

À savoir, “les Marocains qui ne sont pas incapables de comprendre quand on prend la peine de leur expliquer”, et non pas les fanatiques religieux qui mettent en péril l’ordre social. Le ton y est didactique – et donc, accessible – courageux, franc et direct.

En l’espace de trois cents pages, Maître Berrada s’attèle à démontrer que la laïcité n’est pas l’ennemie de l’islam, mais qu’elle répond à un besoin démocratique profond

En l’espace de trois cents pages, Maître Berrada s’attèle à démontrer que la laïcité n’est pas l’ennemie de l’islam, mais qu’elle répond à un besoin démocratique profond, indispensable au respect des libertés fondamentales. Toujours optimiste et jamais rancunier, il conclut : “Le Maroc en voie de laïcisation peut éviter les erreurs que ses prédécesseurs ont commises”.

Pour autant, on ne saurait retenir qu’une seule citation de cette éclatante plaidoirie, impressionnante par sa justesse, intimidante de par sa rigueur. On se référera plutôt aux mots de Hinde Taarji dans la préface : “Abderrahim Berrada fait partie de ces êtres qui réconcilient avec l’humanité. Habité par un humanisme profond, entier dans ses engagements, son souci constant est celui de la dignité humaine. Pour elle, il a été de tous les combats au Maroc en faveur des droits humains. Cette Plaidoirie pour un Maroc laïque les prolonge avec force et pour toujours”.

“Il était un peu déçu des échos qu’a reçus son livre lors de sa parution, dans le sens où il s’attendait à l’ouverture d’un vrai débat social autour de la question”, confie Bichr Bennani.

Faut-il le rappeler, le mot “laïcité” continue à en effrayer plus d’un, surtout lorsque l’essence des droits et libertés qu’il suggère est détournée, et que ses enjeux ne sont pas saisis. Après la sortie du livre, une douzaine de rencontres avec l’auteur est organisée dans plusieurs villes du royaume, avant d’être freinée par l’arrivée de la pandémie.

La dernière s’était déroulée à Beni Mellal, et il était encore prêt à sillonner le Maroc entier pour débattre avec tous ceux qui étaient prêts à discuter. Bien que sollicité, je me souviens qu’il refusait les rencontres et présentations de son livre en France ou en Belgique, car il considérait que ce livre n’avait de sens que pour le Maroc et les Marocains”, poursuit l’éditeur.

Il va énormément nous manquer”, soupire Hinde Taarji de l’autre bout du fil. “Ce dont je voudrais que l’on se souvienne, c’est qu’il était un être qui nous permettait de continuer à croire dans des valeurs qui sont aujourd’hui bafouées. En cela, il a été un modèle pour beaucoup d’entre nous, dans sa capacité à porter, contre vents et marées, des valeurs humaines dans ce qu’elles ont de plus beau”.

Du côté de l’éditeur, l’émotion est tout aussi palpable : “Avec lui, c’est un pan de l’histoire qui s’efface. Son décès est une énorme perte pour le combat des droits de l’homme et la démocratie au Maroc. Abderrahim n’a jamais dérogé d’un seul pouce à ses principes de grand humaniste, ainsi qu’à ses valeurs démocratiques”. Le hasard aura voulu que Abderrahim Berrada disparaisse un 20 février. Tout un symbole.

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