Ali Ait Hmad : petites histoires, grandes pensées

Dans son recueil de nouvelles, Ali Ait Hmad observe sa société avec amusement et philosophie.

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Il peut dire qu’il les collectionne.

Ali Ait Hmad est professeur d’arabe à l’École normale supérieure et en classes préparatoires.

Pour Ali Ait Hmad, les histoires, petites ou grandes, drôles ou graves, font le sel de la vie et il se fait un bonheur de les collecter. Auprès de proches – beaucoup d’amis, de voisins, de collègues –, auprès de sources fiables qui affectionnent aussi d’en partager.

Bref, tous les personnages qui peuplent sa galerie de portraits, de faits divers et d’autres anecdotes dessinent un monde où il se passe toujours quelque chose d’insolite, de curieux, de bizarre, de triste, d’amusant…

Il y a ce professeur qui renonce à se marier en découvrant le quartier de sa promise, “où les différends étaient réglés à coups de couteaux”. Il y a ce médecin qui se traîne devant ses patients et est sûr que c’est eux qui n’en ont plus que pour six mois. Il y a cet honnête homme arrêté en voiture avec une femme en nikab qu’il appelle Amina et dont les papiers indiquent… une autre identité.

On y croise des voleurs malchanceux, de généreuses bienfaitrices, des diplômés chômeurs aguerris dans l’art de soutirer quelques dirhams, des cocus calculateurs, des hypocondriaques, des bigames, des fortunes aussi soudaines que mystérieuses et autres policiers désespérant de grappiller du bakchich à des enseignants “secs comme le roc”.

Montreur de cas

Ali Ait Hmad choisit ses héros et ses héroïnes partout, à la campagne comme en ville, dans les milieux modestes comme dans les plus cossus, avec une certaine prédilection pour le domaine de l’enseignement et de la médecine, où les défaillances du système public fournissent effectivement une matière abondante.

Il ironise ainsi sur la visite impromptue d’un certain ministre de l’Éducation nationale – celui-là même qui avait suggéré à une adolescente de se marier – à une école en ruines, dont le directeur lui énumère les dysfonctionnements et à qui il ne cesse de répondre : “Quoi encore ?

Ali Ait Hmad affectionne particulièrement les histoires où des personnages expriment des avis tranchés, font preuve de ruse, sont sujets à des retournements de situation spectaculaires. Comme cette mère insultant l’ami qui a sauvé son fils de la noyade: “Dieu a voulu me débarrasser de lui, de ce vaurien, et toi tu me le sauves et tu me le ramènes ?

Ces histoires, qu’il partageait sur les réseaux sociaux avant de les rassembler en recueil, dessinent un Maroc de la débrouillardise et des petites négociations face à la misère, à la corruption, à l’absence d’horizons et de services publics décents.

Toutes ces situations, Ali Ait Hmad les consigne avec naturel et fraîcheur, sans chercher à faire des effets de style, mais amenant avec soin une tirade piquante, en ménageant habilement sa chute. Il se met parfois en scène en tant qu’ami et parent, mais ne prend pas la pose du moraliste, tant ses récits parlent d’eux-mêmes. Un recueil juste sur une société qui ne l’est pas.

Dans le texte: l’éthique de l’histoire vraie

“Ma fille aînée n’aime pas mes histoires. Pour elle, la littérature ne doit pas dire la réalité, la vérité. La littérature doit nous faire rêver d’un monde meilleur, nous bercer, nous faire voyager. Mais parler de la réalité, à son avis, c’est forcément parler de quelqu’un qui existe ou qui a existé, étaler ses secrets, dire ce qu’il aurait préféré taire…

A-t-on demandé son avis à cette personne, son autorisation ? Non. Est-on sûr que cela lui plairait, qu’elle apprécierait ? Non. Est-on sûr, au moins, que cela lui est indifférent ? Non.

La première fois que ma fille me parla de la sorte, je restai sans voix. Et si elle avait raison ! Et elle a raison ! Mais jusqu’à quel moment notre vie nous appartient à nous seuls ? Et à quel moment elle ne nous appartient plus, elle bascule dans le public ?

Chacun de nous mange ce qu’il veut, ce qui lui plaît, comme dit le dicton marocain. Mais je m’insurgerai contre celui qui jettera les restes de ce qu’il vient manger devant chez moi ou dans la rue. À quel moment donc notre comportement bascule du privé et tombe dans le public ?[…] La vie des autres est le miroir où nous nous regardons, nous nous jugeons pour construire et avancer.”