C’est une parole sans cesse recommencée, un “regain”, comme l’indique la première section du recueil.
Pour chaque jour “de plus”, Abdellatif Laâbi est reconnaissant et exprime sa joie face à “l’hospitalité de l’air / la discrétion de la lumière / la sérénité des arbres”, sa joie d’être en vie pour célébrer la poésie de Badr Chakir al-Sayyab et rendre hommage “à la mémoire brûlante” de Samuel Paty, pour penser à Ashraf Fayyad, l’ami poète incarcéré “dans une prison au nom imprononçable” en Arabie Saoudite.
Certes, il y a l’inquiétude, du moment qui se rapproche, de la nuit qui ne porte pas conseil et des absences à soi. Mais il y a le sens de l’épure, l’art de l’essentiel. Comme le souvenir de ce qu’est la liberté. Comme cette parole de sa mère, Ghita bent Omar Raïss, placée en exergue du recueil : “Le pays où tu te sens humilié, quitte-le !”
L’art de l’essentiel
Abdellatif Laâbi dévoile aussi son atelier de poète, célèbre son Petit Robert et ses deux langues, dont la première est la poésie. Une poésie joueuse, taquine et familière, à qui l’on dit “entre” et “fais comme chez toi”.
Une poésie mystérieuse, jalouse de ses passages secrets, qui ne révèle pas “où était le texte (…) avant qu’il ne s’écrive”. Dans “Météores”, le ton se fait plus philosophique: “Comment sortir / de son propre corps / et vivre sans ?”
Dans “L’insolence de la vieillesse”, le poète assène avec malice ses certitudes et peste contre les arrivistes, contre “la malédiction du genre” et la niaiserie des livrets d’opéra. Mieux vaut faire “quotidiennement / quelques exercices d’incrédulité” pour admettre le “rien de rien” de l’après. “Manne du matin” collectionne les petits chouias qui font le sel de la vie, un moment d’indignation, la visite d’un oiseau, un aphorisme sur l’amour.
“Robaiyates” s’éloigne de l’hétéroclite galerie du quotidien pour renouer avec la verve cosmique : dans une danse sous les étoiles, le poète convoque les périples de Sindbad et d’Ulysse et invite à réinventer la vie “à la sueur de l’âme”.
Enfin, dans la dernière partie, la plus forte, celle qui donne son titre au recueil, “La poésie est invincible”, Abdellatif se lance dans une magnifique ode à la poésie qui “ne louvoie pas : ne négocie pas / ne transige pas / ne titre pas son épingle du jeu / ne lâche rien”.
“On ne se refait pas. Ce recueil l’atteste, la poésie de Laâbi crée de l’humain à perte de vue”, martèle Jacques Alessandra, l’ami de toujours, dans une préface d’une grande générosité. “Double éloge, de la vie et de la poésie”, il applaudit, et nous avec, ce recueil qui nous fait “accéder à une poésie du peu et apprendre d’elle ce qui nous augmente”.
Dans le texte: La liberté voulait dire
“Souvenons-nous de la liberté
quand elle nous faisait rayonner
de la jeunesse éternelle
qui est en nous
quand elle nous soufflait
les grandes passions
qui allaient nous jeter dans le brasier
de toutes les batailles
quand elle faisait tomber sur nous
la foudre de l’amour
qui allait bouleverser nos vies
La liberté voulait dire
une seule chose
aussi vraie que la terre
sur laquelle nous marchons
et le ciel
qui s’élève au-dessus de nos têtes
aussi vraie
que le sang
qui coule dans nos veines
La liberté
était notre irrécusable
identité”