“Le Roi des Indes” : la fin de la route de Jabbour Douaihy

“Le Roi des Indes”, le dernier roman de Jabbour Douaihy est une enquête policière doublée d’une saga familiale entre le Liban et le monde.

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Qui a tué Zakaria Moubarak, retrouvé avec une balle dans la poitrine sur le seuil de la maison de sa grand-mère au Liban, dans son domaine d’Al-Mahmoudieh, dans un village du Mont-Liban, quelques jours après son retour d’une vie de voyage?

Au départ, l’enquête s’intéresse à la famille Moubarak, notamment aux cousins du défunt, qui nourrissent une solide rancœur envers leurs parents en raison de la décision de leur grand-mère de les écarter de la succession.

Et puis il y a cette légende, transmise par la grand-mère Philomène, au sujet d’un trésor enfoui dans les fondations de la maison. Il y a aussi ce tableau de Chagall – un vrai ? – dont la valeur fait tourner les têtes… Et un mystérieux flacon dont le défunt ne se séparait pas, sans oublier quelques armes fournies par des relations interlopes.

Partir, revenir

Jabbour Douaihy emmène ses lecteurs dans une saga familiale qui remonte à l’arrière-grand-mère Bahiyeh, qui perdit son père et son fiancé dans un conflit entre maronites et druzes.

Jabbour Douaihy 
(1949-2021) est 
l’auteur notamment du Quartier américain (Actes Sud, 2015) et du Manuscrit de Beyrouth (Actes Sud, 2017).

Il peint un monde porté par les femmes, des femmes fortes quand les hommes meurent, dilapident l’argent ou s’en vont sans donner signer de vie. Philomène, abandonnée par son mari avant la naissance de son fils, et qui fit fortune en Amérique en trafiquant de la terre prétendument sainte et des bouts de bois qui auraient appartenu à la croix du Christ ; la sage Émilie, constante, éduquée et prévoyante…

Les hommes, eux, sont des impulsifs, des errants ou des manipulateurs, beaucoup tentent leur chance sur la route de l’émigration, espérant devenir à leur tour “le Roi des Indes”. Il y a les gardiennes de la demeure, qui restent et font en sorte que rien ne change, et ceux qui partent, découvrent le vaste monde et se transforment au gré de leurs découvertes.

Dans ce récit entre l’enquête et la saga, on accompagne autant cette famille maronite éprouvée par la misère et les drames confessionnels que Zakaria dans sa vie tumultueuse en Europe, en Afrique et aux États-Unis, on le suit d’un emploi à un autre et d’une compagne à une autre, fidèle à sa fille et à ses deux chapeaux – un d’été et un d’hiver.

Jabbour Douaihy interroge ici ce que signifie rentrer pour mourir, pour déposer son fardeau de drames, pour en retrouver un autre, celui que précisément on avait fui. Avec de l’humour mais aussi beaucoup de sensibilité, et sans pathos aucun, il brosse le tableau d’une fin de vie comme une comédie humaine, épicée de petits calculs et de sombres desseins, entre lesquels se dessine puis s’impose l’hypothèse fondamentale: qu’on ne part que parce qu’on le veut.

Et on referme le livre en se demandant si c’est d’un homme fatigué ou d’un pays fatigué du poids du passé et du présent que voulait vraiment parler l’écrivain…

Dans le texte : le violoniste bleu

“(Chagall) fréquentait Les Tournesols, où il s’asseyait dans le jardin avec sa femme. C’est là qu’un jour, sans raison claire, il avait apporté ce tableau à ses parents. Il leur avait simplement demandé de prendre soin de ce violoniste, le musicien triste de son village de Biélorussie qui jouait dans les fêtes et tendait son chapeau pour recueillir quelques pièces.

Pourquoi l’a-t-il appelé Le Violoniste bleu, alors qu’il n’y a pas de bleu dans le tableau, à part une petite touche au milieu du bouquet ?

Je lui ai posé la question. Il m’a répondu que le titre ne doit pas résumer l’œuvre. ‘Elle se suffit à elle-même, elle n’a pas besoin d’être paraphrasée.’” Zakaria haussa les épaules d’un air dubitatif. Mathilde souleva le tableau pour le lui tendre. “Emporte-le dans ta chambre et accroche-le au mur en face de ton lit. Tu comprendras qu’une toile est belle s’il est possible de la garder devant soi au même endroit, pendant longtemps.” Allongé sur son lit, il regardait ce violoniste en s’abîmant dans la contemplation des détails qui l’entouraient, puis s’en détournait pour méditer sur son affaire avec Mathilde.”