Mohamed Hmoudane : un poète, point

L’œuvre (presque) complète de Mohamed Hmoudane est enfin disponible au Maroc.

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C’est une voix majeure de la poésie contemporaine marocaine qui est enfin rendue accessible à ses lecteurs avec l’édition d’un recueil au Maroc: Devenir.

En partant vivre en France il y a plus de trente ans, Mohamed Hmoudane avait emporté ses premiers feuillets, avant de publier son premier recueil, Ascension d’un fragment nu en chute – Morsure des mots, en 1992, puis, en 1994 Poème d’au-delà de la saison du silence, suivi d’Ère d’aube, chez L’Harmattan.

Aujourd’hui, les éditions Le Fennec rééditent en un volume, à l’exception de ces deux premiers, ses recueils publiés chez La Différence, Al Manar et Virgule, avec un inédit, À mille chants du naufrage.

Pour la première fois, les lecteurs marocains pourront lire dans son ensemble cette œuvre grave et profonde, de celui que le critique et écrivain Salim Jay qualifie justement de “poète sans négociation”.

Une œuvre de rage

C’est en effet une des voix les plus fortes et les plus sincères. “Ouvrier de son rêve, Mohamed Hmoudane nous rappelle que l’infini va de soi et que la liberté ne se négocie pas”, ajoute Salim Jay.

Mohamed Hmoudane est aussi l’auteur de deux récits autobiographiques, Le ciel, Hassan II et Maman France (La Différence, 2010) et French Dream (La Différence, 2005, Tarik, 2010).Crédit: DR

Lui estime, dans un avant-propos où il se fait lecteur de lui-même, n’avoir jamais cessé de suivre une même quête depuis ses débuts : “Sors ! Erre dans les ivresses / Reconquiers le vide blanc / Sombre, lointain et profond…”.

Il évoque non sans humour les cours imposés par l’Agence pour l’emploi où on lui faisait “conjuguer à tous les temps des verbes du premier, deuxième et troisième groupe” pour lui faire passer un concours de la fonction publique…

Non, Mohamed Hmoudane ne rentre pas dans une case, et relire son œuvre c’est être saisi par la puissance de son “chant liquide gueulé”, dont son ami feu Mohamed Leftah saluait, à propos de Parole prise, parole donnée, “la révolte métaphysique” de cette poésie “inquiétante” et “splendidement barbare”.

Conquérir le blanc vide de la page, c’est dynamiter le monde pour libérer l’infini, faire jaillir la poésie comme un hurlement, contre les codes sclérosés, contre la mort. Une guerre pour la vie et la liberté, en somme. Dans État d’urgence, le requiem pour Schéhérazade “clochardisée” et mourante indique le sens de cette révolte : contre l’obscurantisme, la terreur et “la nuit nichée pour toujours / Dans les cœurs et les esprits”.

On découvre aussi, dans l’inédit qui clôture cette somme, intitulé À mille chants du naufrage, un Mohamed Hmoudane peintre, qui prolonge picturalement ses fulgurances verbales. Ce dernier recueil, dans le dialogue proposé entre l’écrit et l’image, semble plus réflexif sur l’écriture : “Le “maktoub”, ce sont peut-être ces silences que je traduis.” Le poète se présente en “forgeron du néant”, en architecte voleur de feu, “de quel feu aurai-je tracé cette géométrie ?” Car il est avant tout réfractaire et rebelle : “Consignez tout ! / Je ne règlerai jamais !”

Dans le texte: Parole prise, parole donnée

“Matador – j’ai tout le ciel pour arène et tant d’étoiles à mettre à mort – flottant autant d’éteignoirs plein les mains ostensible je parade – à l’œuvre au zinc – non plutôt à l’abattoir – en professionnel impassible je vous porte des coups de massue à la pointe du crâne – comme au cochon pur l’abattre le boucher fruste et froid à la cervelle roide – à la chaîne – j’écorche et je dissèque et j’entaille – et j’émaille les devantures de vos sarcophages – poètes aux galons d’imams, généraux de Lettres agonisantes, censeurs, merci pour vos hommages – minables que vous êtes – plus minables qu’un lecteur mystifié comme vous dites si bien dans votre jargon – comme si vous étiez vous-mêmes déjà des avisés – allons donc allons – on se connaît – vos avez assez braillé – avalez et plus vite que ça vos amphigouris – et là j’entends vos tremblements le grincement de vos dents le bruissement de vos pas pataugeant dans vos flaques d’urine chaude comme d’une ânesse en plein rut – l’heure est venue frileux aux bons goûts – le glas de votre fin sonne dans ma gorge – ne vous ai-je pas déjà promis des funérailles dignes de votre insignifiance”