Article initialement publié le 17 février 2021
Dimanche 7 février au Stade Ahmadou Ahidjo de Yaoundé, Soufiane Rahimi pose avec un certain Samuel Eto’o qui lui remet le titre de meilleur joueur du Championnat d’Afrique des Nations 2020. Sacré champion de la compétition avec la version locale des Lions de l’Atlas, le joueur du Raja n’a pas manqué l’occasion de s’illustrer lors d’une compétition très suivie par les recruteurs du monde entier. Auteur de cinq buts en six matchs disputés, il a, en passant, raflé le titre de meilleur buteur du CHAN 2020 pour succéder à son coéquipier Ayoub El Kaabi, auteur de neuf buts en 2018.
Avant de se hisser sur les plus hautes marches de tous les podiums du CHAN, Soufiane Rahimi a eu un parcours atypique, inspirant, mais qui semblait pourtant tout tracé. Avant de bénéficier de la confiance du sélectionneur national, Vahid Halilhodzic qui l’a convoqué pour la première fois en novembre dernier, Rahimi a su gravir tous les échelons sans en manquer le moindre virage, tout en vivant quelques frayeurs et matchs historiques qui ont fait de lui le joueur qu’il est aujourd’hui.
“Après la cérémonie de remise des médailles, Vahid m’a demandé où je comptais mettre tous les trophées que j’ai pu recevoir cette saison (rires), je lui ai dit que j’avais prévu une armoire plus grande pour faire place aux prochains”, nous raconte le meilleur joueur du CHAN 2020, convaincu de poursuivre son ascension.
Reculer pour mieux sauter
“L’équipe nationale ? C’était un rêve fou. Ce genre de rêve éveillé, lorsqu’on s’imagine entrer en jeu et faire basculer le match alors qu’on regarde juste un coin du mur avec une musique dans les oreilles”, nous raconte Soufiane Rahimi, quelques jours après son atterrissage à Rabat en provenance de Yaoundé, avec sous le bras cinq trophées en plus de sa médaille d’or.
“Voir mon fils enfiler le maillot vert et jouer en première équipe était un sentiment bizarre. Entre joie et inquiétude, j’étais confus”
Si le néo-international marocain ne pouvait pas se permettre de rêver si grand, c’est parce que son parcours a été semé d’embûches. Son nom de famille est intimement lié à son club formateur. Au Raja, Mohamed Rahimi, alias Yoôri, est le chargé de matériel historique. Présent depuis le début des années 1970, il a vécu tous les sacres du club.
Yoôri a aussi côtoyé les plus grands joueurs de l’histoire du club vert, avant de voir naître, un certain 2 juin 1996, Soufiane. Il n’imaginait certainement pas que son fils allait participer à quelques lignes de l’histoire du club de sa vie, mais au fond, il l’espérait tout bas. “Voir mon fils enfiler le maillot vert et jouer en première équipe était un sentiment bizarre. Entre joie et inquiétude, j’étais confus”, nous confie Yoôri en évoquant la saison 2016-2017.
Dans un Raja en crise financière, des cadres ont manqué à l’appel au moment du rassemblement avant le début de saison. C’est avec une équipe de jeunes formés au club que l’équipe a entamé sa préparation. Soufiane Rahimi ne donnera pas satisfaction, et avec le retour des cadres, il décidera de quitter son club formateur pour rejoindre l’Étoile de Casablanca. Club voisin, mais club de 3e division.
Reculer pour mieux sauter. À l’époque, le jeune Rahimi savait qu’il avait bien du chemin à parcourir pour être au niveau et porter dignement ce maillot. “En quittant le Raja en 2016 pour l’Étoile de Casablanca, j’avais l’ultime conviction d’y revenir un jour. Ce club signifiait tout pour moi, j’ai grandi entre ses murs, mon père y a passé toute sa vie… y revenir est une suite logique, mais je savais que je devais cravacher pour être au niveau”, se souvient Soufiane Rahimi.
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Alors qu’il a quitté le Raja pour bénéficier d’un peu plus de temps de jeu, sa première saison sera plus compliquée que prévu. Il jouera “des bouts de matchs”, à en croire ses dires. “Cette division n’est pas aussi simple qu’on le croit. Il faut faire ses preuves, et s’aiguiser physiquement”, explique l’intéressé, qui ne jouera véritablement qu’à partir de sa seconde saison à l’Étoile.
“Cette saison, ce sera le joueur le plus décisif du club. Les résultats ne suivaient pas, malheureusement. En termes d’efforts, il ne s’économisait pas et devenait meilleur jour après jour”, nous confie Wadii Quabid, son ancien coéquipier au club amateur. “On ne jouait pas pour grand-chose. Dans un premier temps, les primes ne dépassaient pas 500 dirhams et les salaires étaient fixés à 1500 dirhams, mais Soufiane se battait pour le moindre ballon, comme si sa vie en dépendait”, poursuit-il pour nous donner une idée de la détermination du jeune joueur, qui allait voir ses efforts récompensés en seconde partie de saison. Son club échappera à la relégation.
Pendant les cinq derniers matchs, les yeux des recruteurs seront tous braqués sur “weld Yoôri” qui marquera 13 buts cette saison. Alors qu’il s’apprêtait à passer un été tranquille, un coup de fil viendra tout changer. Au bout de l’appareil, Fathi Jamal, qui était alors directeur technique du Raja et qui voulait réunir les meilleurs joueurs amateurs pour procéder à une sélection, avant d’en choisir un ou deux pour signer au géant casablancais.
Petit poisson dans le grand bain
“Quand Jamal l’a appelé pour venir tester, je ne le montrais pas, mais je n’étais pas confiant. Beaucoup de joueurs talentueux étaient là, mais il a convaincu et a été appelé à rejoindre le groupe qui allait se rassembler pour préparer les prochains matchs de la Coupe de la CAF”, relate Yoôri qui se souvient en détail du retour de son fils “chez lui”.
“Chez lui”, une expression souvent utilisée pour décrire un enfant du club qui y revient après un an ou deux d’exil. Mais Soufiane n’a jamais quitté ce “chez lui”. Son père habite le cœur même du centre d’entraînement du Raja à l’Oasis, dans une petite maison au bord de la pelouse. Après chaque match et chaque entraînement chez les amateurs, Soufiane rentrait à la maison, longeait cette pelouse, quelques mètres avant d’arriver sous son toit. Il n’a jamais quitté le cocon, tout en attisant son rêve. Jusqu’à aujourd’hui, Soufiane vit au sein du centre d’entraînement du club.
“Je savais que je devais être performant lors des matchs amicaux pour pouvoir saisir ma chance en match officiel. L’administration m’a qualifié à temps. J’ai su que je voyageais à Abidjan pour mon premier match pour y affronter l’ASEC Mimosas. Iajour (l’attaquant titulaire, ndlr) était blessé, je sentais que je pouvais débuter”, confie Rahimi en se souvenant d’un match difficile, où il provoquera le penalty de la victoire.
“Au bout de quelques matchs, on pouvait déjà voir et apprécier son évolution. Il n’était pas aussi brillant qu’aujourd’hui, mais il a évolué vite, très vite”
Une première réussie, applaudie sur les réseaux sociaux, et surtout une première qui lui a valu le respect de ses coéquipiers. “Lorsque j’ai vu Soufiane arriver, comme beaucoup d’autres jeunes cet été-là, je me demandais vraiment si on pouvait jouer les titres avec une équipe si peu expérimentée”, nous déclare Omar Boutayeb, coéquipier de Soufiane en club. “Au bout de quelques matchs, on pouvait déjà voir et apprécier son évolution. Il n’était pas aussi brillant qu’aujourd’hui, mais il a évolué vite, très vite. Il a eu la chance de se retrouver dans un groupe où la majorité des joueurs étaient formés au club, il a vite trouvé ses repères pour finalement être décisif.” Lors de la saison 2018-2019, Soufiane fait ses preuves, dans l’axe ou sur les côtés, et ses efforts ne passent pas inaperçus.
Cette saison était synonyme de retour du Raja sur la scène continentale. Absent des premiers rôles africains depuis 2003-2004, le club casablancais s’est retrouvé en finale de Coupe de la CAF malgré la pire crise financière de son histoire. “La veille de la finale face à Vita à Casablanca, je n’arrivais pas à fermer l’œil. La pression du match à guichets fermés, la folie du marché noir. Inutile de remettre en doute l’importance du match, c’était un match à gagner à tout prix”, se souvient Rahimi qui jouait la première finale de sa jeune carrière, après une campagne réussie en C3 africaine.
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“C’était un match difficile, le ballon ne voulait pas rentrer. À la pause, je me tenais la tête entre deux mains, les larmes aux yeux, nous raconte le joueur. Je ne me souviens même plus qui m’a mis sous une douche froide pour que je me ressaisisse. Dans le tunnel, Iajour m’a glissé deux mots : gère mieux tes efforts, rode dans la surface, et ça viendra.”
Deux minutes plus tard, suite à une superbe action collective, Soufiane ouvre le score avant de courir dans tous les sens et se faire plaquer par tous ses coéquipiers. La belle histoire prenait déjà forme, mais le jeune ne s’est pas arrêté là. D’une frappe hors de la surface à l’heure de jeu, il double la mise. Le fils de Yoôri, l’icône du club, revient après des années de galères, et offre un titre continental à son club de cœur. Avant de descendre aux vestiaires, Mahmoud Benhalib ajoutait le 3e but pour faciliter le match retour à Kinshasa. Une deuxième manche compliquée, qui se terminera comme Soufiane l’espérait, avec le titre au bout, malgré une défaite 3-1.
“Le voir titré avec ce maillot, en plus un titre continental, je ne pouvais pas contenir mes larmes. On s’est pris dans les bras, je ne me souviens plus de ce qu’on s’est dit, mais c’était un moment émouvant”, nous raconte son père. Ce succès a ouvert l’appétit au jeune Soufiane, qui voulait encore plus marquer l’histoire de ce club en visant le championnat.