“Le Monde à la Une” ou l’art de la rubrique

En racontant l’histoire de la presse sous l’angle de ses rubriques, le collectif dirigé par Marie-Ève Thérenty et Sylvain Venayre décrypte les différents points de vue sur le monde.

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Sylvain Venayre et Marie-Ève Thérenty ont dirigé l'ouvrage collectif "Le Monde à la Une".

Chronique, roman-feuilleton, dépêche, fait divers, correspondance, interview, reportage, tribune, portrait, petites annonces, carnet, météo et même rectificatif… À chaque genre sa philosophie.

À l’ours du livre (une fois n’est pas coutume), une quarantaine d’universitaires, chacun spécialiste d’une rubrique, à qui leurs rédacteurs en chef Marie-Ève Thérenty et Sylvain Venayre ont lancé un triple défi : en raconter l’histoire jusqu’à aujourd’hui; partir d’un exemple précis pour expliquer comment cette rubrique forge un regard à même (ou pas) de rendre compte de la complexité du monde; s’en donner à cœur joie pour l’écrire.

Et c’est ce qu’ils ont fait : dans Le Monde à la Une, on lit le chapitre sur le feuilleton évidemment en épisodes, l’horoscope en injonctions par signe, les jeux en énigmes et anagrammes témoignant de la “performance littéraire”…

Les faces cachées du monde

Les auteurs sont attentifs à l’importance des techniques qui en deux siècles ont fait naître et mourir des rubriques, comme le souligne en préface l’historien Jean-Noël Jeanneney. Il est aussi question de l’argent qui configure le champ de la presse. Mais il est surtout question du rapport au monde : “Le journal, en imprimant quotidiennement les événements, se propose d’offrir une lecture médiatisée d’un monde qu’il devient de plus en plus difficile de déchiffrer immédiatement — c’est-à-dire sans le moyen de ces nouveaux dispositifs d’information que sont les médias.”

“La tartine a été grignotée par les exigences d’un journalisme qui vise désormais la brièveté et l’efficacité, pris dans une course effrénée à l’actualité chaude”

Le déploiement des rubriques spécialisées (justice, sciences, mode, cinéma, gastronomie, musique, sport, santé, jeu vidéo…) renvoie à la diversité des savoirs qui requièrent et revendiquent une approche spécifique. Elle témoigne aussi de l’émergence de préoccupations, comme l’environnement, ou de médias (Mauriac s’excusait d’écrire une chronique sur la télévision!), ou encore de déplacements de concepts : la rhétorique autopromotionnelle du prospectus d’Ancien Régime existe aujourd’hui “sur les plateformes de financement participatif et les réseaux sociaux”, tandis que le canard s’appelle aujourd’hui fake-news, même si sa dimension de canular s’est perdue.

Faire l’histoire de la presse, c’est parler de son rythme de plus en plus frénétique : “La tartine a été grignotée par les exigences d’un journalisme qui vise désormais la brièveté et l’efficacité, pris dans une course effrénée à l’actualité chaude.”

À travers la gravure, la bande dessinée, la photo et la publicité sont retracées les relations entre l’écrit et l’image. Le livre fait aussi l’histoire des stéréotypes inévitables à ce “lieu de solidification des identités locales et nationales”. Mais c’est surtout un livre qui parle d’émotion, de fantaisie, de créativité.

Peu importe si ces écrits sont éphémères : cet ouvrage, facile à lire et souvent drôle, rappelle un fait que les évolutions actuelles de la presse tendent à faire oublier, voire à écraser : que celle-ci n’a de sens qu’en tant qu’“espace de liberté et d’invention”.

Dans le texte.

La critique littéraire

“La critique littéraire n’est pas seulement une des formes possibles de cette culture médiatique de l’argumentation, au côté du commentaire de l’actualité politique, sociale ou économique : elle est le lieu où se forgent, en large part, les codes et le fonctionnement du débat moderne, entre violence surjouée et expertise, entre affectivité et pseudo-objectivité. En dépit de toutes les stratégies de légitimation professionnelles, et en dépit même des fonctions savantes, politiques, ou militantes que peut revendiquer la critique littéraire des journaux, il faut commencer par désamorcer son esprit de sérieux : elle est, par nature, un divertissement de salon à l’âge classique, converti en pratique médiatique de masse par le journal puis les médias audiovisuels. (…) C’est par le plaisir d’argumenter, d’échanger et de se disputer à propos de littérature que se sont instituées des formes majeures du débat démocratique (dialogue rationnel, polémique, jeu d’éreintement, satire, humour, culture d’admiration des “fans”) et des chorégraphies médiatiques identitaires, relatives aux mutations de la mondialisation.”