Si pour s’écrire des lettres on a la poste, pour s’envoyer des fonds, on fait comment ?” Pour ponctuer son intervention, Amina Zakhnouf a préféré cette question imagée. Mais elle renvoie bien à l’idée qu’elle est venue défendre lors du Sommet Afrique-France de Montpellier, le 8 octobre. Sélectionnée parmi la douzaine de “pépites” issues de la société civile d’Afrique et de sa diaspora, la Marocaine a axé son intervention sur une idée qui fait son chemin : la mise en place d’une structure parapublique dédiée aux transferts de la diaspora africaine.
“Ces transferts continuent de faire l’objet de commissions étouffantes par le secteur privé. Elles peuvent aller jusqu’à 9 % pour l’Afrique subsaharienne et ont été complètement trustées par ce secteur. Sinon ces transferts s’enterrent dans des réseaux informels, qui ne sont ni sûrs ni garants d’une reconnaissance concrète de l’activité économique de ces diasporas”, soutient Amina Zakhnouf, la co-fondatrice de l’association “Je m’engage pour l’Afrique” (JMA) créée en janvier 2021.
Auparavant, la jeune femme avait écumé les discours et les sommets entre l’Afrique et la France avec le même constat : la diaspora est plus un sujet de conversation qu’une partie prenante. En duo avec la Togolaise Ileana Santos, elle met sur pied JMA.
À travers un vaste réseau d’afro-descendants, l’association se veut un incubateur des politiques publiques pour les pays d’Afrique, mais aussi dans les relations entre la France et ses anciennes colonies. Avec huit experts de son association, Amina Zakhnouf a participé à la rédaction de Contresens, un ouvrage regroupant des propositions sur les politiques publiques sur le continent, notamment sur le volet des transferts de fonds de la diaspora.
C’est ce cheval de bataille que cette consultante, spécialisée dans la gestion des risques sur les projets, a enfourché face à Emmanuel Macron. Dans son intervention, elle commence par rappeler au président français son vœu de voir les diasporas africaines participer au nouveau modèle économique et d’émergence de leurs pays.
“Si vous dites vouloir mettre les diasporas au cœur de cette nouvelle relation, pourquoi ne sont-elles pas considérées comme des citoyens économiques à part entière, ayant elles aussi un vrai guichet public, des maisons des diasporas pour les accompagner ? Plus encore, comment expliquez-vous qu’aujourd’hui, le débat public en France sur la question migratoire soit truffé de contresens, de fausses vérités basées sur des faux chiffres, d’approximations, de jugements de valeur ?”, questionne-t-elle.
Des questions auxquelles la consultante souhaite vouloir répondre par la donnée et pas seulement celle sur le “solde migratoire”. “Monsieur le président, nous souhaitons voir émerger un réseau parapublic, ancré dans tous les territoires français, destiné à l’accueil, l’accompagnement, la rencontre avec les locaux, consacrant la citoyenneté économique des diasporas. Proposez-leur un véhicule de transfert de fonds opéré par l’État et en lien avec les réseaux locaux. Faites que ces guichets publics soient un vrai relais d’une nouvelle politique publique de co-développement”, a plaidé Amina Zakhnouf.
Son idée est de mettre en place, en France, des guichets publics raccordés à des services de transferts sur le continent, afin de peser le poids économique des diasporas via leurs transferts de fonds. Ces fonds pourraient ensuite se transformer en investissements des citoyens de la diaspora pour financer des projets de développement.
“Et grâce à ce réseau, et dans une logique d’open data, on pourrait enfin collecter des données concrètes sur cette activité économique des diasporas, sur ce qu’elles apportent, ce qu’elles renvoient, sur cette mondialisation qu’elles construisent. Et ce qu’elles font dans un monde qui est encore aujourd’hui bien trop alternatif. Et surtout, on pourrait donner au débat public français, qui en a grandement besoin, des cartes en main pour se parler sereinement”, conclut-elle.
Son intervention complète, de 1:17:09 à 1:20:00 :