Les fragments de sagesses enfouies de Rita Alaoui

Dans un petit livre mêlant nouvelles, dessin et photographie, Rita Alaoui raconte le monde du point de vue des graines et fossiles.

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Ma vie est plutôt monotone ; depuis 300.000 ans je suis inséré dans cette masse de sable et je ne bouge pas, je ne me pose pas de questions et me laisse porter.

Ainsi se raconte un fossile, satisfait de son sort, de son confort et de son immortalité (“je tiens à y rester”). Rita Alaoui est une glaneuse de coquillages, de graines et autres vestiges de vie animale ou végétale. Elle a construit son œuvre plastique autour de ces éléments qu’elle dessine et photographie sans relâche. Dans ce petit livre d’artiste, elle se met à leur écoute et donne à entendre leurs points de vue sur ce monde bien trop centré sur l’homme.

Décentrement de subjectivité

Et c’est un tour du monde qu’elle nous propose à travers ces onze brefs textes : désert du Nevada, Amérique latine sur les traces des Incas, des Mayas et des Aztèques, Amazonie, Japon, Liban. Entre nouvelle et aphorisme, Rita Alaoui se fait tantôt graine, tantôt feuille, tantôt légume, tantôt os, tantôt fossile.

On flotte dans les airs, on s’enfouit dans le sol, on plonge dans les abysses, au gré de la confidence de chacun. Il est savoureux de se laisser emporter par ce pacte de lecture où l’autobiographie est celle de ceux que l’homme considère comme de banals objets, voire à qui il n’accorde aucune considération. Et qui “ont maintenant bien l’intention de se venger de l’homme”.

Car au-delà de l’exercice de style et de sa plaisante légèreté, le propos est fort et grave. “Pendant de longues années, toute germination a été stoppée. Le cycle de la nature et de la fertilité des sols a été gelé. Les populations étaient menacées. (…) Le monde ne sera plus jamais comme avant.

La nouvelle “Anamorphia” annonce cette revanche des végétaux et des minéraux sur l’homme. Mais la fiction est ici à peine forcée tant la question de l’anthropocène et de ses ravages est d’actualité. Faire parler une dent, un fossile de poisson, des graines ou le “bourgeois” brocolis est aujourd’hui un acte de résistance à ce monde de béton.

“Les scientifiques nous gardent bien au frais parmi de nombreux congénères, pour pouvoir nous utiliser en cas de grande catastrophe écologique”, confient les graines du cèdre du Liban, du fond du sac où elles sont conservées. “Le feu de la vie sommeille en nous.”

Dans l’attente d’une germination qui ne dépend pas d’elles. Une germination sur laquelle le dessin prend de l’avance, débordant du cadre de la page, qu’il parsème de petites touffes qu’on imagine verdoyantes, ou de racines abondantes et profondes. Les photos, elles, saisissent les locuteurs dans leur dignité, graines et fossiles élégamment disposés, comme prenant la pose. Un très joli petit livre.

Dans le texte: Demain sera beau

“Bien des esprits ont besoin d’espoir car aujourd’hui l’inquiétude règne. Les pandémies et les catastrophes naturelles sont amenées à se répéter et la planète serait vouée à disparaître si les arbres n’étaient plus de ce monde. Les défenseurs de la forêt amazonienne sont très inquiets. Les peuples ont vendu leur honneur contre pauvreté, ignorance, obscurantisme et tyrannie.

Mais Demain sera beau, le chaman du village d’Ozaca me l’a dit dans mes rêves. Les oiseaux chanteront et l’eau coulera sur les collines, traversant les villages, abreuvant les bêtes et nourrissant la végétation et les champs cultivés. Demain sera beau, les arcs-en-ciel se croiseront dans les airs et formeront une énorme onde positive et réparatrice au-dessus de la terre. Demain sera beau, les abeilles proliféreront, le miel abondera et l’homme cessera enfin de vouloir maîtriser la nature.