Sur les épaules de Hicham, deux anges veillent, pour enregistrer l’un ses bonnes actions, l’autre ses mauvaises actions.
Mounir, en charge des bonnes, accueille Hakim, son nouveau coéquipier chargé des mauvaises, suite à la défection de Lofti qui a renoncé à l’immortalité pour rejoindre le monde des humains. “Ceci est l’histoire d’un ange envoyé du ciel pour entamer une vie active dans un monde où le mensonge universel a pris la place des vérités plurielles, ultime manière d’humilier cette vie, avant la prochaine.”
Consigner, pourquoi ?
Deux anges en train d’observer les humains qui les fascinent, cela renvoie immédiatement au film de Wim Wenders, Les ailes du désir (1987). Mais ici, il n’est pas question d’intimisme ni de mélancolie nostalgique. Le ton est plutôt à la drôlerie.
«L'effet Lucifer»
140 DH
Ou
Mis à part des passages descriptifs des actions de Hicham, tout le livre repose sur le dialogue entre les deux anges, et sur le contraste entre leurs positions. Il y a l’ancien et le nouveau, le blasé et le naïf, le lénifiant et l’intransigeant…
Le comique tient au fait que Hakim et Mounir sont à l’opposé l’un de l’autre, que par le fait que leur statut d’ange correspond en fait à un travail de greffier, voire de comptable, préoccupés de leur statut, de leur carrière et même de leur droit de grève. “Tu es plutôt besogneux… Un gratteur du secteur tertiaire…”, accuse Mounir, qui se veut “visionnaire”.
Hicham Lasri aborde avec humour et causticité la dimension de contrôle social inhérente aux religions, analysée dans des termes quasi managériaux. Il nous montre deux anges voyeurs, qui pontifient sur le sens du monde – “C’est la démétaphorisation des religions”, assène doctement Mounir – mais pinaillent sur la qualification des actes à consigner sur leur tablette connectée.
Hicham Lasri emprunte son titre au psychiatre Patrick Clervoy, auteur d’une étude sous-titrée “Des bourreaux ordinaires”, sur la violence de masse et la façon dont un individu quelconque pouvait devenir un bourreau. Une partie importante du dialogue porte justement sur les motivations de Mounir et de Hakim.
On regrette la sempiternelle complaisance de l’auteur pour le registre scatologique, les transcriptions d’ahanements… Mais il y avait longtemps que Hicham Lasri n’avait pas publié un texte aussi maîtrisé
Si ce dernier est un exécutant peu curieux, Mounir médite sur la révolte de Satan, “un terroriste comme un autre. Il fut un temps où le terrorisme était la seule arme contre l’establishment…” Et de s’emporter contre son acolyte : “Ça te démange, mon petit salaud… de planter le premier venu (…) un vrai makhzanien!”
On regrette la sempiternelle complaisance de l’auteur pour le registre scatologique, les transcriptions d’ahanements qui lui vaudraient de concourir pour le prix de la pire scène de sexe (oui, ça existe) et les navrantes descriptions de “femelles” prétendument (même si c’est du vingtième degré). Mais il y avait longtemps que Hicham Lasri n’avait pas publié un texte aussi maîtrisé.
Dans le texte: Hakim, le nouveau
“Je ne vais pas me présenter, ni dire bonjour… Et ce n’est pas l’envie qui manque: c’est ma première journée de boulot, une journée importante, grave, solennelle, mais aussi le début pour moi d’une nouvelle carrière. Comme toutes les carrières, ça commence avec cette terrible et décisive période d’essai. Les humains appellent ça… stage… période d’essai… intérim.
Toute mon existence d’ange a été orientée vers cette possibilité d’être un agent du système… un délateur… un scribe… un œil attentif, un doigt agile… J’en avais marre de jouer les éventailleurs et les rafraîchisseurs dans un lieu climatisé… Tu comprends ? (…) Je ne sais pas ce qui m’attend. On ne m’a rien donné comme instructions, à part une tablette et un peu de connexion pour rédiger mes rapports et noter les mauvaises actions.
C’est un grand honneur de servir les enfants d’Adam. Ils sont devenus si nombreux… si différents… Adam en serait fier s’il n’était pas occupé à tabasser sa femme tous les jours pour reprendre sa côte… Ève est gentille, un peu délurée, le cheveu sur le nibard et la fesse flasque… Elle ne se rend pas compte qu’elle a grossi et qu’une feuille de vigne ne suffit pas pour cacher ses plus et ses bourrelets.”
«L'effet Lucifer»
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