TelQuel : Cette journée du 10 août célèbre le migrant. Quels sont les défis auxquels est confrontée aujourd’hui notre communauté de migrants et comment le CCME les accompagne-t-il pour les relever ?
Abdellah Boussouf : La journée nationale du migrant témoigne de l’importance des Marocains du monde (MDM) pour notre pays mais aussi le rôle crucial qu’ils jouent dans son développement, pas seulement au niveau financier, mais à travers leur contribution à différents chantiers comme celui de la démocratie, l’égalité des chances, l’égalité des sexes, etc.
Pour ce qui est des défis, il en existe plusieurs. Le premier est de maintenir l’équilibre qu’exige la double appartenance des MDM, étant donné qu’ils vivent entre deux pays. Cet équilibre est nécessaire pour faire face aux problématiques telles que le racisme, la xénophobie, l’islamophobie, etc.
À ce propos, nous avons récemment réalisé un sondage avec l’aide de l’institut Ipsos sur 1 400 jeunes Marocains dans 6 pays d’Europe. Parmi les réponses, 60 % de nos jeunes souffrent du racisme dans la recherche de travail, de logement, etc. En tant que CCME, il s’agit de sensibiliser la société civile marocaine au sein de ces pays pour qu’elle puisse avoir des liens avec la société civile du pays d’accueil.
Nous avons aussi constaté à travers notre sondage qu’il y avait un déficit de connaissance quant à ce qui se passe au Maroc. Nous n’avons pas encore développé une communication efficace. Cette communication nécessite l’usage de langues autres que le français et l’arabe.
L’idée est de permettre à nos jeunes partout dans le monde de suivre l’évolution et les mutations que connaît notre pays afin qu’ils puissent contribuer à ses différents chantiers, notamment l’investissement, à partir de leur pays de résidence. C’est ce qu’on appelle la mobilité et la mobilisation.
Malgré le contexte pandémique actuel, le lien avec les MDM n’a jamais été rompu. Des notions comme la solidarité n’ont jamais été aussi incarnées (on le voit par exemple dans le transfert de fonds). Comment l’expliquez-vous ?
Les Marocains du monde ont toujours été un soutien fort pour leur pays d’origine et n’ont cessé de le manifester. Dans le sondage que nous avons réalisé, les jeunes expriment leur volonté d’intégration à la fois dans leur pays d’origine et dans leur pays d’accueil. Je qualifie cette relation qu’ont les MDM au Maroc de “métaphysique”. C’est une relation qu’on ne peut pas expliquer uniquement par le transfert d’argent. Elle se situe au-delà de tout ce qui est matériel.
“Les Marocains du monde ont toujours répondu présents quand il s’agit d’être solidaires avec leur pays d’origine ou encore de défendre les intérêts du Maroc”
Et effectivement, le transfert d’argent a connu en 2020 une hausse de 5 %, contre toute attente. La Banque mondiale avait annoncé que les transferts de fonds de l’immigration au niveau international allaient baisser de 20 %. Les Marocains du monde ont fait l’inverse de cette prévision : pour le premier semestre 2021, les transferts ont connu une hausse de 48 %.
Les Marocains du monde ont toujours répondu présents quand il s’agit d’être solidaires avec leur pays d’origine ou encore de défendre les intérêts du Maroc.
Justement, pour garder ce lien aussi fort, quels sont les leviers qu’il faut activer ?
Il faut consolider cet attachement à travers les deux liens : spirituel et culturel. Nous avons une culture très riche qui répond aux exigences de la modernité puisque nous avons une société multiconfessionnelle et multilingue avec divers dialectes.
La Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) a fait la recommandation de créer une agence culturelle pour répondre aux attentes des Marocains dans le domaine de la culture et disposer d’une offre culturelle qui réponde à ces attentes. Le CCME évoque depuis 2012 la nécessité de la création de cette agence, à l’image des autres pays du monde (France, Espagne, Allemagne…) qui disposent de différents instituts pour promouvoir leur culture et leur langue.
Il faut aussi s’intéresser aux jeunes et aux femmes. L’une des caractéristiques de notre communauté est qu’elle s’est rajeunie et féminisée. À ce titre, il est important d’apporter quelques améliorations dans notre Code de la famille pour qu’il soit en phase avec le Code juridique des différents pays dans lesquels est présente notre communauté, notamment en Europe.
*Cet article est le fruit d’une collaboration entre Diaspora par TelQuel et le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME).