Les temps du cœur, selon Saïd Kobrite

Le dernier recueil de Saïd Kobrite, élégamment traduit en français par Rachid Khaless, chante 
les intermittences de l’amour.

Par

Saïd Kobrite
Saïd Kobrite est poète, auteur entre autres de ‘Telle une passion qui court après le vent’ (2016) et de ‘Je vais vers toi, captif de ton secret’ (2018). Crédit: DR

Ne voyage pas comme une valise / Comme un aveugle / Emprunte le pont à mi-chemin d’une source et d’un palmier”, invite Saïd Kobrite, en ouverture d’un délicat recueil en hommage à l’incertitude.

“Rien dans l’amour ne garantit / La fidélité de la nuit”

Saïd Kobrite

Car il est ici question de l’amour et de ses aléas, de voies sans issues, d’échecs et de lassitude. “Rien dans l’amour ne garantit / La fidélité de la nuit”. Les vers se déploient avec une grâce mélancolique dont le final vient en contrepoint former une chute.

“Peut-être seras-tu l’oiseau qui tombe / Qui s’abat sur l’aile du temps / Et jamais n’apprend le vol.” Et dans cette progression rythmée, c’est à un voyage introspectif que se livre le poète, sur le mode de la confidence.

Errance et espérance

“Je n’aime (personne d’autre) que moi”. Tel était, nous glisse en préface l’éditeur, le titre du recueil de Saïd Kobrite, qui annonce un “bréviaire de l’amoureux transi”, avec ses tempêtes émotionnelles et sa lucidité.

Car l’amour, si tourmenté soit-il, – “Et elle te voue encore tout son amour pervers”, s’énonce moins sur le mode du couple que par le biais d’un paysage intérieur, intimiste, fait de lagunes, de vagues, de rivières, de soleil, de forêts et de musique.

Parfois le poète aime, de Saïd Kobrite
Parfois le poète aime, de Saïd Kobrite, traduit de l’arabe par Rachid Khaless, éd. Virgule, 146 p.

C’est le mouvement de l’eau ou sa stagnation qui dit l’espérance, le désir, le refus. “Il ne s’agit pas de désaimer, mais d’aimer autrement : comme par défaut, par procuration”, continue Rachid Khaless. Et c’est ce qui fait la subtilité de ce texte aux poèmes brefs, qui évoquent la passion par le détour de ce qui lui offre un décor, une enveloppe. “Les miroirs me troublent / Ils dépoussièrent la mémoire des amoureux / sans merci”.

Le temps est ici un compagnon de route, tantôt complice, tantôt douloureux, porteur de nostalgie et de cicatrices, attentif aux blessures de l’âme et au “testament du corps”. Il assiste les nuits d’insomnie, les ruines d’images d’un amour “devenu aveugle, sourd, sans langue”.

Le ton est souvent à la déception et au chagrin, et si “rien ne vaut / le cri du néant”, c’est à la poésie qu’il revient d’être un baume. Pour Saïd Kobrite, l’émotion naît de la concision, de la retenue et de l’image évoquée par petites touches. Ainsi “Alcôve” : “Farouchement impassible / Violemment doux / Le dard de sa trahison / Dans les alcôves du cœur.”

Sans pathos, il dit la fragilité, le regret, le doute, la perte. Il cherche patiemment le chemin de la résilience et de l’espérance, ballottées dans “les eaux d’un fleuve / dont nous n’avons pas encore atteint le fond”.

Car “L’amour est une navigation ardue / loin de tes ports.” Car le cœur est “embrasé / des bûches de sa promesse”, car la blessure devient “l’amie de l’âme”. Un recueil tout en finesse.

Dans le texte.

Trouble

“Les lagunes me troublent

Ils se baignent dans l’eau

Et demeurent

Insatiables

 

Les baisers me troublent

(À leur endroit), je pare mes lèvres de fleur d’oranger et de basilic

Mais elles partent au galop sur des rivages

Arides

 

La symphonie des mélodies sur son corps me trouble

À la façon d’une tempête

Au seuil des temples

Elle fait vibrer les cloches

Quand elle gronde

 

[…] Et me troublent l’amitié des vagues et du sable

Chaque nuit ils franchissent des frontières

Sans répit

Sans astrolabe”