«L'île du couchant»
150 DH
Ou
Avec plus d’une trentaine d’ouvrages à votre actif, c’est la première fois que vous écrivez sur le Maroc. Pourquoi maintenant ?
L’idée d’écrire sur le Maroc n’est pas née d’hier. J’y suis venu à plusieurs reprises en bon touriste, puis pour faire la tournée de certains lycées à Rabat, Marrakech et Casablanca. À ces occasions, j’ai pu rencontrer des professeurs et intellectuels, à qui j’ai posé plusieurs questions.
Avant cela, je ne connaissais pas grand-chose de l’histoire du Maroc, hormis l’essentiel. Il y a trois ans, j’ai été invité au Maroc par un club de lecture pour parler de l’un de mes derniers romans : une autre occasion de rencontrer des personnes passionnantes qui ont continué à semer la graine en moi.
C’est comme ça que l’idée d’écrire une partie de l’histoire du Maroc en deux tomes, en toute modestie, m’est venue petit à petit, de l’histoire des Berbères au début du protectorat. Dès que j’ai commencé mes premières recherches, j’ai tout de suite compris que tous les ingrédients du roman historique étaient là.
Votre récit, bien que romancé, reste très rigoureux en termes de dates, de lieux, de personnalités et d’influences socio-culturelles. Quelles ont été vos sources ?
Il y en a énormément. Je me suis servi de documents d’époque, de rapports d’ambassadeurs… À la Bibliothèque nationale de France, on retrouve des centaines d’ouvrages qui retracent l’histoire du Maroc, notamment la période du protectorat.
Les documents sont là, il suffit de se pencher pour les ramasser. Ensuite, c’est simplement une question de tri… Sinon, on se retrouve avec des tomes de deux mille pages (rires).
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Le genre semble être votre spécialité. Dans un récit historique avéré, quelle est la marge de fiction dont vous disposez ?
Je crois que c’est une question de dosage. Quand vous faites des recherches sur un sujet pendant un an, vous disposez d’un panier plein d’informations, avérées ou pas, dans la mesure du possible, puisque les historiens se contredisent souvent.
Dans un autre panier, vous avez votre imaginaire, qui est le rêve et le fantasme de l’écrivain, et qui renferme des personnages de fiction. Toute la complexité du roman historique réside dans le mélange de ces deux paniers.
Il ne faut pas que la documentation rassemblée au préalable vienne dévorer le roman. Il s’agit de conserver à la fois le rêve et la réalité. Ce n’est pas facile à faire, il n’y a pas d’école pour apprendre. Je pense que cela relève plutôt d’un exercice instinctif.
Selon vous, en quoi la vie du sultan Moulay Ismaïl est-elle digne d’un roman ?
Ce sultan a tous les ingrédients d’un personnage romanesque. Néanmoins, il représente pour moi un fil conducteur, une sorte de pelote de laine que je tire afin de raconter d’une part l’histoire du Maroc à travers son règne, et celle des Amazighs à travers les chroniques berbères que l’on retrouve dans le roman grâce à des flashbacks.
Puis il y a un troisième tiroir dans ce livre : le journal du médecin, Casimir Giordano, qui raconte sa vision du Maroc – qui, pour changer un peu, n’a rien d’exotique ou d’orientaliste.
“Moulay Ismaïl est l’un des plus grands sultans du Maroc, et mérite que l’on s’intéresse à lui”
Ce que je veux dire par là, c’est que Moulay Ismaïl est une sorte de prétexte parfait. J’aurais pu commencer ma trilogie avec Idriss Ier ou encore Moulay Rachid, mais je ne pouvais pas résister aux cinquante-deux ans de règne de Moulay Ismaïl.
C’est un moment de l’histoire où cet homme va se battre toute sa vie pour libérer le Maroc de l’occupant, ainsi que pour unifier un pays très difficile à gérer. Il suffit de regarder l’histoire en face : des dynasties qui se chassent, des clans constamment en guerre, des fratries qui s’entretuent pour le pouvoir…
Il est pour moi l’un des plus grands sultans du Maroc, et mérite que l’on s’intéresse à lui, au-delà de sa réputation de “Barbe bleue” et d’homme cruel. Quant à la dimension épique du roman, les faits d’armes de Moulay Ismaïl parlent d’eux-mêmes : je n’ai pas eu grand-chose à faire (rires). C’est pour cela que le Maroc constitue un formidable sujet de roman.
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Bien que les échecs de Moulay Ismaïl soient également racontés dans L’Île du couchant, pensez-vous avoir glorifié et idéalisé le personnage de Moulay Ismaïl pour les besoins du genre épique ?
Je n’ai pas essayé de le glorifier. Par contre, ce que je n’ai pas voulu faire, c’est souligner sa cruauté, comme l’ont fait tous les historiens. On raconte par exemple qu’il coupait des têtes tous les matins au petit-déjeuner…
Il y a des exagérations absolument énormes rapportées par ses prisonniers français ou anglais une fois rentrés chez eux, qui ont servi de matière aux historiens. Ces prisonniers ont écrit sur leur séjour en captivité. Le bonheur ne fait pas vendre : plus ils racontaient d’atrocités, plus ils vendaient de livres.
Je ne dis pas que Moulay Ismaïl n’était pas un dirigeant d’une très grande dureté, je dis simplement que je n’ai pas voulu faire comme tout le monde et ne souligner que cet aspect-là. Si l’on prend l’exemple de Napoléon, il était cruel aussi et faisait exécuter des hommes sans procès, de même que Mohammed Ali en Égypte…
Ce que je veux dire par là, c’est que ces gens-là ont vécu dans une autre époque, qui n’est pas celle des droits de l’homme. Je n’ai pas voulu glorifier Moulay Ismaïl, mais je n’ai pas voulu non plus le caricaturer, comme l’ont fait beaucoup d’historiens. J’ai voulu rappeler le bâtisseur et le guerrier qu’il a été ainsi que la tolérance religieuse qu’il a fait régner au Maroc. Cela me semblait plus intéressant que de raconter qu’il a coupé des têtes de prisonniers.
En filigrane, vous racontez deux histoires que mille ans séparent : celle du sultan Moulay Ismaïl, et celle de Dihia, guerrière amazighe. Voyez-vous une continuité de l’épopée de Dihia à celle de Moulay Ismaïl ?
C’est d’abord parce que je crois que les Amazighs sont incontournables dans l’histoire du Maroc. Ils sont les premiers habitants de ce pays, avec leurs propres croyances, langues et traditions, et, surtout, avec leurs propres héros et héroïnes.
C’est un peuple qui a existé pendant des siècles, et qui a combattu les Arabes pendant quarante ans lorsqu’ils ont cherché à conquérir leur territoire. Je tenais absolument à ce que dans ce roman ce peuple soit présent, car il fait partie de cette histoire. Ça me paraissait tout à fait naturel.
À travers la mention de personnalités historiques féminines telles que Dihia, Sayida Al Horra, Lalla Khenata, peut-on lire une tentative de restituer la place injustement effacée des femmes dans le récit historique du Maghreb ?
Absolument ! J’ai tenu à mentionner ces femmes, ainsi que d’autres, telles que Fatima El Fihriya ou encore Kenza Al Awrabia (l’épouse de Idriss Ier, ndlr)… Vu de l’Occident, on a tendance à considérer que la femme arabe ou maghrébine est une soumise, un objet de désir qui élève des enfants et tient une maison.
Je crois profondément que cela n’a pas toujours été le cas dans l’histoire du Maroc, et les femmes citées dans ce roman en sont le parfait exemple. Il est bon de rappeler que la femme se doit d’occuper des postes de responsabilité, à l’image de ses ancêtres.
D’ailleurs, ce sont les hommes qui ont eu tendance à effacer les femmes de l’histoire, puisque ce sont principalement eux qui l’ont écrite.
Le potentiel romanesque, et littéraire en général, que renferme l’histoire du Maroc est-il sous-exploité ?
Il y a effectivement très peu de romans historiques sur le Maroc. Peut-être que les auteurs marocains ont plus envie de faire de la fiction. Souvent, lorsqu’on est citoyen d’un pays, on s’intéresse plus à l’histoire de nos voisins qu’à la nôtre.
En tout cas, j’encourage vivement les Marocains à écrire sur l’histoire de leur pays, parce qu’elle est tellement riche, et qu’elle renferme tous les ingrédients du roman historique.
On pourrait écrire des centaines et des centaines d’histoires sur le Maroc. Entre les différentes dynasties, les Amazighs, les tribus et les règnes de sultans…
Il faudrait une vie pour écrire l’histoire du Maroc !
À travers les méconnaissances du monde arabe de vos personnages occidentaux, on pressent une volonté de souligner la richesse des civilisations islamiques au fil des siècles…
Évidemment ! L’université Al Qaraouiyine est citée à plusieurs reprises par exemple : l’idée étant d’affirmer, encore une fois, que c’est la plus vieille université du monde, bien avant la Sorbonne.
Cela me tient beaucoup à cœur, parce que de nos jours, nous avons totalement oublié ce que fut la civilisation islamique. Elle a d’une part été oubliée par les Occidentaux, mais aussi par la jeunesse musulmane.
Plus personne ne se souvient de l’apport du monde musulman à l’Europe, que soit à travers la médecine avec Ibn Sina, la philosophie avec Ibn Rochd, ou encore à travers l’algèbre et la cartographie ! Tout ce savoir a été fondateur et renferme une richesse incommensurable que nous n’avons pas le droit d’oublier.
Dans votre ouvrage, on perçoit également entre les lignes une critique virulente de l’orientalisme et de l’ethnocentrisme européen…
Parfaitement ! On a tellement caricaturé cette région du monde, le Maghreb, au XVIIIe siècle : elle était perçue comme étant peuplée de barbares, c’est tout juste si on ne demandait pas aux ambassadeurs qui arrivaient à la cour du roi de France s’ils avaient amené leurs chameaux. J’ai voulu ridiculiser cette vision que l’Occident a toujours eue à l’égard de l’Orient.
Moi qui suis né en Égypte, j’ai connu la caricature des Occidentaux à l’égard des Égyptiens, qui pensaient que l’on vivait entourés de crocodiles (rires). En écrivant, j’ai voulu forcer ce trait-là dans mes dialogues.
Les relations du Maroc avec les puissances étrangères, telles que la France, l’Espagne ou encore l’Angleterre, sont au centre de l’intrigue. Sous le règne de Moulay Ismaïl, peut-on voir se dessiner les prémices de la domination coloniale du Maghreb, qui débutera un siècle plus tard ?
Bien sûr, et on les voit se dessiner même avant le règne de Moulay Ismaïl. Quand celui-ci prend le pouvoir, Melilla, Ceuta, Tanger, et bien d’autres villes sont sous occupation étrangère.
“Lorsque Napoléon envahit l’Espagne, sa première idée fixe est de conquérir le Maroc”
Plus tard, à partir du règne de Napoléon, lorsque celui-ci envahit l’Espagne, sa première idée fixe est de conquérir le Maroc. Il a même envisagé de dresser un pont entre Tarifa et Ceuta pour envahir le Maroc à partir de l’Espagne !
L’Occident a toujours eu envie de s’approprier cette région du monde, et de se “payer” le Moyen-Orient. À l’époque de Moulay Ismaïl, les rapports de force sont déjà installés, et sont en faveur de l’Europe, parce qu’ils ont la puissance militaire et navale nécessaire.
Ils sont militairement en avance sur le Maghreb. C’est la loi du plus fort.
Le deuxième tome racontera la période allant du règne du sultan Moulay Abdallah jusqu’à l’instauration du protectorat en 1912. À quoi faut-il s’attendre ?
Cette intrigue se déroulera à une époque plus proche du monde contemporain, avec des informations beaucoup plus précises établies par les historiens.
Dans ce deuxième tome, je veux démontrer le machiavélisme des puissances occidentales, à travers le jeu de l’Angleterre, de la France et de l’Allemagne qui tentaient d’accaparer le Maroc. C’est un jeu politique assez diabolique, où l’on voit toute la perversité et le manichéisme des puissances occidentales lorsqu’elles veulent mettre la main sur un pays.
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