Corruption : “Les femmes se heurtent souvent à des demandes de contreparties de nature sexuelle”

Quatre questions à Ali Sadki, coordinateur des travaux sur l’“Impact de la corruption sur les femmes”, et Naïma Benwakrim, experte genre de ce projet mené par Transparency Maroc. 

Par et

Transparency Maroc appelle à tenir compte des formes spécifiques de corruption dont les femmes sont victimes.

TelQuel : Quel est l’objectif de ce projet ?

Les efforts de lutte contre la corruption ne tiennent généralement pas compte de l’impact spécifique que la corruption a sur les femmes qui se heurtent souvent à des demandes de contreparties de diverses natures, notamment de nature sexuelle. On observe une ignorance de leurs droits, la peur de la stigmatisation et des représailles, la protection inadéquate des dénonciateurs et l’absence de mécanismes de déclaration sûrs qui prennent en compte les diverses formes spécifiques de corruption dont les femmes sont victimes.

“Il y a corruption sexuelle lorsqu’un droit ou un document en principe gratuit est conditionné par l’octroi d’une faveur sexuelle”

Pour toutes ces considérations, Transparency Maroc a développé ce projet en partenariat avec l’Association internationale des femmes juges Transparency International et l’Union des femmes juges du Maroc pour promouvoir au Maroc un discours anti-corruption prenant en compte le genre, avec les objectifs suivants :

  • Approfondir les connaissances sur les formes spécifiques de corruption dont les femmes sont victimes, notamment la corruption sexuelle ;
  • Créer des mécanismes sûrs que les femmes pourront utiliser pour déclarer la corruption dont elles sont victimes ;
  • Informer et sensibiliser les femmes à leurs droits ;
  • Sensibiliser toutes les composantes de la société aux formes de corruption liées au genre.

Quelle est la différence entre les hommes et les femmes dans le délit de corruption ?

Les analyses de genre engagées jusqu’à présent ont démontré qu’il existe des formes particulières de corruption subies par les femmes :

  • En causant le détournement des ressources publiques et en grevant le développement des secteurs sociaux, la corruption aggrave les asymétries de genre observées en matière d’accès à l’autonomie, d’accès aux ressources et de jouissance des droits des femmes. Ainsi, la corruption compromet tous les efforts entrepris pour promouvoir les droits des femmes et fait barrière à tout financement destiné à cette fin.
  • L’inégalité entre les hommes et les femmes dans l’accès aux ressources et dans leurs distributions et les rapports de pouvoir polarisés et hiérarchisés de genre exposent davantage les femmes aux méfaits de la corruption.
  • La corruption peut aussi conduire à l’abus sexuel des femmes, notamment à des tentatives et à des actes de corruption sexuelle (sextortion). Ces actes comprennent à la fois des pratiques à caractère de corruption (utilisation abusive d’un pouvoir à des fins privées) et des formes d’agression ou d’abus sexuel (le gain tiré est à caractère sexuel).

Dans le cadre de ce projet, vous avez lancé la campagne Stop Sextorsion Maroc. Peut-on parler de délit de sextorsion dans ce chantage exercé par certains professeurs sur les élèves ?

Bien sûr, parce qu’il s’agit de détournement d’un pouvoir qu’a l’enseignant sur les étudiants au profit d’intérêts privés et c’est la définition de la corruption. Il y a corruption sexuelle lorsqu’un droit ou un document en principe gratuit est conditionné par l’octroi d’une faveur sexuelle. On peut donc l’imaginer dans la relation enseignant-étudiante.

Les étudiantes ne passeraient-elles pas de victimes à corruptrices dans ce cas ? N’est-ce pas reléguer le crime sexuel au second plan ?

“On ne peut parler d’instigatrice de la corruption dans un milieu où aucune mesure de prévention ou de protection contre ce délit n’est mise en place”

Les femmes peuvent être dans certains cas des instigatrices de la corruption sexuelle (proposer directement ou indirectement l’obtention de bonnes notes en échange de faveurs sexuelles), mais ceux qui devront être redevables de cet acte sont bien les professeurs puisqu’ils sont dans une position de pouvoir et c’est à eux que revient la responsabilité de veiller à la préservation de l’éthique et de l’intégrité dans le milieu estudiantin. D’autant plus qu’on ne peut parler d’instigatrice de la corruption dans un milieu où aucune mesure de prévention ou de protection contre ce délit n’est mise en place.

D’après les chiffres présentés par le HCP dans son rapport sur la prévalence des violences fondées sur le genre de 2019, plus de 22 femmes sur 100 ont subi une ou plusieurs formes de violence dans des lieux d’étude et de formation, dont 10,5 % sont des agressions d’ordre sexuel. Dans les cycles d’enseignement supérieur, 53 femmes sur 1000 ont été victimes de harcèlement sexuel.