Chez Jacques Brel, l’ex-calamiteuse qui revient s’appelle Mathilde. Chez Moha Souag, son pire cauchemar s’appelle Sophie.
La seule femme qu’ait vraiment aimée Hakim est partie un été rendre visite à sa famille à Paris et le seul signe de vie qu’elle ait donné, quelques mois plus tard, depuis les États-Unis, était pour annoncer “non une rupture définitive mais son désir de vivre là-bas, seule, pour un temps indéterminé” : “C’était une façon douce de rompre une relation de quelques années de vie en couple, sans trop de brutalité mais non sans grands dommages pour moi.”
Quand elle lui adresse un message sur Facebook trente ans plus tard, Hakim accourt
Quand elle lui adresse un message sur Facebook trente ans plus tard pour lui donner rendez-vous à Marrakech, en réservant une chambre d’hôtel pour un couple, Hakim accourt. Comme l’amoureux de Brel. Comme le Ricardo de Tours et détours de la vilaine fille de Mario Vargas Llosa.
«Mon ex a appelé»
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En se demandant : “Pensait-elle que je descendrais là où elle le voudrait ? Je l’accompagnerais encore à travers quelques canyons sombres de sa vie avant qu’elle ne se débarrasse de moi au bout du tunnel et jette le ticket ?”
Le livre du ressassement
Dans La semaine où j’ai aimé (Sirocco, 2016), Moha Souag s’intéressait aux fantasmes plus ou moins hallucinés d’un jeune homme en mal d’équilibre affectif et sexuel.
Ici, ce qui l’occupe, ce sont les atermoiements de son personnage qui se dit à chaque mètre de la route qu’il devrait rebrousser chemin “par respect pour Nora (sa femme) et pour (lui-même)”, mais qui avance, rongé par la curiosité.
Hakim ressasse les souvenirs qui auraient pu expliquer le départ de Sophie, son indifférence, les malentendus, les non-dits, sa propre habitude de s’embourber dans des clichés en aimant “l’idée de la femme abstraite que je voulais aimer”. On retrouve dans ce récit à la langue élégante la tonalité de bilan d’une vie présente dans Nos plus beaux jours (Sirocco, 2014). Et ce bilan est triste.
Dans ces retrouvailles bancales, qui faut-il incriminer ? Le compte Facebook indélicat qui a permis à Sophie de retrouver son ex-mari ? L’ex-mari en question qui a accepté de la revoir ? Ou son for intérieur, rongé par les questions restées sans réponses, par les silences et les peurs intimes ?
Moha Souag livre ici un récit intimiste, qui se passe presque entièrement dans la conscience de son personnage. Comme dans le passé, les faits relevant de la réalité apparaissent en effet comme secondaires, comme les points de départ à une introspection qui s’éclaire d’une myriade de sentiments, comme le ressentiment, l’espoir, la honte, la colère, les regrets.
Peu de place ici pour le bonheur. Comme l’insecte qui, à l’aéroport, s’entête à goûter la pomme d’un voyageur qui finit par l’écraser, Hakim rumine avec une délectation masochiste un passé qui aurait dû être révolu mais qu’il a continué à faire vivre en dépit du réel. Un texte plein de mélancolie.
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Dans le texte.
Retrouvailles avec soi
“Je suis venu à la recherche de ce mot libérateur, de cette phrase clé qui m’aiderait à décrypter mon énigme. Apprendre de l’autre un secret de moi-même.
Sophie serait pour moi le miroir qui me refléterait mon ancienne image idéale, celle de ma jeunesse conquérante, aimée et aimante. Elle serait moi déformé. Je verrais en elle mon reflet anamorphosé.
Comment alors rétablir l’image réelle, corriger le flou ou rétablir les dimensions d’une image tordue par un miroir déformant sans le quitter des yeux ?
Je ne suis revenu que pour mieux repartir, retrouver mon image d’antan, passer du photomaton sépia à l’image idéale sans points rouges de colère et de haine dans les yeux, sans rides dans l’estime de moi et sans cheveux blancs de chagrin.
Cependant plusieurs questions me tarabustaient : comment dois-je la rencontrer ? Quel visage arborer pour cette rencontre ?
Lui exprimer ma colère, ma haine et ma déception puis repartir ou rester poli et cueillir la solution de l’énigme ?”
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