Khadi Hane écrit l’Afrique comme un bagage lourd à porter

Dans ‘Des fourmis dans la bouche’, Khadi Hane dresse un tableau sombre de l’immigration en France, pourtant perçue là-bas au village comme un eldorado. On se croirait, sans peine, encore en Afrique.

Par

Des fourmis dans la bouche, de Khadi Hane
Des fourmis dans la bouche, de Khadi Hane, éd. Le Fennec (2020).

Dans le quartier Château-Rouge à Paris, “ce village africain”, une immigrée malienne décrit sa vie et celles de ses cinq enfants au quotidien, ses voisins…

Une sorte de chronique de vie tribale transposée en plein cœur de Paris. Avec un humour grinçant, acéré, et des métaphores délicieuses. Parfois amères aussi.

«Des fourmis dans la bouche»

Khadi Hane

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Soumise au diktat de l’assistante sociale qu’on lui “a flanquée”, l’héroïne est tenue de répondre au questionnaire de la fonctionnaire : “Quel âge avez-vous ? Vous ne travaillez pas, n’est-ce pas ? Où sont les pères de vos enfants ? Vous êtes divorcée me dites-vous… Mme Renaud collait une série d’étiquettes sur l’unique mal dont je souffrais et dont tout en moi montrait les stigmates : la pauvreté”.

C’était le premier jour de son arrivée dans cet immeuble du quartier Château-Rouge, “même pas haussmanien”,“tous les voisins étaient des Maliens, la plupart dans des foyers polygames et pourvus d’enfants à profusion, mais qui n’hésitaient pas, malgré l’exiguïté, à héberger l’oncle malade, la tante mourante, le cousin ou le parent quelconque, fraîchement débarqué avec une seule valise remplie d’air (…) le temps qu’il fallait pour qu’il trouve des papiers, un boulot, qu’il gagne ensuite la bataille du regroupement familial”.

C’est toute l’Afrique, et pas que noire, avec ses parfums, ses boubous, ses odeurs, qui est décortiquée sous la plume de Khadi Hane, qui est elle-même la narratrice de cette histoire où elle descend tout ce qui bouge: de l’Arabe du coin, impuissant mais qui n’abandonne pas la bataille, malgré tous les moyens qu’on a essayé sur lui, et qui fait du crédit à ses clientes moyennant une petite faveur, aussi petite soit-elle, à ces Maliennes qui ne cessent de se goinfrer pour répondre au calibre demandé par leurs maris, ou qui accueillent “leur petite sœur” débarquée récemment du Mali.

Comprendre bien entendu la deuxième épouse, voire la énième.

La narratrice donne l’impression que le Tout-Paris se limite à ce quartier grouillant, où on entend les voix africaines à des centaines de mètres à la ronde, tous les jours de la semaine et à n’importe quelle heure, au point où M. André appelle les flics au secours parce que son caniche risque de faire une dépression tellement il est terrorisé.

En costume de pauvre

Dans tout ce “brouhaha”, elle n’arrête pas de faire ses prières, dans une langue qu’elle ne comprend pas, mais qu’on lui a inculquée au pays, espérant que Dieu exauce ses vœux, tout en sachant que ce qu’elle demandait était simple : “Il ne s’agissait pas pour moi de lui quémander le pardon de mes fautes, ni la longévité sur cette terre qui m’avait taillé un costume de pauvre, un dégradé de misère ton sur ton, plus miteux encore que celui que j’avais laissé dans mon village malien”.

Même si, de temps en temps, “Dieu me paraissait soudain inaccessible”, tant, malgré ses supplications, sa situation ne change pas.

Et comme elle quitte le groupe de ses compatriotes pour sortir avec un blanc, elle devient la cible de toutes les Mamas, celles qui lui reprochent son célibat au lieu de se marier avec un Malien. Vu que le blanc qu’elle fréquente, et c’est bien connu, ne peut pas la satisfaire “avec son sexe de la taille d’un annulaire”.

Une écrivaine talentueuse, qu’on découvre tout au long de cette œuvre inspirée de fond en large de l’Afrique, qui manie les mots avec dextérité et les descriptions avec un sens du détail sublimé.

Des fourmis dans la bouche, de Khadi Hane, Editions Le Fennec (2020).

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