Le cinéma de Youssef Chahine dans tous ses états

Les films de Youssef Chahine ont traversé tous les bouleversements du monde arabe. Retour sur le parcours de l’artiste égyptien à travers 11 de ses longs-métrages, tous disponibles sur Netflix.

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Youssef Chahine
Thriller, comédie, comédie musicale, fresque historique, drame personnel... Youssef Chahine a exploité tous les genres. Crédit: DR

Une cinématographie aussi riche que diverse par la variété des thèmes abordés. Durant ses 60 ans de carrière dans le monde du 7e art, Youssef Chahine a réussi à accompagner les évolutions politiques et socioéconomiques du monde arabe, en particulier l’Égypte, à travers ses œuvres.

Des films où les critiques acerbes et frontales de la société se mêlent, de manière inattendue, à une féerie musicale proche de la poésie. Plus qu’un artiste, Youssef Chahine était un dénicheur de talents hors pair.

Nour El Sherif, Faten Hamama, Farid Chawki ou encore Farid El Attrach ont défilé devant sa caméra. Il a également contribué à l’éclosion d’autres carrières, comme celles de Omar Sharif ou Chadia pour ne citer qu’eux.

L’œuvre de Chahine est tout sauf monolithique. L’artiste a exploité tous les genres : thriller, comédie, comédie musicale, fresque historique, drame personnel… Tout en innovant et en imposant sa singularité au cinéma mondial. Pour l’Occident, Chahine est une lucarne sur la complexité du monde arabe.

La critique sociale d’abord

Dès le début des années 1950, Chahine captive le spectateur par l’originalité de ses mises en scène, de ses décors ou en évoquant des thèmes encore tabous au Moyen-Orient. Dans Ciel d’enfer (Siraâ fi Al Wadi), en 1954, il traite de la féodalité et du pouvoir exercé par les riches exploitants sur les paysans.

Le personnage principal d’Ahmad, campé par Omar Sharif, est un ingénieur agronome. Il parvient à améliorer le rendement de la culture de canne à sucre des paysans de la région. Mais le geste déplaît au pacha de la région qui y voit une menace pour son commerce.

11 films du réalisateur sont désormais disponibles en streaming.

Au-delà de la storyline, Ciel d’enfer est une critique glaçante sur les disparités sociales et les artifices dont font usage les puissants pour exploiter les classes les plus démunies. Un thème jusque-là jamais abordé dans le monde arabe.

Dans Eaux noires (Siraâ fi Al minaâ), sorti en 1956, Youssef Chahine revisite le genre dans un cadre urbain. Il y conte l’histoire de Ragab, un jeune marin, revenu dans sa ville natale d’Alexandrie.

Dans le port, il assiste à un conflit entre le directeur du port et des dockers. Il entend également parler d’une rumeur selon laquelle sa fiancée entretiendrait une liaison avec le fils du directeur du port.

Une trahison qui pousse le personnage principal à mener une révolte contre la direction. Avec ce film, Chahine souhaite dénoncer la maltraitance dont est victime la classe ouvrière.

Gare centrale (Bab El Hadid), de Youssef Chahine
Gare centrale (Bab El Hadid), de Youssef Chahine.

En 1958, il revient avec Gare Centrale (Bab El Hadid), considéré comme un des plus grands chefs-d’œuvre du cinéma arabe. C’est dans ce film que, pour la première fois, le cinéaste se met en scène lui-même dans le personnage de Kenaoui, vendeur de journaux infirme, qui tombe amoureux de la délicieuse et provocante Hanouma, une vendeuse de boissons.

Mais elle est promise à Abou Séri, un porteur de bagages dont elle est amoureuse. Fou de rage, Kenaoui ne voit qu’une solution pour empêcher ce mariage : la violence.

Au-delà de cette plongée dans la condition misérable des vendeurs à la sauvette, Chahine explore un thème qui lui vaudra presque la censure : la frustration sexuelle, la masculinité toxique et la violence qui peut en découler.

Le Destin, réalisé en 1997 par Youssef Chahine
Le Destin, réalisé en 1997 par Youssef Chahine, se déroule à Cordoue dans l’Andalousie du XIIe siècle et retrace la vie du philosophe Ibn Rochd (Averroès).

Le récit autobiographique

Durant les années 1980, Chahine se dirige vers des films plus intimistes à travers lesquels il revient sur son adolescence, son statut d’artiste et son amour pour sa ville natale : Alexandrie.

Côté scénario, il abandonne la structure linéaire du récit pour s’aventurer dans un univers plus baroque. Ses productions sont souvent marquées par des chorégraphies mémorables qui n’ont rien à envier aux comédies musicales de Vincente Minnelli.

Alexandrie, pourquoi, de Youssef Chahine.

Dans Alexandrie, pourquoi (1980), c’est un Youssef Chahine nostalgique que l’on retrouve. Il y raconte l’histoire de Yehia, un adolescent chrétien, amoureux du cinéma hollywoodien et destiné à étudier le Septième art aux États-Unis.

Un film où le cinéaste reproduit une Alexandrie des années 1940 où cohabitent des familles de multiples confessions. Une ville où les jeunes ne prêtent pas attention aux évolutions de la guerre mondiale et aux problèmes du quotidien.

Pour Chahine, Alexandrie, pourquoi est un manifeste contre les gouvernements égyptiens et leur tentative de nuire aux relations entre les différentes communautés du pays.

Alexandrie encore et toujours, de Youssef Chahine
Alexandrie encore et toujours, de Youssef Chahine.

En 1990, dans Alexandrie, encore et toujours, Youssef Chahine dénonce directement le président Hosni Moubarak et les mesures prises par le raïs pour contrôler les métiers des arts et du spectacle.

Il y retrace les différents épisodes de la grève de la faim entamée par les comédiens égyptiens pour dénoncer la mainmise des autorités.

Dans ce film, regroupant la crème des acteurs égyptiens, le cinéaste se met une nouvelle fois en scène afin de raconter également les problèmes par lesquels passe un réalisateur pour faire ses films.

Contre tous les intégrismes

Dans ses œuvres, Chahine s’attaque également au fondamentalisme religieux en signant deux films historiques considérés comme des hymnes à l’amour par le monde du cinéma.

Le Destin, de Youssef Chahine
Le Destin, de Youssef Chahine.

Dans son Saladin (1963), marqué par un langage cinématographique à la hauteur des grands péplums de Cecil B. De Mille, Chahine met en scène un Saladin qui va tout faire pour chasser les Croisés de Jérusalem afin d’y faire régner la paix entre les différents peuples.

Au même titre, il utilise cette histoire pour insérer l’histoire d’amour naissante entre Issa, le bras droit de Saladin, et Louise, la chevalière chrétienne.

Ce même message de tolérance et de rassemblement des peuples va être repris dans son chef-d’œuvre Le Destin, réalisé en 1997. Ce film, dont l’intrigue se déroule à Cordoue dans l’Andalousie du XIIe siècle, retrace la vie du philosophe Ibn Rochd (Averroès) et met en scène le climat paisible qui régnait entre les peuples issus des différentes confessions religieuses.

Un énième exemple de la diversité du cinéma de Youssef Chahine, témoin de son époque…