Une liaison passionnelle et rocambolesque, digne des plus grandes romances du septième art. Dans le rôle de l’actrice qui fait chavirer les cœurs: Etchika Choureau, l’étoile montante du cinéma français. Révélée en 1953 par le réalisateur italien Michelangelo Antonioni, cette blonde incendiaire aux yeux vert émeraude enchaîne les tournages et les couvertures de magazine.
Dans le rôle de l’amoureux transi : Moulay Hassan, un jeune prince fougueux, connu du grand public français et destiné à devenir roi du Maroc. Tout les sépare ou presque. Etchika Choureau, née Jeannine Paulette Verret, à Paris en 1929, est française, chrétienne et divorcée de Max Choureau, un apiculteur.
Le prince Moulay Hassan est marocain, musulman et son pays, qui lutte depuis des années contre la présence coloniale française, est en train de négocier âprement son indépendance. On dit que l’amour ne prévient pas. Alors que Moulay Hassan est à Cannes pour une ablation des amygdales en 1956, il rencontre la fringante Etchika au cours de sa convalescence.
Très vite, il tombe sous le charme de celle que les critiques qualifient déjà de “nouvelle Danielle Delorme”, une autre actrice française célèbre. Les deux amants se voient chaque jour et sillonnent La Croisette à bord de la Chevrolet décapotable du prince, au grand dam des paparazzis qui ne parviennent pas à les prendre en photo ensemble.
Quelques mois plus tard, les deux tourtereaux sont rattrapés par la réalité. Le Maroc vient d’obtenir son indépendance et le prince héritier se doit d’être aux côtés de son père pour l’aider à gouverner un pays où tout reste à faire.
Le feu de la passion
“Chaque nuit, ils se racontaient des banalités entrecoupées de je t’adore par-ci et de je t’aime par-là”
L’idylle ne prend pas fin, bien au contraire. Les sentiments des deux amants ne font que croître avec la distance. Malgré ses responsabilités, Moulay Hassan parvient toujours à se libérer pour sa dulcinée. Quand ce n’est pas une escapade de deux ou trois jours auprès d’elle, ils passent d’interminables heures au téléphone. “Chaque nuit, ils se racontaient des banalités entrecoupées de je t’adore par-ci et de je t’aime par-là”, se souvient Midhat Bourequat, chargé à l’époque de sécuriser toutes les communications de la famille royale. Au palais, le prince héritier ne cache rien de son histoire d’amour, tout le monde est au courant. Il donne même des consignes officielles à l’ambassade du Maroc à Paris.
“Moulay Hassan était raide dingue d’elle”
En cas de besoin, Etchika Choureau doit être reçue à tout moment et disposer d’un service diplomatique. Toutes les semaines, le prince y fait également livrer des pâtisseries marocaines, des bijoux traditionnels ou encore des objets de décoration artisanale. “Il était raide dingue d’elle”, confie une ancienne secrétaire de l’ambassade. Seule ombre au tableau, Mohammed V ne voit pas d’un très bon œil les badinages de son fils avec une starlette française, qui plus est divorcée.
En France, où la romance entre Etchika Choureau et le “prince oriental” suscite l’engouement, la presse people spécule sur l’avenir de cette relation. En décembre 1957, le magazine Noir et Blanc, aujourd’hui disparu, titre en Une : “Le prince héritier du Maroc va-t-il renoncer au trône pour une Française ?”
“La tradition alaouite et le protocole du palais exigent qu’un prince épouse une Marocaine. Un mariage avec une Européenne était impensable”
La même question taraude les esprits de la famille royale, dont certains membres interrogent le souverain sur l’éventualité d’un mariage entre l’actrice et le prince. “La tradition alaouite et le protocole du palais exigent qu’un prince épouse une Marocaine. Un mariage avec une Européenne était impensable”, commente Midhat Bourequat. Moulay Hassan fait fi du protocole, il se dit moderne, évolué et francophile.
N’étant pas à un paradoxe près, il n’hésite d’ailleurs pas à faire poser sa belle parisienne en tenue traditionnelle zayane, une tribu berbère du Moyen-Atlas. Des clichés qui seront publiés dans Ciné Revue, un magazine belge, en avril 1958.
Pendant qu’il est occupé à mater violemment la révolte du Rif, Etchika Choureau tente de redonner une impulsion à sa carrière, qu’elle a mise entre parenthèses depuis un an. Elle débarque à Hollywood en 1958 pour tourner Les commandos passent à l’attaque et C’est la guerre (Lafayette Escadrille), sous la direction de William A. Wellman. Les deux films font un flop au box-office. L’actrice décide d’abandonner le cinéma et s’installe à Rabat pour se rapprocher de son prince.
Premier pas à la cour
Sur place, Etchika Choureau est installée dans une villa cossue du quartier Souissi avec gardes, chauffeurs et domestiques. Entre les deux tourtereaux, l’amour est au beau fixe. En plus des dîners aux chandelles et des week-ends à Skhirat, Moulay Hassan n’a de cesse de couvrir sa bien-aimée de bijoux et des dernières créations de la maison Dior.
Et si le couple privilégie l’intimité, le prince fait tout pour que sa compagne se sente à l’aise en société. “Elle était traitée comme une princesse et l’entourage du prince la considérait avec beaucoup de respect”, confirme Midhat Bourequat.
Au sein de la capitale, l’ex-actrice se crée une nouvelle vie. Elle se lie d’amitié avec bon nombre de personnalités françaises résidentes au Maroc qui appartiennent, pour la plupart, au milieu des arts et de la culture. Des amis qu’elle finit par rencontrer chaque jour au “Club”, un prestigieux bar-restaurant de la ville.
Quand son prince est trop absorbé par les affaires du royaume, Etchika Choureau en profite pour voyager à Marrakech, une ville qu’elle apprécie beaucoup, et Paris, où elle fréquente encore le milieu du show-business. Toutes les factures sont envoyées à son petit ami, sur insistance de ce dernier. Et si certains lui prêtent une image de croqueuse de diamants, d’autres en revanche estiment que c’était une femme digne, qui ne s’intéressait guère au titre et à la fortune.
D’après Midhat Bourequat et son frère Ali, dont la famille était proche du sérail, la relation des deux amants a aussi connu quelques anicroches, souvent dues au goût prononcé du prince pour la gent féminine. Des infidélités sans importance selon Moulay Hassan, qui avait l’habitude de dire “Etchika, c’est Etchika”.
Mohammed V aurait intimé à son fils de choisir entre sa jeune conquête ou le trône
Selon Ignace Dalle, l’auteur de la biographie Hassan II : entre tradition et absolutisme, au milieu de l’année 1960, Etchika Choureau serait tombée enceinte et “s’imaginait déjà reine du Maroc”. Excédé par cette relation qui va trop loin, Mohammed V aurait alors intimé à son fils de choisir entre sa jeune conquête ou le trône. Il le menace même de le destituer de son rang de prince héritier.
Quand le prince devient roi
Quelques mois plus tard, en février 1961, Mohammed V meurt des suites d’une opération chirurgicale bénigne. Un décès qui marque définitivement la fin de la romance pour les deux amants. Au moment du drame, Etchika Choureau est à Paris. Lorsqu’elle apprend la nouvelle, elle tente de joindre Moulay Hassan, en vain.
De l’autre côté de la Méditerranée, le prince doit maintenant assumer ses responsabilités, les funérailles de son père d’abord, et la prise du pouvoir ensuite. Et la tradition alaouite ne permettant pas à un roi d’être célibataire, en parallèle des obsèques, le futur Hassan II épouse Lalla Latifa.
Malgré la distance, Etchika Choureau est au courant de tout. Quatre jours après la disparition de Mohammed V, elle arrive enfin à contacter son amant. Déçue, le cœur brisé, Etchika jure de ne plus jamais lui adresser la parole.
Pour lutter contre le chagrin d’amour, elle récupère ses affaires à Rabat et se réinstalle à Paris où elle reprend le chemin des plateaux de tournage. En 1962, elle décroche le premier rôle d’un film intitulé La prostitution, réalisé par Maurice Boutel. Elle y incarne une provinciale qui débarque par amour à Paris et se retrouve finalement contrainte de vendre son corps. Elle joue ensuite dans Angélique: marquise des anges de Bernard Borderie, en 1964, puis dans Paris au mois d’août de Pierre Granier-Deferre, en 1968. Le premier connaît un succès mitigé tandis que le second est un véritable bide.
Cruel, le monde du cinéma n’attend jamais personne et déjà de nombreuses autres actrices tiennent le haut de l’affiche. En revanche, sa brouille avec Hassan II ne dure pas très longtemps. Afin de justifier son récent mariage, le jeune roi invoque l’obligation de se plier au protocole.
“Lorsqu’il était encore prince, Hassan II se disait évolué et monogame. Pourtant, dès la mort de son père, plusieurs femmes destinées au harem sont entrées au palais”
Selon les frères Bourequat, Hassan II n’aurait jamais pris le risque d’épouser Etchika Choureau, tant il était respectueux des coutumes makhzéniennes et impatient de détenir le pouvoir. “Hassan II était paradoxal. Lorsqu’il était encore prince, il se disait évolué et monogame. Pourtant, dès la mort de son père, plusieurs femmes destinées au harem, dont des jeunes femmes issues des tribus zayane, sont entrées au palais”, raconte Ali Bourequat, dans une interview postée sur YouTube en juillet 2013.
Cela n’empêchera pas l’amour des deux protagonistes de se muer en amitié. D’après les frères Bourequat, Etchika Choureau dispose d’une certaine influence sur le monarque. Elle est au courant de tout ce qu’il se passe au sein du palais et connaît toutes les femmes du roi.
Plusieurs rumeurs insinuent également que la jolie blonde aurait été mêlée à la disparition de Mehdi Ben Barka, en 1965. Son domicile parisien aurait servi de centre opérationnel pour les ravisseurs du leader socialiste, notamment les généraux Mohamed Oufkir et Ahmed Dlimi.
En 2004, au moment où la France annonce son intention de lever le secret défense sur les documents liés à cette affaire, Etchika Choureau est entendue par le juge en charge du dossier. À la grande surprise de ce dernier, elle lui présente le passeport d’Oufkir. Selon elle, il l’aurait oublié un jour où il était venu lui transmettre un message de Hassan II. C’est tout ce qui filtrera à l’époque de cette audition, à la suite de laquelle elle ne sera plus jamais inquiétée.
Échanges de bons procédés
À partir de 1966, Etchika Choureau met un terme définitif à sa carrière d’actrice. Elle s’éloigne alors du tumulte médiatique et mène une vie de jeune retraitée entre Paris, Rabat, Marrakech et ses multiples maisons de campagne. Réconciliée avec Hassan II, l’ex-star voit les portes du palais s’ouvrir à elle et fréquente les membres de la famille royale.
Deux ans plus tard, un nouvel homme entre dans sa vie. Il s’agit de Philippe Rheims, un commissaire-priseur richissime, extrêmement reconnu en France. Etchika Choureau présente son nouvel époux à Hassan II, qui se lie rapidement d’amitié avec lui. À cette époque, le souverain fait construire plusieurs palais et résidences secondaires à travers tout le Maroc et il a justement besoin d’un décorateur d’intérieur. Son choix se porte naturellement sur Philippe Rheims, dont la salle aux enchères contient des œuvres d’art très rares.
Lorsque les Rheims se rendent au royaume, notamment pour les fêtes de Noël et les vacances d’été, ils sont accueillis avec faste. Ils ont toujours droit à la plus belle suite de L’Amphitrite à Skhirat ou de La Mamounia, à Marrakech. Tout cela, évidemment, aux frais du palais.
“Personne ne devait contrarier les Rheims et, à leur tour, ces derniers ne se mêlaient jamais de ce qui ne les regardait pas”
Etchika Choureau et Philippe Rheims sont considérés comme des membres de la famille royale à part entière. Quand le roi se rend à Skhirat en famille et que les Rheims s’y trouvent également, il envoie systématiquement les princes et les princesses leur dire bonjour. Philippe Rheims a même le privilège de jouer de longues parties de golf avec Hassan II. “Personne ne devait contrarier les Rheims et, à leur tour, ces derniers ne se mêlaient jamais de ce qui ne les regardait pas”, précise Midhat Bourequat.
Excepté ce jour de 1973, quand Philippe Rheims transmet au roi un message de la part des frères Bourequat au cours d’une partie de golf. Le général Dlimi, à la tête des services de sécurité marocains, serait en train de préparer un complot dans le but de renverser Hassan II. Aussitôt après ces révélations, la partie de golf est écourtée.
Quelque temps plus tard, Ahmed Dlimi en personne fait comprendre à Philippe Rheims qu’il n’est plus le bienvenu au Maroc. Une interdiction de territoire qui ne va pas durer. Très rapidement, le couple français est à nouveau accueilli à bras ouverts au royaume tandis qu’en France, les Rheims invitent à leur table les notables ainsi que les plus grands commis de l’Etat marocain, notamment Moulay Ali Alaoui, cousin de Hassan II et ambassadeur à Paris.
Khalti Etchika
Aujourd’hui encore, Etchika Choureau continue à figurer parmi les invités de marque du palais
Etchika Choureau conservera des relations amicales avec Hassan II jusqu’à la mort du souverain. Avec l’accession au trône de Mohammed VI, elle continue à figurer parmi les invités de marque du royaume. “Elle était parvenue à gagner la confiance et la considération de Hassan II. Il l’avait introduite à la cour, imposée comme un membre de la famille. Une fois qu’on a passé cette étape, on revient rarement en arrière”, assure une proche de la cour. En 2013, par exemple, Etchika Choureau faisait partie des convives du roi et de son épouse, Lalla Salma, à l’occasion du réveillon du Nouvel An.
En dehors des invitations royales, l’ancienne actrice, aujourd’hui âgée de 85 ans, aime passer l’hiver dans les palaces de Marrakech, loin de la grisaille parisienne et de la solitude des maisons de campagne. Elle tient également à transmettre son amour du Maroc à ses petits-enfants. Ses proches la surnomment “Sa Majesté” ou la “Grande Dame”, mais jamais personne ne se hasarde à l’interroger sur son histoire d’amour avec le défunt monarque.
“Elle ne parle pas. Ni de Hassan II ni du Maroc”, affirme Ali Bourequat, qui poursuit : “Même si elle sait beaucoup de choses, pour elle Sidi, c’est Sidi.” Les maisons d’édition qui lui ont proposé de publier ses mémoires ont toutes essuyé un refus. Etchika Choureau a fait son choix. Celui de se murer dans le silence et de conserver précieusement tous ses secrets.
Presse. Etchika et Moulay Hassan en Une
L’hebdomadaire français Noir et Blanc a consacré sa couverture au couple et relate leur rencontre sur un ton très romancé.
En décembre 1957, le magazine Noir et Blanc consacre une couverture à l’idylle de l’actrice et du prince héritier. L’article, intitulé “Le prince héritier du Maroc va-t-il renoncer au trône pour Etchika Choureau ?”, aborde finalement peu la question et brode sur la rencontre des deux amants dans un style très romancé.
Selon l’hebdomadaire, dès qu’il fait la connaissance d’Etchika, Moulay Hassan “apprécie immédiatement sa simplicité et une vraie gentillesse auxquelles d’autres jeunes actrices ne l’avaient pas accoutumé, lorsqu’il les avait approchées. Elle se montra spontanée et gaie, très naturelle. Comme à un vieux camarade, elle lui raconta comment elle était parvenue à sa jeune gloire d’actrice. Elle parla de son enfance dans le Loiret natal”.
La starlette évoque également, toujours selon Noir et Blanc, ses études dans une école de massage médical puis son travail de “vendeuse de miel au pays du Gâtinais”. Mariée à un apiculteur en 1953, la belle a ouvert une boutique de miel à Paris avant de suivre les cours de comédie de Renée Simon. C’est à ce moment-là qu’“Alain Cuny (un acteur français) la découvrit et bientôt, les spectateurs virent à l’écran (…) la silhouette fragile et le regard romantique de cette jeune première”.
Devenue une star, Etchika Choureau quitte son mari. Moulay Hassan, de son côté, lui raconte comment il a passé son enfance entre “études de droit, initiation aux sciences politiques et préparation à la redoutable charge de prince héritier ”, rapporte l’hebdomadaire, qui n’hésite pas à recréer le dialogue entre les deux tourtereaux en faisant parler le prince héritier à la première personne.
“Elevé à l’occidentale, Moulay Hassan s’adonnait à de nombreux sports: le tennis, le ping-pong, la natation et l’équitation”, décrit le journaliste, qui poursuit : “Entre le prince musulman tourné vers le monde moderne et l’ex-vendeuse de miel, l’amour vint tout doucement nouer des liens solides.” Une relation si forte, que la revue conclut son article par cette supputation : “Moulay Hassan est tellement épris de la séduisante vedette qu’il envisagerait de renoncer à ses prérogatives.” C’était mal connaître le futur roi.
Glaoui-Aubry. L’actrice et le prince oriental, l’autre histoire
Une autre Française très célèbre a succombé au charme d’un Marocain puissant. Il s’agit de Cécile Aubry, une actrice, scénariste et réalisatrice française née en 1928. Elle fait ses débuts en tant que comédienne dans Manon, un film d’Henri-Georges Clouzot (1949). Grâce à ce rôle, elle devient le nouvel espoir du cinéma français et signe un contrat avec la 20th Century Fox.
En 1950, elle se rend dans l’Atlas marocain pour tourner La Rose noire, réalisé par Henry Hathaway. C’est là qu’elle rencontre Si Brahim El Glaoui qui n’est autre que le fils du pacha de Marrakech, Thami El Glaoui.
Les deux amants se marient très vite et dans la plus grande discrétion. De leur union naît un fils, Mehdi. En 1956, Cécile Aubry et Si Brahim El Glaoui mettent fin à leur mariage. Malgré cette séparation, l’actrice reste très discrète sur cette histoire.
L’une de ses rares déclarations sera la suivante : “J’ai vécu dans une espèce de clandestinité, sans me montrer. Je mentais à tout le monde, c’était très éprouvant.” Alors qu’elle peine à décrocher un premier rôle, Cécile Aubry, désormais célibataire, se consacre à l’écriture de scénario. À partir de 1965, elle écrit et réalise la mythique série télévisée Belle et Sébastien, dans laquelle son fils incarne le rôle principal.
Article publié dans le numéro 608 de TelQuel datant du 21 février 2014.