A neuf ans, le narrateur avait lu, à voix haute devant la classe, dans une école d’un village englouti par l’expansion d’une ville, “une lettre d’amour écrite à une fille”. Devenu adulte, à chaque fois qu’il passe devant cette école, il revoit, “imprimé sur son fronton, en lettres lumineuses, le souvenir incrusté en moi : ‘Ici fut déclarée une lettre d’amour d’un enfant de neuf ans !’”
L’auteur utilise comme alibi une lettre qui lui permet de revenir sur son enfance, quand il était encore innocent, avant de devenir l’adulte qu’il est et qui se pose tellement de questions. “Qui sommes-nous, à présent, l’un pour l’autre ?”, se demande-t-il, essayant de sonder ce qu’il reste de son passé. “J’ai décidé de regagner ton chez-toi, mon chez-moi d’antan si tu veux bien, l’aire la mieux protégée de toutes mes aires”, clame-t-il.
“Oui, je reviens à l’enfance, le reste je connais. J’y reviens parce qu’il y a chez toi ce que je n’ai retrouvé nulle part”, justifie l’auteur de cette quête du passé, de l’enfance à jamais rien de plus qu’un souvenir lointain, mais un regret éternel quand même.
«Le secret de la lettre»
Mohammed Ennaji
85 DH
Ou
Livraison à domicile partout au Maroc
«Le secret de la lettre»
85 DH
Ou
Les fantômes du passé
Craint-il l’avenir ? Probablement, surtout quand il essaie de le décrire : “Gouffre, nuit, souffrance…” contrairement à l’enfance : “Tu es encore à la phase angélique, ton corps est aseptisé, ton âme aussi…”. L’auteur fait défiler sa vie à travers un dialogue avec l’enfant qu’il a été, ou encore l’adolescent, ou encore l’un de “ces fantômes qui s’échappent à profusion de leurs tombeaux” et qui ont été lui. Mais tous s’écrient à l’unisson : nous ne sommes pas toi, encore moins “un de ces éclopés que vous fûtes”.
Mais ce retour n’est plus possible, comme il se l’avoue lui-même : “Ton retour dans mon temps est contre-nature, une violation en bonne et due forme d’un espace privé” qui ne lui appartient plus.
Mohammed Ennaji est historien, sociologue, économiste et professeur à l’université Mohammed V de Rabat. Ses œuvres, qui traitent souvent de sujets sociologiques importants, comme Les paysans sans terre (avec Paul Pascon), ou encore le très documenté Soldats, Domestiques et Concubines, l’esclavage au Maroc au XIXe siècle, et son œuvre la plus remarquée, Le Sujet et le Mamelouk, esclavage et religion dans le monde arabe, ont défriché des terrains jamais explorés auparavant. Ses œuvres ont été traduites dans plusieurs langues et constituent des références dans le domaine de la sociologie.
Mais ici, dans Le secret de la lettre, c’est sur lui-même qu’il se penche, sur cette fille qu’il a cru entr’apercevoir au village, lors de “ce retour entamé dans le souvenir, où je n’étais pas plus à l’aise que je ne l’étais enfant, au moment des faits”. L’enfant qu’il a été et l’adulte qu’il est aujourd’hui se disputent les souvenirs, l’espace, et le temps qui file très vite. Dans une recherche du temps perdu et de l’enfant qui s’est déroulée trop vite, et pas forcément au bon endroit. Et cette lettre qui, elle aussi, a peut-être été écrite, peut-être pas, mais qui sert de canevas pour suivre l’auteur à travers le temps.
Titre : Le secret de la lettre
Genre : roman
Editeur : La croisée des chemins (2020)
Prix : 85 DH
Auteur : Mohammed Ennaji