Oxfam Maroc plaide pour l’optimisation fiscale, nécessaire pour la résilience économique

Lors d’un webinaire organisé par Oxfam Maroc le 10 février, des économistes de renom se sont succédé pour discuter de la nécessité de l’optimisation fiscale au royaume afin de se préparer à l’après-crise sanitaire. Morceaux choisis.

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Yassine Toumi/TelQuel

Oxfam Maroc a invité des économistes nationaux et internationaux, des représentants du Fonds monétaire international (FMI) et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à prendre part à un webinaire sous le thème “Défis de la pandémie, quelle relance pour le Maroc dans l’après‐Covid?”

Susana Ruiz Rodriguez, coordinatrice globale de justice fiscale chez Oxfam International et animatrice du débat, a mis sur la table la réponse du royaume à la crise économique sur le court terme, les types de fragilités que cette période a mis en avant, ainsi que les principales mesures à mettre en place pour une meilleure résilience et pour réussir la relance économique.

Parmi les problèmes majeurs diagnostiqués : la place prépondérante qu’occupe le secteur informel dans l’économie marocaine et les défaillances au niveau de l’imposition, qui empêchent une meilleure optimisation des ressources.

Le Maroc sur la bonne voie, mais la route est longue

Larbi Jaidi, économiste au Policy Center for the New South, souligne que les moments de crise révèlent les fragilités et nécessitent les décisions les plus importantes. Il rappelle notamment que même si la crise dure depuis un an, elle nous surprend toujours par son imprévisibilité, d’où la nécessité de rester concentrés sur les enjeux réels de la relance économique malgré le début de la campagne de vaccination.

Pour lui, la loi de finances est sortie avec trois choix majeurs : la relance de l’investissement à travers la création d’un fonds de l’investissement financé par différents canaux, qui devrait mettre l’accent sur un certain nombre de refontes sectorielles ; la généralisation de la couverture sociale avec un horizon assez court ; et la réforme du secteur public. Des objectifs qui ne seront atteints qu’en actionnant le levier du financement à travers la dette.

Larbi Jaidi estime que la problématique majeure reste de savoir si la refonte fiscale peut être conduite aujourd’hui dans les meilleures conditions, dans un contexte de tension autour des contributions sociale et professionnelle.

Avis partagé par Roberto Cardarelli, qui s’appuie sur le dernier rapport de son institution sur le royaume. Pour le chef de mission du FMI au Maroc, il existe un espace budgétaire qui doit être utilisé pour soutenir une reprise encore très fragile. L’institution de Bretton Woods a convenu avec Rabat que l’économie n’a pas besoin de s’engager dans un processus d’assainissement budgétaire agressif, mais que le maintien d’une politique accommodante est nécessaire jusqu’à ce que la situation se redresse. L’enjeu est de concilier la nécessité de la reprise et assurer le financement des réformes structurelles avec la nécessité d’éviter l’augmentation excessive de la dette.

Le rapport publié par le FMI suggère que la réalisation de ces objectifs contradictoires requiert, entre autres, des ressources rationalisant les dépenses publiques, la mise en œuvre du registre social unifié qui devrait créer un nouvel espace budgétaire pour financer la réforme de l’éducation, la réforme annoncée des entreprises publiques, la réforme de l’administration publique et de la numérisation, la lutte contre la fraude fiscale des entreprises et particuliers, et la poursuite du plan de privatisation.

Bert Brys, économiste au sein de l’OCDE, pointe du doigt le fardeau fiscal que représente le secteur de la santé. Les principaux défis du Maroc dans ce cadre sont le faible niveau des dépenses publiques et la participation des ménages privés à hauteur de plus de 50 % des dépenses de santé, ce qui constitue un impôt implicite relevé sur des personnes vulnérables. Il cite également le vieillissement de la population marocaine et le changement climatique comme facteurs de dépenses supplémentaires et de diminution des recettes fiscales.

L’économiste préconise dans ce sens l’augmentation des cotisations des travailleurs dans le public pour qu’elles soient similaires au privé, l’introduction du régime d’assurance maladie pour les travailleurs indépendants, l’augmentation de la population active, la hausse des taxes sur les produits néfastes à la santé, la suppression de la subvention au sucre, etc.

Le secteur informel, un puits sans fond

Léonce Ndikumana, directeur du Programme de la politique de développement en Afrique à l’Institut PERI, avance que le Maroc dispose de beaucoup d’espace pour agrandir la base taxale, surtout dans le secteur immobilier. Parmi les arguments avancés : la propriété immobilière n’est pas assez taxée, le poids de la TVA tombe sur le travailleur ordinaire et sur le plus pauvre, ce qui crée une dégressivité de la taxation, l’obligation de revoir la taxation des multinationales, surtout les digitales qui échappent facilement à la taxation, et enfin la rationalisation des exonérations, surtout pour les entreprises opérant dans des secteurs très profitables.

Quartier Derb Omar, à Casablanca. Le secteur informel représente 8 emplois sur 10 au Maroc.Crédit: Yassine Toumi / TelQuel

Il implore le Maroc de participer activement aux débats internationaux sur la réforme fiscale, et à tirer avantage de sa position stratégique pour diversifier ses partenaires économiques et ainsi se protéger des chocs externes. Pour lui, le royaume a beaucoup à offrir à l’Afrique subsaharienne, par exemple. Enfin, Léonce Ndikumana regrette l’écart de groupe constaté dans le calcul du taux de sous-emploi au Maroc : 16 % pour les jeunes en 2007, 22 % aujourd’hui, comparé à 9 % pour la population totale.

L’emploi est justement la dernière problématique relevée lors de ce webinaire, notamment par Najat El Mekkaoui, enseignante chercheuse en économie à l’Université Paris Dauphine. Parmi les chiffres qu’elle a avancés : la faiblesse de la couverture sociale de la population (60 % n’ont pas de couverture santé, 66 % n’ont pas de régime de retraite), le secteur informel représente 8 emplois sur 10, et la part des TPME informelles représente plus de 60 % de l’emploi total. L’enseignante appelle à encadrer le travail peu qualifié pour en faire une source de revenus supplémentaires.