Pourquoi une infection par le SARS-CoV-2 n’est pas toujours synonyme de test sérologique positif

Samira Fafi-Kremer est cheffe de service du laboratoire de virologie des hôpitaux universitaires de Strasbourg. Elle décrypte deux publications récentes de son groupe de recherche, qui éclairent les relations complexes entre le coronavirus SARS-CoV-2 et le système immunitaire des personnes qu’il infecte.

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Le test sérologique, réalisé à partir d’un prélèvement sanguin, est en mesure de détecter un ancien malade ainsi que le développement de ses anticorps. Crédit: Unsplash

Vos travaux suggèrent qu’il est possible d’avoir été en contact avec le coronavirus SARS-CoV-2 sans produire d’anticorps. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Samira Fafi-Kremer : Tout a débuté après plusieurs témoignages de personnes en couples relatant qu’elles-mêmes et leurs partenaires avaient développé des symptômes évocateurs de Covid-19 durant le premier confinement, mais que les résultats des tests sérologiques étaient positifs pour l’un, et négatifs pour l’autre.

Ces tests visent à mettre en évidence la présence d’anticorps dirigés contre le coronavirus SARS-CoV-2 responsable de la maladie (cette présence témoigne d’un contact avec le virus). Comment expliquer cette présence de symptômes évocateurs du Covid-19, mais l’absence d’anticorps ?

Pour le comprendre, nous avons recruté 11 couples présentant une telle “sérodiscordance”. La plus jeune de ces 22 personnes avait 38 ans, la plus âgée 65, et l’âge médian était de 49 ans. Dans chacun de ces couples, un des partenaires — appelé cas index — avait eu le Covid-19 (confirmé par test PCR pour 8 d’entre eux), avec des symptômes.

L’autre membre du couple était considéré comme un cas contact, car vivant sous le même toit, sans quarantaine ni application de mesures barrières. À l’exception d’un couple, tous ont vécu normalement, pris leurs repas ensemble, etc. Qui plus est, cela s’est passé durant le confinement, donc à un moment où ils vivaient quasiment 24 h sur 24 dans le même lieu clos. Des conditions idéales pour la contamination.

Et justement, six partenaires de “cas index” ont développé des symptômes dans les sept jours suivant ceux du cas index du couple, ce qui était compatible avec une infection. Cependant, les tests sérologiques se sont avérés négatifs.

Cela m’a rappelé ce que j’avais constaté en travaillant sur l’hépatite C : certains personnels hospitaliers exposés au virus avaient des sérologies négatives pour le virus de l’hépatite C, mais une réponse cellulaire positive.

Pourriez-vous nous expliquer brièvement ce que cela signifie ?

Quand on est infecté, la première ligne de défense de notre organisme est constituée par la réponse immunitaire innée, immédiate. Elle se met en place durant les premières heures après l’infection, et n’est pas spécifique de l’envahisseur.

Schématiquement, elle se caractérise par la production d’interféron de type I à la fois par les cellules de la muqueuse du nez et du pharynx notamment et par des cellules immunitaires appelées cellules dendritiques. L’interféron de type I est un puissant antiviral. Dans le même temps, des mécanismes inflammatoires se mettent aussi en place, qui jouent aussi un rôle pour ralentir la progression virale.

C’est le débordement inflammatoire qui est à l’origine de la sévérité de la maladie.Crédit: Ludovic Marin / AFP

Cette première réponse laisse le temps à notre corps de mettre en place une seconde ligne de défense, qui va reconnaître spécifiquement l’envahisseur : la réponse immunitaire adaptative. En gros, celle-ci repose sur d’autres cellules immunitaires, les lymphocytes, qui sont globalement de trois types : les lymphocytes T CD8, qui détruisent directement les cellules infectées (on parle de réponse cellulaire), les lymphocytes B, qui produisent des anticorps (on parle de réponse humorale) et les lymphocytes T CD4, qui vont aider les autres lymphocytes à réagir.

Donc théoriquement, on peut imaginer que l’organisme parvienne à se débarrasser du coronavirus sans recourir aux anticorps ?

Oui, effectivement. Lorsque nous avons vérifié la réponse des lymphocytes T des partenaires qui avaient eu des symptômes mais étaient séronégatifs, on a constaté que chez plusieurs d’entre eux, elle était du même type que celle de leur partenaire “cas index”. Cela signifie qu’ils ont probablement été exposés au virus.

Leur réponse T a peut-être été tellement efficace qu’elle a éliminé le virus, ou qu’ils n’ont eu besoin que de peu d’anticorps pour y parvenir, lesquels sont en quantité si faible qu’ils n’ont pas pu être détectés ou ont disparu rapidement ensuite.

Reste le cas des patients symptomatiques qui n’ont ni anticorps, ni réponse cellulaire T significative. Chez eux, on peut imaginer que la réponse immunitaire innée, immédiate, a suffi à éliminer le virus. Ils n’auraient donc pas eu besoin de déclencher le reste du processus.

La réponse immunitaire innée joue donc parfois un rôle important dans la lutte contre l’infection ?

Effectivement. En outre, la littérature scientifique tend à indiquer que cette réponse définit le risque de faire une forme sévère de la maladie ou pas. Dans un premier temps, tout est question d’équilibre entre l’état antiviral induit par la production d’interféron de type I et l’état inflammatoire.

“Chez les sujets jeunes, les quantités produites par les seules cellules dendritiques pourraient peut-être suffire à repousser les envahisseurs”

Samira Fafi-Kremer

Si de nombreux virus nous infectent, la réponse interféron de type I se trouve débordée. En effet, le virus est capable de l’inhiber grâce à ses protéines : quand il infecte des cellules épithéliales, la production d’interféron est donc perturbée.

Chez les sujets jeunes, les quantités produites par les seules cellules dendritiques pourraient peut-être suffire à repousser les envahisseurs. Mais quand on est âgé, obèse, et qui plus est de sexe masculin, cette production dendritique peut s’avérer insuffisante. Dans ce cas, la voie inflammatoire prend le dessus. C’est ce débordement inflammatoire qui est à l’origine de la sévérité de la maladie. Un cercle vicieux s’enclenche, car de grandes quantités de cellules sont détruites, ce qui aggrave l’inflammation, qui détruit davantage de cellules, etc.

La charge virale déterminerait donc la sévérité de l’infection ?

Elle y contribue, mais on ne peut pas dire qu’à elle seule elle détermine la gravité de la maladie. Ce n’est probablement pas l’unique paramètre. On découvre par exemple que certaines personnes ne produisent pas beaucoup d’interféron, ou ont des auto-anticorps anti-interférons (qui s’attaquent donc à leurs propres interférons et affaiblissent leurs défenses…). La réponse est probablement multifactorielle, dépendant du bagage immunitaire, de la génétique…

Vous mentionniez que le fait d’être un homme peut être un facteur aggravant de la maladie. Une autre de vos études suggère en effet que les femmes auraient une meilleure réponse immunitaire anti-SARS-CoV-2 ?

Dans le cadre de ces travaux réalisés avec les équipes des Pr Olivier Schwartz et Arnaud Fontanet de l’Institut Pasteur, nous avons suivi des personnels hospitaliers qui avaient eu un test PCR positif pour le SARS-CoV-2. Nous avons fait plusieurs examens sérologiques, d’abord un mois après le développement des symptômes, puis entre 3 à 6 mois.

“La réponse immunitaire chez la femme est toujours plus forte que celle de l’homme”

Samira Fafi-Kremer

Nos résultats ont montré que pratiquement toutes ces personnes avaient une sérologie positive au-delà du 21e jour, et possédaient des anticorps neutralisants. Nous avons aussi remarqué à cette occasion que les hommes de plus de 50 ans et qui sont en surpoids avaient un taux d’anticorps beaucoup plus élevé que les autres. Cela peut sembler contre-intuitif, mais d’autres travaux ont montré qu’un taux d’anticorps neutralisants élevé était corrélé à la sévérité de la maladie.

En revanche, entre 3 et 6 mois de suivi, les choses se sont inversées : le niveau d’anticorps a rapidement baissé chez les hommes comparativement à celui des femmes.

Comment l’expliquer ?

On sait que la réponse immunitaire chez la femme est toujours plus forte que celle de l’homme. C’est lié au fait que les gènes de l’immunité sont situés sur le chromosome sexuel X, que la femme possède en double, tandis que l’homme n’en possède qu’un (son autre chromosome sexuel étant un chromosome Y). C’est d’ailleurs aussi la raison pour laquelle généralement les femmes sont davantage susceptibles aux maladies auto-immunes.

Dans le cas du SARS-CoV-2, les hormones féminines jouent aussi probablement un rôle. En effet, les femmes enceintes, qui ont des taux d’hormones très importants, ne développent que peu ou pas de signes de la maladie en cas d’infection. En revanche, à l’accouchement le taux d’hormones chute, et les femmes qui ont donné naissance à leur enfant sont davantage susceptibles de faire une forme plus sévère.

Par ailleurs, le gène de la protéine ACE2 (la “serrure” située à la surface des cellules, dans laquelle s’insère la protéine Spike du coronavirus qui lui sert de clé pour y entrer) est lui aussi situé sur le chromosome X. Selon certains chercheurs, cela pourrait contribuer à cette meilleure réponse immunitaire des femmes contre le SARS-CoV-2, mais ce sont des spéculations à ce stade.

Est-ce que les anticorps persistent plus longtemps chez les femmes ?

Quand on regarde simplement la présence ou l’absence d’anticorps au bout de 6 mois, on constate qu’ils sont encore présents chez 99 % des personnes que nous avons suivi. Une étude américaine publiée juste après la nôtre a montré qu’au bout de 8 mois, on trouvait encore des anticorps dans le sang des personnes infectées. En revanche, quand on s’intéresse au taux d’anticorps, la baisse est significativement plus importante chez l’homme que chez la femme.

Leur réponse cellulaire T est aussi meilleure que celle des hommes, et cette différence demeure valable chez les personnes âgées, malgré l’immunosénescence (diminution de l’efficacité du système immunitaire au cours du vieillissement, ndlr) : chez la femme la réponse T ne baisse pas, alors qu’elle baisse chez l’homme.

Pour terminer sur une bonne nouvelle qui concerne tout le monde, nous n’avons pas détecté au cours de nos travaux d’anticorps facilitants, qui risquent d’aggraver la maladie, et d’autres équipes qui ont travaillé sur le sujet non plus. C’est très encourageant, dans ce contexte de campagne de vaccination.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Voici l’article original, signé Samira Fafi-Kremer, professeure des universités – cheffe de service du laboratoire de virologie, Hôpitaux universitaires de Strasbourg, Inserm U1109, Université de Strasbourg