Smyet bak ?
Ahmed.
Smyet mok ?
Khadija.
Nimirou d’la carte ?
Je ne donne jamais le numéro de ma carte, j’ai trop peur d’être suivi ou poursuivi.
Vous êtes un peu paranoïaque ?
Non, je ne suis pas du tout paranoïaque, mais le numéro de la carte c’est quelque chose d’intime. Je n’aimerais pas que des gens puissent s’en servir pour faire autre chose avec.
Depuis votre dernier interrogatoire, vous avez eu l’occasion de visiter un commissariat ?
Non jamais ! Que Dieu m’en préserve !
La normalisation des relations maroco-israéliennes, mieux vaut tard que jamais ?
On m’avait accusé à l’époque de Tinghir-Jérusalem de normaliser avec l’état d’Israël. J’ai alors expliqué que je normalisais avec 800.000 Marocains de confession juive qui vivent là-bas. S’ils étaient partis au Zimbabwe, je serais allé au Zimbabwe pour les filmer.
Je crois que ça peut être un véritable déclic psychologique pour beaucoup de Marocains juifs qui rêveraient peut-être de revenir s’installer au Maroc, et qui pourraient apporter des opportunités culturelles et économiques. Mais on peut également demander que les Palestiniens soient traités sur un pied d’égalité. Je n’ai jamais été sioniste, et je défends aujourd’hui un seul état, où Palestiniens et Israéliens vivraient à égalité.
Vous avancez dans votre apprentissage de l’hébreu?
Oui beaucoup! Je parle assez bien hébreu depuis que j’ai fait deux stages intensifs à l’université de Haïfa, même si, à cause du confinement, je vais beaucoup moins là-bas. J’ai toujours cette langue chevillée au corps. D’ailleurs, on devrait l’apprendre davantage aussi au Maroc.
Comment dit- on smyet bak et smyet mok en hébreu?
Chmia bachelkha, chmia mashelkha
La part juive de l’identité marocaine sera désormais enseignée à l’école, vous avez enfin gagné?
“Nous avons finalement gagné face aux islamistes et aux panarabistes qui sont les deux idéologies les plus rétrogrades et les plus conservatrices sur la question de la pluralité marocaine”
Je pense qu’on a gagné la bataille culturelle. Nous étions déjà quelques-uns à demander que la part juive de notre identité soit enseignée à l’école, au même titre que la part amazighe. Nous avons finalement gagné face aux islamistes et aux panarabistes qui sont les deux idéologies les plus rétrogrades et les plus conservatrices sur la question de la pluralité marocaine. C’est une force qui doit être enseignée à l’école car c’est comme ça qu’on vaccine les jeunes générations contre l’amnésie et l’obscurantisme.
On vous prend encore pour un agent du Mossad?
(Rires) J’ai toujours halluciné face à ce genre de remarques. On m’a aussi dit que j’étais un traître à la nation. C’est un fantasme de mes ennemis, je ne pourrai jamais être un agent du Mossad.
Dans vos films, il vous arrive de pratiquer l’autocensure?
“On dit que les Français ont inventé la laïcité, moi je dis que non, ce sont les Amazighs qui ont toujours séparé la religion de la politique”
Non, jamais! Je n’aime pas provoquer pour provoquer. J’aime questionner. Les conservateurs nous accusent souvent de vouloir importer le modèle occidental au Maroc. On dit que les Français ont inventé la laïcité, moi je dis que non, ce sont les Amazighs qui ont toujours séparé la religion de la politique.
Vous avez appelé à voter pour faire barrage au PJD, ils sont toujours au pouvoir, vous le prenez personnellement?
(Rires) Pas du tout ! Le fait que le PJD soit au pouvoir ne veut pas dire qu’une majorité de Marocains soutiennent ce mouvement politique. Il y a beaucoup d’abstention car beaucoup de gens ne croient plus à la politique. Malheureusement, il n’y a pas de véritable parti politique progressiste au Maroc. C’est peut-être à la nouvelle génération de le construire.
Maintenant que vous êtes connu, il vous arrive de revenir à Tinghir ?
Bien sûr! J’y ai passé deux mois et demi cet été. J’ai un amour inconsidéré pour ma ville et pour ses habitants. J’ai d’ailleurs comme projet de créer un grand festival des cultures plurielles à Tinghir après le Covid.
Vous êtes vous-même issu de l’immigration, ça vous rapproche des juifs marocains qui ont immigré pour des raisons économiques?
Il y a un parallèle qu’on peut bien sûr établir et qui explique mon empathie pour cet exil. La seule différence, c’est que moi j’ai encore une maison à Tinghir. Eux ont tout quitté et tout laissé derrière eux. Je me suis toujours senti comme une étrangeté, et pour moi les juifs du Maroc ont toujours été une espèce d’étrangeté à laquelle j’ai voulu rendre toute sa place dans notre récit national.
Vous avez filmé plusieurs générations de juifs marocains, quelles différences avez-vous perçues entre ceux nés au Maroc et ceux qui sont nés en Israël ?
Très souvent, ceux qui sont nés au Maroc ont toujours la langue, la darija, parfois l’amazigh, comme on a pu le voir dans Tinghir-Jérusalem. La principale différence réside dans cette transmission de la langue. Ce n’est évidemment pas le même vécu et la même expérience, je crois que les nouvelles générations ont un fantasme plus grand à l’égard du Maroc. Le plus important, c’est que cette transmission de l’amour de la culture marocaine n’a pas été coupée.
Au Maroc, votre travail a suscité la polémique, a-t-il été critiqué en Israël ?
“Mon travail a été critiqué par les ultra-sionistes. Finalement, les deux extrêmes ne supportent pas que juifs et musulmans puissent s’entendre et partager des territoires en commun”
Il a été critiqué par les ultra-sionistes. Finalement, les deux extrêmes ne supportent pas que juifs et musulmans puissent s’entendre et partager des territoires en commun. Ils ont besoin d’ennemis pour se sentir vivants et exister. Que ce soit au Maroc ou en Israël, c’était toujours une infime minorité qui a critiqué le film. Seuls ceux qui prêchent la haine ne peuvent pas supporter ce type de film.
Vous avez visité Ramallah, sur place on vous a pris pour un traître?
“Les Palestiniens se sont identifiés à mes personnages marocains devenus israéliens, car il y avait ce sentiment universel de la perte, puisque les Palestiniens ont aussi perdu leur terre”
Pas du tout ! Au contraire, j’ai fait une projection à Ramallah de Tinghir-Jérusalem, au moment où les islamistes me traitaient de tous les noms. Les Palestiniens se sont identifiés à mes personnages marocains devenus israéliens, car il y avait ce sentiment universel de la perte, puisque les Palestiniens ont aussi perdu leur terre. Quelles que soient la nationalité ou la couleur de peau, le sentiment d’arrachement est universel.
En France, vous organisiez des soirées pour rendre hommage à des poètes juifs et musulmans, c’est si important que ça la poésie?
La poésie, c’est un rapport au monde. La poésie, comme la musique, est un langage universel qui exprime une certaine complexité et un rapport au temps. Ces soirées drainaient des populations très diverses. La poésie est un vrai pont entre les êtres humains.
Vous avez quitté l’enseignement, vous en aviez marre des têtes à claques ?
(Rires) Non, je n’en avais pas marre. C’est un métier que j’ai beaucoup aimé. J’ai gardé jusqu’à aujourd’hui des relations avec mes anciens élèves. C’était une véritable vocation que je n’ai quittée que pour suivre le désir de transmettre différemment par le cinéma et par l’image.
LE PV
Nous n’avons pas pu rencontrer Kamal Hachkar à Marrakech où il se trouvait. Mais c’est d’une voix douce et joyeuse qu’il nous a répondu au téléphone. Explorer l’histoire et raviver la mémoire de la part juive de l’identité marocaine, c’est l’essence du travail artistique du cinéaste.
Né à Tinghir, il découvre très vite, grâce aux récits de ses parents et ses grands-parents, que les habitants de son village natal n’ont pas toujours été exclusivement musulmans. A l’aide de sa caméra, il s’en va à la rencontre des juifs marocains vivant en Israël et originaires de son village natal. Kamal Hachkar signe alors un documentaire, Tinghir-Jérusalem, les échos du Mellah, où il recueille la parole des musulmans et des juifs du village de Tinghir, évoquant la blessure que fut l’exil pour ces derniers.
Une démarche artistique qui n’a pas manqué de faire grincer des dents au Maroc. Après le succès de son premier documentaire, le cinéaste franco-marocain revient sur la scène en 2019 avec un second intitulé Dans tes yeux, je vois mon pays, explorant cette fois l’héritage musical judéo-marocain.