Chine : une “diplomatie du vaccin” pour faire oublier le virus

“Un bien public mondial” : tenant une promesse de Xi Jinping, la Chine a commencé à distribuer ses vaccins aux quatre coins de la planète, tentant de redorer son blason un an après l’apparition du nouveau coronavirus sur son sol.

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La course au vaccin contre le coronavirus mobilise des chercheurs du monde entier. Ici dans un laboratoire à Pékin, le 29 avril. Crédit: AFP

Alors qu’aux États-Unis le président Donald Trump a signé mardi un décret pour donner la priorité aux livraisons de vaccins aux Américains, son homologue chinois se pose en fournisseur d’antidotes aux pays pauvres. Même si aucun vaccin chinois n’a encore été formellement approuvé, pas même en Chine, Pékin multiplie les contrats de fourniture et a même commencé à construire des sites de production à l’étranger — au moment où l’Organisation mondiale de la santé (OMS) entame son enquête sur l’origine du virus.

“La Chine pratique la diplomatie du vaccin afin de réparer son image”

Il ne fait pas de doute que la Chine pratique la diplomatie du vaccin afin de réparer son image”, observe Huang Yanzhong, spécialiste des questions de santé publique au Council on Foreign Relations, un centre de réflexion américain. “C’est aussi une façon d’accroître son influence et d’aplanir les tensions géopolitiques”, estime-t-il.

À titre d’exemple, la diplomatie chinoise a signé des accords en vue de la fourniture de vaccins aux Philippines et à la Malaisie, deux pays avec lesquels elle est en délicatesse pour des questions de souveraineté en mer de Chine méridionale. Pékin a également promis un accès prioritaire aux riverains du Mékong (Birmanie, Laos, Cambodge, Thaïlande, Vietnam), à la suite de critiques accusant ses barrages de provoquer une sécheresse en Asie du Sud-est.

Par contraste, le grand rival américain n’a guère entrepris de répandre ses vaccins à la surface du globe, en dépit des avancées de ses laboratoires comme Pfizer, Johnson & Johnson ou Moderna. Et Washington est notoirement absent du Covax, un mécanisme international de fourniture de vaccins anti-Covid aux pays en développement, lancé sous l’égide de l’OMS. Pékin y a adhéré en octobre. Le Covax ne devrait couvrir que les besoins de 20 % de la population des pays en développement d’ici fin 2021, alors que les pays riches pourraient mettre la main sur 50 % de la production mondiale, selon une étude du Global Health Innovation Centre de l’Université Duke aux États-Unis.

“Tout le monde réclame un vaccin et Pékin est bien placé pour s’enrichir facilement”

La Chine de son côté vise une capacité de production d’un milliard de vaccins Covid l’an prochain et peut se permettre de partager ses stocks, l’épidémie étant pour ainsi dire jugulée sur son sol. D’autant que les considérations économiques ne sont pas absentes. Même si la Chine ne s’emparait que de 15 % du marché vaccinal dans les pays pauvres, cela lui rapporterait des ventes totales de 2,4 milliards d’euros, selon un calcul de la maison de courtage hongkongaise Essence Securities. “Tout le monde réclame un vaccin et Pékin est bien placé pour s’enrichir facilement”, observe un de ses analystes.

La campagne mondiale d’inoculations nécessite des sites de stockage permettant de garantir la chaîne du froid. Autant d’infrastructures permettant de relancer le colossal projet chinois des nouvelles routes de la soie, affaibli par l’épidémie, remarque Kirk Lancaster, du Council on Foreign Relations. Le géant chinois du commerce en ligne Alibaba a déjà construit des entrepôts en Éthiopie et à Dubaï, qui serviront de plateformes de distribution en Afrique et au Moyen-Orient. Et Pékin construit des sites de production au Brésil, au Maroc et en Indonésie, pays qui ont participé aux tests cliniques de vaccins chinois.

Côté financements, la Chine a promis des prêts d’un milliard de dollars aux pays d’Amérique latine pour qu’ils puissent acheter des vaccins. “Ces efforts, sous l’appellation de “routes de la soie de la santé”, aident la Chine à redorer son blason, tout en ouvrant des marchés à ses entreprises”, souligne M. Lancaster.

La Chine a actuellement quatre vaccins en phase finale de tests, dont trois sont des dispositifs inertes, faciles à transporter à distribuer, à la différence par exemple du vaccin de Pfizer qui doit être conservé à -70 degrés. Mais les laboratoires chinois n’ont toujours pas publié d’études établissant leur efficacité. “Le manque de transparence du système chinois fait que des milliers de personnes ont déjà été inoculées sans que les données sur les essais cliniques aient été diffusées”, s’alarme la sinologue Natasha Kassam, de l’institut australien Lowy.

Par le passé, l’industrie pharmaceutique chinoise a été mise en cause lors de scandales de vaccins frelatés, ce qui pourrait refroidir certains acheteurs étrangers. Les laboratoires Sinovac et Sinopharm, dont les recherches sont les plus avancées, totalisaient moins de 500 millions de doses en précommande à mi-novembre, selon le cabinet britannique Airfinity. Un chiffre à mettre en regard des 2,4 millions de doses commandées au britannique AstraZeneca, pour son vaccin mis au point avec l’Université d’Oxford.